Lézard vert : faire une place au soleil pour le gardien des pierres
Avec le fond du jardin aménagé rien que pour lui, le lézard vert fera-t-il l’honneur de sa visite ?
Avec le fond du jardin aménagé rien que pour lui, le lézard vert fera-t-il l’honneur de sa visite ?
Quand on est naturaliste, ou simplement soucieux de préserver la nature sauvage autour de soi, les beaux principes se confrontent vite à l’épreuve du réel. À commencer par la manière d’habiter le monde en grignotant le moins d’espace possible.
Mettre ses actes en cohérence avec ses idées, voilà un vrai défi. Mais la culture, l’éducation et la force des modèles imposés par le collectif conduisent parfois à des choix paradoxaux.
C’est ainsi qu’un jour, j’ai choisi de construire une maison en bordure d’un petit village. Je me suis focalisé sur le caractère écologique du bâti, les matériaux et la consommation d’énergie… en négligeant l’artificialisation de l’espace naturel que cela engendrait.
Depuis quinze ans, je cherche quotidiennement à compenser l’impact de ce choix hâtif. Le jardin est un terrain de jeu idéal pour cela et la connaissance de la biodiversité locale un atout précieux pour agir du mieux possible.
Voilà pourquoi je m’attache avec passion à créer un petit paradis pour une créature que j’affectionne particulièrement : le lézard vert.
Créer un petit paradis pour les reptiles dont les lézards verts
Les reptiles sont victimes en première ligne de la fragmentation des milieux naturels par l’urbanisation.
Seul le lézard des murailles y trouve en partie son compte (> Un dragon à la maison, Sal. n° 264).
Pour les autres, pour autant qu’ils soient encore présents aux alentours, quelques aménagements simples sont vite bénéfiques et réjouissants.
J’ai creusé une mare qui est régulièrement adoptée par la couleuvre à collier helvétique en chasse. La large haie champêtre qui borde le terrain à l’ouest est un trésor de vie qui abrite l’agile couleuvre d’Esculape.
L’impressionnante couleuvre verte et jaune passe occasionnellement dans le quartier en suivant les corridors d’herbe non tondue. Quant au discret orvet, le réseau de composts des potagers environnants lui offre une multitude de cachettes douillettes.
La particularité de mon terrain est de se situer dans la continuité d’une mosaïque de pelouses buissonnantes et de boisements appartenant à un site Natura 2000.
Parmi les prestigieux habitants de cet espace reconnu au niveau européen figure le fameux lézard vert. Il est ici en limite d’aire de répartition, ce qui signifie que plus au nord et plus à l’est, les conditions climatiques fraîches et humides ne lui conviennent plus. La vaste friche de ronces qui préexistait avant mon jardin ne lui était vraisemblablement pas favorable. J’ai donc saisi l’occasion pour offrir un nouvel espace à cette espèce rare.
Quelques individus erratiques avaient déjà pointé le bout de leur museau aux abords de la maison. De bon augure pour la réussite de mon entreprise ! Pendant l’hiver, j’ai entamé la reconversion d’une petite portion du murger – nom local pour un monticule issu de l’épierrage de champs ou de vignes – recouvert de frênes au bout du jardin. Impossible de ne pas penser aux anciens lors de cette manutention laborieuse et répétitive. L’effort que j’ai fourni est pourtant insignifiant au regard de celui qui a été nécessaire pour façonner les paysages pendant des décennies…
Après quelques jours, le dôme minéral est prêt. Chacun des cailloux, parmi les centaines déversées, ne dépasse pas 20 cm de longueur. Cela constituera autant de dédales et de mini-grottes pour mes locataires à écailles. Pour compenser l’exposition nord du terrain, peu favorable aux lézards amateurs de chaleur, j’ai donné plus de corps aux faces est, sud et ouest du tas de pierres.
Autour du temple : une ceinture d’herbes folles et un roncier récalcitrant. Cet épineux, pour peu qu’il soit régulièrement contenu par la gourmandise des deux boucs, sera hautement apprécié par le reptile. Il lui fournira une mi-ombre et une protection contre les chats errants ou contre le couple de faucons crécerelles domicilié dans la ferme toute proche.
