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Hérisson mon héros
Une année de hérisson au jardin
L’an dernier, d’avril à août, la Revue Salamandre a suivi un groupe de hérissons via une caméra nocturne placée sous une haie chargée de souvenirs.
L’an dernier, d’avril à août, la Revue Salamandre a suivi un groupe de hérissons via une caméra nocturne placée sous une haie chargée de souvenirs.
La Corbaz (canton de Fribourg), le 2 avril 2019
Comment présenter au plus juste le courageux hérisson ? Au moment de rédiger le dossier que vous tenez entre les mains, une émotion toute particulière m’envahit, déclenchée par un souvenir d’enfance. Une expérience marquante que j’aimerais partager avec vous. Ainsi vous comprendrez mon attachement envers cet animal à l’avenir incertain. Alors voilà…
Une châtaigne. C’est ce que j’ai cru voir au fond du seau que me tendait Pierrot, mon voisin agriculteur chez qui je jouais, étant gamine. Mais la pelote d’épines s’est mise à remuer et un museau noir en est sorti. Un hérisson ! « Il ne doit pas avoir plus de 3 semaines. Je l’ai trouvé à côté de sa mère écrasée. Tu le veux ? Il va mourir si personne ne s’en occupe », m’avait lancé le paysan, touchant ma corde sensible.
Après avoir biberonné tout l’été le petit orphelin baptisé Pic-Pic, mes parents et moi l’avons relâché au jardin*. Il devait s’y sentir à son aise puisqu’il a élu domicile dans la cabane construite pour lui sous la haie. Des années durant, je guettais sa sortie du soir, le suivant du regard alors qu’il s’enfonçait dans la pénombre. Quelles aventures pouvait-il vivre au cœur de la nuit ?
Je n’ai jamais oublié Pic-Pic. Et près de trente ans plus tard, cette histoire résonne plus que jamais en moi. Je me demande si les descendants de la châtaigne habitent toujours le jardin de mon enfance. C’est le moment ou jamais de vérifier ! C’est décidé, je vais enquêter sous la haie ! Pour cela, je commande une caméra automatique à vision nocturne, le meilleur moyen d’observer les hérissons sans les déranger.
Derrière la maison
10 avril
Les températures se font plus douces depuis quelques jours. S’il y a des hérissons dans les parages, ils doivent être sortis de leur torpeur hivernale. C’est le moment d’installer mon matériel d’espionnage fraîchement déballé.
J’imagine qu’après des mois d’hibernation, ces animaux ne doivent penser qu’à une chose : manger ! Au crépuscule, je place donc le piège en face de la haie encore nue et du compost qui grouille de succulentes bestioles. Pour maximiser mes chances, je laisse une gamelle d’eau, au cas où… Il n’y a plus qu’à attendre.
Le lendemain, tel un marmot au matin de Noël, je cours visionner les images de la nuit. Chat, chat, vent, insecte, chat… La tension monte comme au Loto. Quand soudain, immortalisée à 1 h 12, une boule d’épines apparaît. Mon cœur fait un bond ! L’animal se dandine entre le garde-manger et l’abreuvoir en marquant des pauses gratouilles.
D’autres prises le montrent en train de mâchouiller un lombric avant de se lécher vigoureusement, répandant une sorte d’écume blanche sur sa toison. Mon voyeurisme n’a pas l’air de le déranger. Il fera ainsi la star devant l’objectif jusqu’au petit matin. En éteignant mon ordinateur portable, je souris. Notre quartier de villas est toujours une terre de hérissons.
Réglés comme une horloge
18 avril
Depuis ma première observation, la caméra tourne à plein régime, levant chaque jour un coin de voile sur les activités de mes voisins à piquants. Moi qui n’ai jamais suivi d’émission de téléréalité, me voilà accro à ce feuilleton animalier. Dans les premiers épisodes, un seul et même individu fréquente la pelouse. Puis, le scénario se pimente avec l’arrivée de deux autres hérissons, issus des propriétés voisines. La vieille clôture endommagée favorise en effet la circulation de la faune sauvage qui converge vers ce compost garde-manger.
