Après le charbon, la vie recouvre les terrils
Montagnes de déchets issues de l’exploitation minière, les terrils du Nord et du Pas-de-Calais sont de nos jours des trésors de biodiversité. À l’instar de celui de Pinchonvalles, préservé par l’association Eden 62.
Montagnes de déchets issues de l’exploitation minière, les terrils du Nord et du Pas-de-Calais sont de nos jours des trésors de biodiversité. À l’instar de celui de Pinchonvalles, préservé par l’association Eden 62.
Au cœur du plat pays du nord de la France, les terrils, collines de schiste noir et de grès issues de l’exploitation minière, trônent par centaines. Ces monticules symbolisent deux siècles de cet âge du charbon ayant marqué – et meurtri – tout un territoire. Aujourd’hui, ils sont une fierté pour les Ch’tis. Dans la petite cité minière d’Avion, le terril de Pinchonvalles domine la plaine d’Artois. Érigé entre 1944 et 1977, c’est un terril plat d’une longueur de 1,75 km. Un record en Europe. Mais, à moins d’être un local, impossible de savoir que l’on se trouve sur un tas de charbon.
Depuis les années 1980, le terril de Pinchonvalles est un espace protégé, devenu espace naturel sensible, en raison de la présence de nombreuses espèces végétales ou animales remarquables. Cotonnière naine ou oseille à écusson parmi les plantes, crapaud calamite, alyte accoucheur, lézard des murailles ou encore grillon d’Italie pour ce qui est du bestiaire. Dans le nord de la France, ces raretés se concentrent presque uniquement sur ces habitats au substrat si particulier.
La riche biodiversité peuplant les montagnes de houille prend racine dans l’histoire industrielle des lieux, à l’instar des fruitiers visibles à leur pied. « Ces pommiers anciens viennent de l’exploitation des mines, explique Kevin Wimez, chargé de communication pour Eden 62, association missionnée par les pouvoirs publics pour protéger la biodiversité locale. Quand les mineurs étaient au fond, ils jetaient le trognon dans la berline de schiste. » Le transport de troncs utilisés pour consolider les galeries des mines, en provenance de régions montagneuses, a lui aussi contribué à la colonisation des terrils. « Ces poutres en sapin transportaient des graines qui se sont retrouvées dans un milieu qui leur convenait », précise Kevin Wimez. Oiseaux, vent ou semelles ont aussi apporté leur lot de semences.
Une protection nécessaire
Par un samedi ensoleillé et d’une fraîcheur automnale revigorante, Quentin Vercamer et Aurélien Catto, gardes nature pour Eden 62, sont venus inventorier des libellules et des plantes. Ils ont croisé deux chevreuils – de plus en plus présents, comme les sangliers – et quelques promeneurs venus à la cueillette aux champignons. « Comme les champignons sont par définition de grands capteurs de pollution, je ne mangerais pas ceux d’ici », sourit Quentin Vercamer.
Ici, les agents d’Eden 62 tentent de conserver un équilibre entre zones forestières et milieux ouverts. Le défi est d’éviter la prolifération des plantes non indigènes, comme les cotonéasters qui ont une fâcheuse tendance à prendre un peu trop de place. Eden 62 s’affaire notamment au sommet du terril pour garantir un contexte favorable à certaines espèces tel l’œdipode turquoise, plus à l’aise dans les zones découvertes et arides. « Sans action de notre part depuis quinze ans, nous aurions perdu beaucoup de diversité ici », glisse Kevin Wimez. Eden 62 lutte également contre les nuisances liées à l’occupation humaine. En plus de ramasser les déchets, l’association tente de dissuader les amateurs de moto-cross de dévaler les pentes charbonneuses, un loisir qui détruit la végétation pionnière.
Mosaïque naturelle
Grâce à cette gestion, Pinchonvalles a pu conserver la richesse des biotopes, entre prairie, forêt et steppe. « Nous gérons six sites de terrils qui sont tous très différents. Ici, ce qui est assez frappant, c’est qu’on est sur la face nord, complètement boisée, explique Kevin Wimez. C’est le versant le plus humide. Il est colonisé par les bouleaux et les chênes. » Là, de petites mares formées par les pluies permettent à de nombreux amphibiens de se reproduire. « Sur la face sud, poursuit le chargé de communication, on va retrouver de la végétation spécifique, comme les plantes dites thermophiles. Le substrat est noir. Il capte les rayons du soleil et chauffe très vite. » Les pentes ensoleillées profitent ainsi au pavot cornu, une fleur jaune vif d’habitude coutumière des zones littorales. Comme un rayon de soleil sur le noir charbon venu de l’obscurité.
Collines ardentes
Si Pinchonvalles est un écrin de nature, les terrils peuvent aussi être... torrides. En effet, plus cet habitat est ancien, plus il est susceptible d’entrer en combustion. Au début du XXe siècle, les lavoirs à charbon étaient moins efficaces et le tri était manuel. « Ce qui laissait davantage de résidus de charbon et d’anfractuosités vides, favorisant l’auto-inflammation causée par la combustion spontanée de la pyrite, un minéral contenu dans le schiste », raconte Kevin Wimez pour Eden 62.
Sur l’un des terrils gérés par l’association à Haillicourt, des fumeroles émanent du sol, comme sur un volcan. « Il fait très chaud, il y a des émanations de gaz. Vous ne mettriez pas la main, tellement ça brûle ! », ajoute le naturaliste. Ces conditions extrêmes attirent pourtant certains criquets. Le site d’Haillicourt accueille même des vignobles : on y produit du chardonnay, ou plutôt du… charbonnay !
Plus au sud, sur le terril des Argales, des géologues ont mesuré à certains endroits des températures de 600 °C à 30 cm de profondeur ! Si les points chauds sont connus et maîtrisés, il ne faut toutefois pas oublier qu’un terril peut être dangereux. Le 26 août 1975, celui de Calonne-Ricouart (Pas-de-Calais) a explosé, tuant six personnes.
Cet article est extrait de la Revue Salamandre
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