Quand mars arrive, je commence à surveiller les bulletins météo. Si le soleil est généreux, le lézard vert est censé sortir d’hibernation à la fin de ce mois. Je me rends bien entendu sur le terrain, parmi les vignes bien exposées derrière la colline. Mais c’est encore trop tôt…
La sortie d'hibernation du lézard vert
Quelle joie quand, le 12 avril, affairé aux tâches printanières du potager, je discerne la silhouette reptilienne tant attendue. L’animal vert émeraude est allongé sur un caillou ocre datant du Jurassique – 150 Ma –, qui a connu les dinosaures ! Cela suffit à me faire rêvasser quelques minutes.
En vérité, je n’attendais pas une adoption aussi rapide de mon hôtel à lézards. C’est un robuste mâle, dont la gorge n’est pas encore parée de bleu nuptial. J’espère que monsieur est animé du fort instinct territorial qui fait sa réputation et qu’il va signer le bail.
Je reverrai ce nouveau voisin au même endroit tous les jours ensoleillés, jusqu’au 30 avril. Mais le 1er mai, c’est une femelle qui prend sa place et l’occupe plusieurs semaines durant ! Je prends souvent plaisir à les approcher l’un puis l’autre afin d’admirer leur somptueuse livrée.
Quand ma proximité devient gênante, ils n’ont que quelques pas à faire pour se faufiler en un éclair dans les anfractuosités du monticule, ou parmi les herbes encore jaunies par l’hiver.
Le 8 juin, j’ai enfin la conviction d’avoir atteint mon objectif. Alors que la femelle profite des derniers rayons venus de l’ouest, je remarque que le bout de sa queue est maintenu dans la gueule du mâle, dont la tête est désormais flamboyante de turquoise. Les deux membres du couple semblent littéralement très attachés l’un à l’autre !
Le 23 juin, je découvre avec tristesse la femelle privée de sa queue. C’est peut-être à cause des accouplements, réputés sportifs chez les lézards ? Mais le suspect numéro un reste le chat domestique. Et contre ce danger, je n’ai malheureusement pas de solution.
Les observations se multiplient ensuite jusqu’à la fin de l’été. Je noterai le passage d’un immature âgé de 1 an et la visite d’une autre femelle non amputée. Je suis fier d’accueillir cette espèce rare et heureux de contribuer à mon échelle à une meilleure cohabitation avec la diversité du vivant.
Vivement le printemps prochain !
3 faits à connaître sur le lézard vert
Rester au chaud
Le lézard vert est désormais appelé lézard à deux raies en France, où il est répandu au sud d’une ligne Brest-Besançon. Au nord de cet axe, le reptile est soit absent, soit sévèrement contraint par les conditions climatiques. Il se réfugie alors à très basse altitude et sur les secteurs bien exposés. En Suisse, Lacerta bilineata est classé vulnérable sur la liste rouge et se cantonne dans la frange méridionale du pays.
Bon à croquer
Le lézard vert est un prédateur qui se régale d’insectes comme les coléoptères, criquets, sauterelles ou encore chenilles non poilues. Cloportes, araignées, petits mollusques et lombrics sont également capturés. Plus rarement, le reptile jette son dévolu sur des lézardeaux – y compris de sa propre espèce ! – ou des nouveau-nés de micromammifères.
Zone à défendre
Le territoire des lézards verts s’étend de 200 à 1 200 m2 selon les conditions. Le mâle, très sédentaire, défend ardemment son domaine vital et peut s’accoupler avec plusieurs femelles. On observe parfois une hiérarchie parmi ces dernières. Deux pontes sont possibles dans l’année : une fin mai et la seconde fin juin. Les 5 à 15 œufs sont pondus dans le sol et ne sont pas incubés par les parents. L’éclosion a lieu après cinquante à cent jours.
Cet article est extrait de la Revue Salamandre
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