Allain Bougrain Dubourg, sa passion, son engagement et son message aux jeunes

Julien Perrot reçoit dans la Minute Nature le président de la LPO Allain Bougrain Dubourg. Découvrez son parcours militant et sa vision de l'avenir de l'écologie.

Julien Perrot reçoit dans la Minute Nature le président de la LPO Allain Bougrain Dubourg. Découvrez son parcours militant et sa vision de l'avenir de l'écologie.

Allain Bougrain Dubourg

Pendant plus de 30 ans, il a présenté des émissions animalières à la télévision et à la radio notamment sur France Télévision et Europe 1. Producteur et réalisateur de nombreux documentaires animaliers, il est l’auteur d’une quinzaine d’ouvrages de vulgarisation. Depuis 1986 il est le président de la LPO, la Ligue pour la protection des oiseaux.

Comment tout ce parcours et cet engagement pour la protection de la nature ont commencé ?

C'est une vocation dont je ne trouve pas l'origine exacte. Peut-être la timidité. En vérité, mes copains de mon âge quand j'étais petit se passionnaient pour le football ou les voitures, que sais-je. Et moi, c'est au milieu des animaux que je m'épanouissais le mieux. Peut-être parce que j'avais du mal à aller vers les autres. À l'origine je suis un petit Parisien, puis on m'envoie en pension à La Rochelle, au littoral. Et derrière cet horizon, il y a tant à découvrir de vie sauvage. Quand je regardais cet horizon depuis l'île de Ré je me disais "un jour, j'irai voir les animaux qui me font rêver". Puis j'ai été coaché par les préparateurs du Muséum d'Histoire naturelle quand j'avais 12 ans. Ils m'ont appris la taxidermie, à baguer des oiseaux, à capturer des serpents parce que le président était du Muséum était un grand spécialiste des vipères.

Et qu'est-ce qui se passe après ?

À partir de là, c'est une vocation qui s'enracine c'est-à-dire que je ne peux pas concevoir de vivre autrement que dans l'intimité du monde animal. Le problème, c'est que l'école ne me réussit pas et en vérité j'ai arrêté mes études. Puis je suis parti à nouveau dans l'univers scolaire en présentant des animaux que j'ai appelés mes mal-aimés, il s'agissait de serpents et de rapaces. Il faut dire qu'à l'époque, ils n'étaient pas protégés. On écrasait les serpents du talon, ils étaient considérés comme d'horribles nuisibles. Les rapaces étaient cloués sur les portes des granges pour conjurer le sort. J'avais la naïveté de croire que si je sauvais ces animaux je sauverais toute la planète… Je vois qu'il y a encore bien du travail à faire, mais enfin j'espère à ma manière y avoir contribué puisqu’il y a eu des lois qui ont définitivement protégé à la fois les serpents et les rapaces.

Au fil de ton parcours, tu es devenu une célébrité par toutes les émissions de télévision que tu as produites, présentées et réalisées. C'est à cette occasion que j'ai pu t'entendre tout jeune. Puis tu as aussi commencé à t'engager de plus en plus aussi à travers la LPO.

Au début, on m'a demandé d'être président, mais je ne voulais pas parce que je pensais avoir ni le temps ni la compétence. Devant l'insistance, j'ai dit OK, mais pour trois ans. C'est alors que je découvre une situation surréaliste dans le Médoc, le sud-ouest de la France, où il y a plusieurs milliers de pylônes sur lesquels des chasseurs vont tirer les tourterelles des bois qui arrivent de migration pour donner la vie ici en France et dans le reste de l'Europe. Ces oiseaux se retrouvent face à un barrage de feu alors que la chasse est interdite à cette période. Ça a duré 20 ans ! Alors que je pensais qu'en montrant deux ou trois images à la télévision, cela ferait enfin respecter le droit français, mais cela n'y a rien fait. Il a fallu 20 ans pour qu'un préfet décide de faire respecter le droit et donc là, je me suis dit que je ne lâcherai pas. Puis, d'autres combats s'enchaînent.

