Cet article fait partie du dossier
Le silence des grenouilles
Le point sur le déclin des amphibiens
Le spécialiste des amphibiens Jean-Pierre Vacher répond aux questions de La Salamandre sur la situation de ces animaux en France.
Le spécialiste des amphibiens Jean-Pierre Vacher répond aux questions de La Salamandre sur la situation de ces animaux en France.
Jean-Pierre Vacher, pendant 11 ans, vous avez intensivement travaillé à la protection des amphibiens en Alsace au sein de l’association Bufo. Comment ces animaux se portent-ils?
Le déclin des amphibiens est malheureusement planétaire. En Alsace, les suivis annuels que nous avons mis en place à partir de 2005 montrent une stabilité des populations voire des baisses locales d’espèces courantes qui ne sont pas toujours très faciles à interpréter. Peut-être ces animaux diminuent-ils vraiment, peut-être manquons-nous simplement de données récentes. C’est difficile à dire. Quant aux espèces rares qui ont fait l’objet d’un plan d’action comme le crapaud vert, elles se sont plutôt bien maintenues.
Et la fameuse grenouille des champs?
C’est une espèce continentale qui atteint sa limite de répartition dans la vallée du Rhin. L’aménagement à grande échelle du fleuve au cours du XXe siècle a sans doute fait disparaître la plupart des populations jusque dans les années 1970. En 2006 et 2009, j’ai eu la chance d’en retrouver trois individus… mais je suis arrivé trop tard. Depuis lors, malgré des prospections répétées et la pose d’hydrophones dans les sites de ponte potentiels pour repérer le chant de mâles, l’espèce n’a plus été retrouvée en Alsace. Du côté allemand du Rhin, la situation est malheureusement similaire.
L’espèce a-t-elle disparu de France?
C’est ce qu’on a pu craindre… mais d’autres petites populations ont été découvertes dans les années 2000 dans le Nord et le Pas-de-Calais dans des gouilles de tourbières heureusement protégées.
Durant toutes ces années, vous avez évidemment participé à des actions de sauvetage le long des routes?
Bien sûr! Sur les deux départements alsaciens, il y a environ 80 tronçons routiers qui font l’objet de ce genre de mesures. Tous sont mis en place par les Conseils départementaux, avec l'implication sur le terrain d'équipes de bénévoles, épaulés par les brigades vertes dans le Haut-Rhin. En parallèle, nous avons contribué à la gestion de nombreux espaces naturels protégés en intégrant les besoins des amphibiens. C’étaient des années très riches!
Etes-vous toujours actif en Alsace?
J’ai toujours des contacts étroits avec l’équipe de Bufo, mais je suis parti en 2013 à Toulouse pour réaliser une thèse sur les grenouilles du plateau des Guyanes. En Amazonie, on connaît encore très mal les innombrables amphibiens qui peuplent la forêt. Beaucoup de ceux qui sont décrits actuellement regroupent en réalité plusieurs espèces distinctes. C’est important de pouvoir les différencier et de connaître leur aire de distribution pour envisager le cas échéant de les protéger. Voilà à quoi je m’emploie actuellement.
Pour en revenir à la France, avez-vous eu eu la chance d’observer la grenouille des Pyrénées, cette espèce extrêmement localisée découverte par la science en 1993?
Oui! J’ai participé voici quelques années à l’encadrement d’un stage destiné aux gardes de l’ONF dans le Pays Basque. Un jour, nous sommes allés prospecter un torrent de montagne pour trouver des calotritons des Pyrénées, une espèce parente des tritons également exclusive à la chaîne pyrénéenne. En plus des calotritons, nous avons trouvé dans certaines vasques bien oxygénées de curieux têtards noirs avec de petits points blancs caractéristiques. La fameuse grenouille n’était pas loin! Et à force de la chercher, nous avons finalement trouvé un individu dans le torrent non loin de là. C’était un grand moment d’observer cette petite grenouille des Pyrénées si particulière.
De nombreuses menaces planent sur les amphibiens, notamment l’introduction d’espèces exotiques. Que pensez-vous notamment de la grenouille taureau?
L’introduction de cette espèce américaine dans l’ouest de la France a fait couler beaucoup d’encre. En Gironde par exemple, de nombreux articles ont annoncé une véritable catastrophe écologique. On a photographié cette grenouille géante en train de dévorer des amphibiens locaux, des reptiles… et même un martin-pêcheur! Je pense tout de même que l'on se trompe de cible avec les « espèces exotiques envahissantes ». Déjà sur notre planète, il n'existe pas d'espèces exotiques (pour cela, il faudrait qu'elles viennent d'une autre planète). De plus, n'importe quelle espèce qui colonise un nouveau milieu induit des changements, que l'on peut, si l'on veut, qualifier de déséquilibres par rapport à une situation observée à un instant t. Doit-on pour autant les diaboliser ? De quel droit attribuons nous une étiquette aux autres espèces ? Pourquoi sommes nous émerveillés par le faucon pèlerin qui colonise les centres villes ou la mante religieuse qui ne cesse sa progression vers le nord, mais sommes nous horrifiés par l'apparition de la grenouille taureau ? Il faut savoir se détacher d'une vision stéréotypée de la nature pour mieux appréhender sa conservation.
Et le champignon chytride responsable de véritables hécatombes en Australie, au Panama et ailleurs dans le monde?
Ce champignon tueur d’amphibiens semble particulièrement virulent en altitude. En France, l’essentiel des dégâts se localise pour l’instant dans les Pyrénées. Là-bas, cette maladie qui s’attaque à la peau des adultes a pratiquement éradiqué le crapaud accoucheur et a aussi sévèrement touché le crapaud commun. Une autre espèce de chytride est récemment parvenue aux Pays-Bas, en Belgique et en Allemagne. Elle attaque essentiellement les salamandres qui sont en train de disparaître dans certaines régions de ces pays.
Et le réchauffement climatique?
Conjointement à la destruction des zones humides, je pense que c’est finalement le plus gros souci. Les amphibiens ont des capacités d’adaptation réduites, et ils sont très sensibles aux facteurs climatiques. Et puis, comment ces animaux pourront-ils se déplacer pour réagir à l’élévation des températures alors que le territoire est complètement morcelé? L’homme a construit des obstacles partout! Les amphibiens sont à température variable, ils sont étroitement liés à l’humidité de l’air: ils sont donc aux premières lignes. Et pas grand chose pour l’instant ne peut nous encourager à revoir à la baisse les inquiétantes prédictions des climatologues.
Cette interview est un bonus de notre dossier Le silence des grenouilles de février 2017.
Lire aussi notre article Pourquoi les amphibiens n'ont-ils pas encore disparu.
Ils sont nombreux à se battre pour sauver les amphibiens, échantillon sur Ils se mouillent pour les grenouilles.
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