Chaque soir, les acteurs entrent en scène avec une ponctualité déconcertante. A minuit, l’habitant principal des lieux se presse au râtelier pour en retirer épluchures et autres larves. Pour ne pas le confondre, j’appelle ce colocataire Arthur. Il est rapidement rejoint par un modèle plus petit et craintif qui l’ignore cordialement. Puis, vers 2 h du matin, arrive un imposant compère qui a tendance à faire le vide autour de lui. Même le renard ne se frotte plus à ce ballon clouté et tressaillant. Ouille !
Les hérissons auraient besoin de se remplir la panse au moins deux fois par nuit pour combler leurs besoins énergétiques quotidiens. Pas étonnant qu’ils passent 80 % de leur temps d’activité à chasser et à glaner de la nourriture. Le reste étant dévolu aux déplacements.
Les allées et venues s’arrêtent à 6 h environ, alors que les oiseaux entonnent leurs vocalises. Souvent Arthur refait un passage, avant de s’engouffrer sous les cotonéasters rampants. Il y a certainement construit l’un de ses nids d’été où il dort durant la journée, à l’abri des prédateurs et de la pluie. Sa structure ne diffère pas de celle du nid d’hiver, mais est généralement moins isolée et moins solide. Un même abri est rarement partagé, mais peut accueillir plusieurs hôtes successifs. C’est souvent via ces paillasses provisoires que les hérissons se transmettent leurs parasites.
Ouverture des hostilités
25 avril
L’heure n’est plus à la cohabitation pacifique. Le restaurant derrière la maison devient un véritable ring de boxe où Arthur et le gros Musclor s’affrontent violemment alors que le discret poids plume reste à distance, sans perdre une miette des joutes. A leur comportement, je comprends que les deux premiers sont sans doute des mâles et le troisième, une femelle.
Tête basse, piquants hérissés sur le front, les adversaires s’observent de longs moments sans bouger, émettant parfois quelques grognements. Puis, en une fraction de seconde, l’un des deux fonce sur l’autre, le percutant de toutes ses forces jusqu’à le mettre en déroute. La scène rappelle les combats de vaches d’Hérens qui se bravent à grands coups de cornes sur l’alpage.
Au fil du temps, les deux rivaux sont rejoints par d’autres mâles. Ils sont sans doute attirés par la belle. J’ai dénombré sept belligérants au maximum. Durant les nuits de grande affluence, les affrontements n’en deviennent que plus intenses. La gamelle d’eau sépare deux adversaires ? Qu’importe, la bataille sera navale ! Le perdant déclare forfait en se roulant en boule ? Le vainqueur ignore cet acte de reddition et lui fonce dedans, l’envoyant rouler dans la descente. Une cascade digne de Sonic, le célèbre hérisson bleu éponyme du jeu vidéo. Jamais je n’aurais imaginé qu’un animal d’apparence si tranquille soit capable de tant de verve.
La ronde de l’amour
10 mai
Les échauffourées se poursuivent, mais je note de nouveaux comportements. Jusqu’ici réservée, la petite femelle se rapproche du ring et semble évaluer la prestation de ses prétendants. Elle cherche même le contact avec certains d’entre eux, n’hésitant pas à les bousculer gentiment du groin pour attirer leur attention lorsqu’ils sont occupés à manger. En général, l’élu ne se fait pas prier longtemps.
Il s’avance en direction de sa partenaire qui adopte immédiatement une attitude étrangement défensive. Tête baissée et front bardé d’épines, exactement comme le ferait un mâle en rut. Et voilà qu’en prime, la demoiselle émet de bruyants éternuements doublés de soubresauts cadencés. Pourquoi se montre-t-elle tout à coup si hostile. D’ailleurs est-ce de l’hostilité ?
Loin de se décourager, le mâle tente de passer derrière elle sans jamais y parvenir puisqu’elle tourne en même temps sur elle-même, en maintenant son museau au niveau du flanc de son partenaire qu’elle gratifie de petits coups de tête. En résulte une étrange ronde pouvant durer de quelques minutes à plusieurs heures. Parfois le soupirant s’incline et présente son dos à la femelle tout en continuant sa danse ou s’aplatit carrément au sol.