Tu as d'ailleurs pris des coups...

Oui, je dois dire que ça a été très violent. Mais avec l'équipe de LPO, on était porté par la conviction que c'était notre devoir, je le dis sans prétention. On avait peur, c'était très impressionnant. Il y avait les CRS, qui étaient là et des milliers de chasseurs. Les forces de l'ordre ne faisaient que nous séparer, ils ne faisaient même pas respecter le droit ? J'ai même reçu des menaces de mort.

Mais tu as tout de même continué.

Oui, il y a eu la marée noire de l'Erika en 1999. Ça a été d'une violence terrible. 160 000 oiseaux, essentiellement des guillemots de Troïl, en ont péri. Très peu ont pu être sauvés, parce que le pétrole était tellement lourd que les oiseaux n'arrivaient même pas jusqu'aux plages. On a alors eu l'idée du préjudice écologique. Le principe était simple, c'était de se dire au fond qu’on indemnise légitimement le manque à pécher tout ce qui est commercial, c'est-à-dire les coquillages, les poissons, les crustacés. Mais le vivant non commercial, c'est-à-dire le phoque, l'oiseau de mer n"n’étaient pas indemnisé et c'est comme ça que la LPO a eu l'idée du préjudice écologique. 10 ans de combat devant les tribunaux contre Total. On est allé jusqu'en cassation et aujourd'hui on a gagné le préjudice écologique est dans le Code civil. Ça fait partie de mes petites fiertés.

Après, il y a eu les ortolans dans les Landes. Une population en effondrement total qu'on continue à braconner. Là aussi, c'était pas loin de 10 ans sur le terrain avec des gens là aussi assez violents. Donc un jour pousse l'autre et ça fait plus de 30 ans que je suis à la LPO en me disant tous les jours qu'il faudrait que je passe la main, puis tous les jours il y a un nouveau dossier et puis il y a un enthousiasme débordant. On est une équipe de gens qui s'adorent. Iil y a une convivialité et j'ai la conviction que pour réussir pour porter une association, pour qu'elle s'épanouisse, cette association il y a un ciment indispensable au-delà du fondamental : c'est la convivialité, c'est le respect de l'autre, c'est l'attention. Je crois que sans convivialité on n'y arrive pas.

En fait, soigner l'humain c'est soigner le vivant...

Oui bien sûr c'est exactement ça. La LPO est passée de 3000 membres et trois salariés à aujourd'hui 65 000 membres et 550 salariés. C'est la première association naturaliste de France et j'en suis très fier.

Je te sens toujours bouillonnant et enthousiaste. On vit une époque qui est quand même assez angoissante. Il y a le dérèglement climatique, l'effondrement du vivant qui est spectaculaire en France, en Suisse et dans le monde entier... Comment comment vis-tu cela ?

Le feu sacré demeure, par la révolte, malheureusement. On a toute de même eu des victoires, comme la loi de 1976 qui va protéger un certain nombre d'espèces. Ce sont des victoires formidables pour la nature, comme quand on crée des réserves et des parcs nationaux. Hélas, aujourd'hui nos seules victoires c'est quand on arrive à repousser une défaite. C'est-à-dire quand on endigue une agression. Ça pourrait être pire, on a réussi à faire en sorte que ce ne soit pas aussi tragique, mais c'est quand même frustrant. Alors, devant le déclin, il faut se rappeler quand même que dans les années 70 toutes les espèces emblématiques étaient à l'agonie. Il y avait moins de 10 couples de cigognes blanches, aujourd'hui il y en a plus de 5500. Il restait 30 couples de castors, aujourd'hui il y en a pas loin de 30 000. Les vautours fauves avaient disparu du ciel cévenol, aujourd'hui ils attirent les touristes tellement ils sont nombreux et nous offrent un spectacle merveilleux. On pourrait parler de beaucoup d'espèces emblématiques qu'on a réussi à sauver par la loi et l'engagement des associations. C'est quand même très encourageant pour l'avenir, mais on est confronté à une situation plus grave parce que c'est un changement de paradigme qui s'impose avec l'agriculture intensive et son cortège chimique, l'artificialisation, etc. Alors que quand on a sauvé les espèces emblématiques j'ai envie de dire que c'était chirurgical : dans un coin on faisait tel ou tel aménagement qui était profitable rapidement et directement.

