Un air piquant sur les Aiguilles
Animée à la belle saison par promeneurs, bergers et sonnailles, la crête jurassienne des aiguilles de Baulmes se déguste en hiver dans une solitude âpre et sauvage.
Animée à la belle saison par promeneurs, bergers et sonnailles, la crête jurassienne des aiguilles de Baulmes se déguste en hiver dans une solitude âpre et sauvage.
Les derniers flocons de la nuit virevoltent dans une poussière de neige soulevée par l’arrivée du train en gare de Sainte-Croix. Sous les réverbères, des passants pressés se rendent sur leurs lieux de travail. La ville se réveille. Un quart d’heure de marche plus tard, me voici au seuil de pâturages boisés plongés dans le silence. Contraste saisissant ! Ici, la nature sommeille encore.
Quelques cris ténus vagabondent dans la cime des arbres. Les mésanges engourdies par le froid ont le réveil timide. Poussées par la faim, les petites boules emplumées explorent rameaux, branches mortes, fissures et cavités. Bientôt, une douce lumière dorée filtre des nuages et se dépose par petites touches sur la pente enneigée. Les épicéas habituellement sombres étincellent de mille feux.
Les secrets de la forêt
Au sommet du mont de Baulmes, érables sycomores, frênes et foyards centenaires forment une allée d’arbres majestueuse qui conduit au belvédère. La bise est vive, entraînant à toute vitesse les nuages qui caressent les crêtes. Aujourd'hui, tant la lumière que le panorama sont exceptionnels. Le ciel dessine toutes les nuances de gris possibles, parfois rehaussées par un peu de bleu ou d'or. Mais ces nuages chassés à toute allure descendent si bas qu’ils ne laissent guère de place aux Alpes habituellement bien visibles.
Sur les pentes alentour, la forêt occupe le sol presque sans partage. Elle s'aventure même par endroits jusque sur les escarpements rocheux qui s'avancent le long de la crête. Seule l'action des vaches la retient sur quelques pâturages. Un coup d’œil attentif aux jumelles sur une pâture ou dans la falaise révèle assez facilement la présence de l'une ou l'autre bête sauvage. La forêt en revanche protège jalousement du regard tous ses habitants. Combien de chevreuils, de renards, de chamois dans ces étendues boisées ? Mystère !
Festin de baies
Le long du sentier, les sorbiers des oiseleurs ont mis leur costume de carnaval. Ces arbres de lumière apprécient la crête clairsemée. Un petit groupe de tarins des aulnes s’est abattu sur leurs belles grappes de fruits rouge orangé. Les baies sucrées et vitaminées sont une aubaine en période de disette. Grives, merles et bouvreuils se partagent en hiver les fruits de cet arbre bien nommé.
Un peu plus loin, des pins à crochet malmenés par les intempéries s’agrippent aux rochers de part et d’autre du sommet des Aiguilles. Leur aspect trapu trahit un âge avancé malgré une faible taille. Dans le Jura, on ne rencontre cette essence ultra-rustique que sur quelques rares crêtes exposées. J’embrasse encore du regard le Suchet tout proche et l’imposante muraille du Mont d’Or de l’autre côté de la frontière française avant de m'enfoncer dans la forêt sous les cris intempestifs d’un grand corbeau.
Champion sur la crête
Une petite population de chamois est établie autour des Aiguilles et du Mont de Baulmes. L’espèce avait presque disparu du Jura au XIXe siècle. Une recolonisation spontanée dans la première moitié du XXe siècle a été renforcée par des réintroductions à partir des années 1950.
Le chamois est très bien adapté aux rudes conditions hivernales. Son pelage d’hiver est très chaud. Les poils de jarre qui en constituent la couche supérieure triplent de longueur par rapport à l'été. Quant à la couche inférieure, ultra-dense, elle est épaisse de deux à trois centimètres. Et pour marcher dans la neige sans trop s'enfoncer, il dispose d'une membrane extensible à la base des onglons. Par neige abondante, il se contente de brouter en hauteur les arbres et les arbustes et de racler le sol gelé dégagé le long des crêtes par le vent.
Le chamois peut traverser l'hiver en perdant un quart de son poids. Toutefois, de nombreux individus périssent lors des hivers les plus rudes. Pour ne pas diminuer les chances de survie de ces beaux ongulés, le promeneur restera sur les itinéraires balisés et laissera le temps aux animaux rencontrés en chemin de se retirer sans précipitation.
Ailleurs dans la région par René Tanner
René Tanner est un protecteur de la nature engagé. Ingénieur agronome de formation, il a travaillé durant 20 ans à l’Ecole Polytechnique Fédérale de Zurich. Mais sa passion, c’est la terre ! En 1977, avec son épouse Anne-Lise, il acquiert un petit domaine agricole au-dessus de Sainte-Croix exploité aujourd'hui encore avec des chevaux.
Depuis 1982, il met bénévolement ses compétences au service de Pro Natura Vaud et s’engage avec détermination pour la protection de cette région qu’il aime et qu’il connaît particulièrement bien.
A) Boîtes à musique... « Sainte-Croix est considérée comme la capitale mondiale de la musique mécanique. Au XXe siècle, des dizaines d’ateliers fabriquaient automates, montres musicales et autres coffrets mélodieux. Le musée CIMA (Centre International de la Mécanique d’Art) offre un bel aperçu du passé industriel florissant de la cité. »
B) ... et oiseaux chanteurs «Dans le même registre, le Musée Baud à L’Auberson présente de magnifiques collections de boîtes à musique, oiseaux chanteurs, automates et quelques grands instruments de musique mécaniques uniques. A admirer et à écouter.»
C) Gorges menacées ? «Depuis Sainte-Croix en direction de la plaine, les gorges de Covatannaz offrent un paysage de falaises, forêts et cours d’eau d’une qualité exceptionnelle. Un sentier pédestre bien aménagé les parcourt. Un projet de microturbine risque de dégrader le site. Pro Natura s’y oppose avec fermeté. »
D) Le jardin ressuscité « Le jardin botanique de la Dryade a été créé en 1930 par un petit groupe de personnes passionnées. Plus d’un millier de plantes y ont trouvé place. Trente ans plus tard, le site était à l’abandon. Aujourd’hui, un projet est en cours pour redonner vie à cet espace un peu sauvage, parsemé d’essences étrangères. A visiter plutôt en période de végétation. »
Cet article est extrait de la Revue Salamandre
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