Devant ces préliminaires, je croise les doigts pour assister à un accouplement, même si mes lectures tempèrent mon enthousiasme. Les parades amoureuses n’aboutiraient à une union que dans 7 % des cas. Ce serait donc un honneur incroyable. Mais ne dit-on pas que la chance sourit aux débutants ?
Espoirs…
22 juin
Toujours pas de scène justifiant le logo rose, malgré les grands bals organisés chaque soir devant les buissons. Certains danseurs parviennent presque à leurs fins, la femelle acceptant qu’ils se positionnent face à son arrière-train, avant de les éconduire froidement. Cette nuit-là pourtant, la dame quitte la piste de danse aux côtés d’un bellâtre qu’elle accompagne derrière le rideau de feuillage. Peut-être sont-ils allés casser la croûte ? Je préfère croire que le couple s’est retiré pour plus d’intimité.
Pause estivale
30 juillet
La vie nocturne est devenue plus calme. Finies les farandoles, terminées les bagarres, adieu les visiteurs étrangers. Comme si les derniers jours de canicule avaient eu raison des ardeurs de chacun. Parfois, pour traverser une période de sécheresse au cours de laquelle limaces et lombrics se font rares et la chaleur éprouvante, les hérissons se mettent en pause. C’est-à-dire qu’ils rejoignent leur nid et tombent en léthargie en attendant le retour de températures plus fraîches. Une sorte d’hibernation estivale en somme. Mon voisin de hérisson et son acolyte musclé semblent effectivement avoir ralenti leur rythme. Les visites au compost se limitent désormais à un ou deux passages en début de nuit et les sprints sur la pelouse s’apparentent davantage à de la flânerie.
Les longues soirées d’été m’invitent à m’allonger sur une couverture et à attendre leur venue. C’est juste avant le coucher du soleil qu’ils débarquent tour à tour, ne se souciant guère de ma présence. Quelle joie de pouvoir les observer de si près ! Mais je m’inquiète pour la petite femelle qui ne se montre plus depuis quelques semaines. J’espère qu’il ne lui est rien arrivé. La voisine m’a raconté qu’elle avait trouvé un hérisson mort dans son potager…
La relève sort couverte
27 août
Les nuits des hérissons se suivent et se ressemblent. Il y a davantage d’action chez les renards qui, depuis fin mai, présentent régulièrement leur progéniture à la caméra. Aujourd’hui, les petits rouquins ressemblent déjà à des ados.
Je décide de changer de stratégie, convaincue que l’intrigue se joue à présent sous la haie, à l’abri des regards. En début de soirée, je déplace donc le piège sous les épais buissons. Et bingo ! à 20 h 31, les enregistrements révèlent un jeune individu se frayant un passage entre les branches. Il doit être à peine plus âgé que Pic-Pic, le hérisson de mes 9 ans. Derrière lui, une copie conforme emprunte le même chemin. Combien sont-ils en tout ? Difficile à dire. L’un des jeunes tombe sur une limace. J’ai grand-peur d’assister à un gastéropodicide ! Perplexe, le gosse hume la loche… et puis non. Un peu trop grosse, sans doute.
Une poignée de minutes plus tard, une silhouette familière émerge, un juvénile collé à elle. Serait-ce la petite femelle disparue ? Son faciès, sa corpulence, la forme de sa toison d’aiguilles : tout semble coller, mais impossible à vérifier. Et au fond, qu’importe. La vision de cette mère et de ses petits se baladant dans les broussailles me réjouit. Les hérissons se plaisent dans le quartier. L’effervescence constatée ces derniers mois le prouve.
Les feuilles mortes croustillent sous les pas de la petite famille. Je me rends compte que l’automne approche. Il est temps de troquer la caméra pour un marteau et des clous. Je vais construire deux abris que je disposerai sous la haie. Un coup de pouce qui, je l’espère, aidera les jolies châtaignes à passer leur premier hiver.
Complétez votre lecture avec les réponses à 12 questions sur les hérissons.
Cinq mois sous la haie
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Cet article est extrait de la Revue Salamandre
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