Mais, ce que je trouve intéressant, c'est que dans les années 1970 quand on voulait protéger la nature, on la mettait sous cloche. Quelques initiés avaient le droit de savoir qu'il y avait une aire avec des grands-ducs dans un coin et on ne le disait surtout à personne. Aujourd'hui, c'est l'inverse. Le patrimoine naturel est un bien commun qui appartient au plus grand nombre et pour moi c'est un relais formidable que les citoyens s'approprient la beauté et la fragilité de la nature. Il y a donc une évolution des mentalités qui est extrêmement importante.

Je vois aussi la société bouger quand on regarde par exemple les végans, ce sont des jeunes qui ont entre 18 et 35 ans et pas forcément des enfants de la SPA. Ce sont des jeunes qui s'interrogent sur leur relation au vivant, qui ne font pas de pragmatisme tout en étant extrêmement pudiques. Mais ils font un choix de vie et quand on voit qu'il y a des menus végans dans les TGV ce n’est pas par hasard, c'est qu'ils sont de plus en plus nombreux ces jeunes. Voyons la société bouger ! J'en appelle au président de la République, à tous ceux qui nous dirigent, regardez bouger la société, on a besoin de plus de paix, de respect du vivant. On est les rois du monde pour les belles déclarations, mais dans la réalité des faits on n’est vraiment pas de niveau, c'est pathétique.

Mais je vois quand même un espoir qui se dessine. D'abord, parce qu'on n'a pas le droit de tourner le dos, sinon ça s'appelle tout simplement la lâcheté. Je n'ai pas envie de vivre avec de la lâcheté et je pense qu'il y a un potentiel avec les jeunes extraordinaires. Il n'y a qu'un problème, c'est qu'en attendant qu'on résolve ces difficultés qui agressent la biodiversité il y a de la souffrance, il y a de la maltraitance de la nature inacceptable. Chaque jour qui passe, c'est encore une couche de plus de maltraitance et de souffrance et ça ce n'est pas acceptable donc, dans la biodiversité comme pour le climat, on est dans l'urgence.

Quel message aurais-tu envie de donner aux jeunes aujourd'hui ?

Je crois que faire acte d'engagement, c'est d'abord un très beau geste. C'est une capacité de rencontrer d'autres, d'échanger, de construire et d'être utile sur la planète.

Et à ceux qui ne sauraient pas quoi faire ou qui sont un peu seuls dans leur engagement ?

La première action possible, c'est tout simplement d'adhérer à une association de protection de la nature. Il en existe beaucoup et c'est un geste de solidarité à l'égard de l'engagement de ces associations. Cela donne aussi aux associations plus de pouvoir auprès des dirigeants, que ce soient des entreprise ou des politiques. Plus on est nombreux et représentatifs, plus notre message est écouté.

Ce qui me touche particulièrement dans ce que tu viens de dire, c'est cette notion de souffrance. On parle beaucoup du déclin de la biodiversité, des espèces qui disparaissent, alors qu'on devrait dire qu'ils sont exterminés...

Je crois qu'il faut cesser de parler à l'égard de la faune sauvage de populations, d'espèces, de stocks, etc. C'est une masse d'individus dont chacun d'entre eux a un ressenti particulier. Il faut le prendre en compte et cette souffrance subite est inacceptable. Quand on a une peine d'amour ou une rage de dents on est réveillé la nuit par ces souffrances. Il y a des animaux sauvages ou domestiques à qui l'homme impose cette souffrance constante. J'ai envie de dire singulièrement dans les élevages que certains animaux vont naître et mourir avec cette charge insupportable. On est au 21e siècle, on a un devoir de soulager. Nous sommes les dominants sur la planète et à ce titre on a le devoir élémentaire d'être à l'écoute du plus faible.

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