© Théo Tzélépoglou

Effarouchements de vautours en France : le début d’une dérive ?

En Aveyron, l’autorisation récente d’effaroucher les vautours fauves avec des tirs à blanc a provoqué l’émoi chez les scientifiques, les naturalistes, ainsi que chez certains agriculteurs. Il fait suite à des plaintes d’éleveurs témoignant d’attaques sur leur bétail. Mais ce comportement est-il possible ? Le sujet fait débat. Éclairage.

En Aveyron, l’autorisation récente d’effaroucher les vautours fauves avec des tirs à blanc a provoqué l’émoi chez les scientifiques, les naturalistes, ainsi que chez certains agriculteurs. Il fait suite à des plaintes d’éleveurs témoignant d’attaques sur leur bétail. Mais ce comportement est-il possible ? Le sujet fait débat. Éclairage.

Les vautours aveyronnais seraient-ils devenus agressifs et prêts à attaquer des animaux vivants ? Depuis 4 ans, des plaintes de certains éleveurs de bovins locaux dénoncent des attaques de vautours fauves sur leurs cheptels dans cette région du Massif central. Début novembre, le préfet de l’Aveyron a autorisé des tirs d’effarouchement en cas d’interactions à problèmes dans 102 communes du département, du 1er mars au 15 novembre 2025 et 2026. Mais cette espèce étant strictement protégée par la loi, elle ne peut pas être ni chassée ni dérangée. Une dérogation a donc été nécessaire. Une consultation publique a été menée préalablement à ce projet de dérogation. Plus de 95 % des avis recueillis se sont déclarés défavorables à ces effarouchements. L’arrêté préfectoral est tout de même entré en vigueur pour apaiser des tensions locales.

> En vidéo : comment reconnaître le vautour fauve

Selon les spécialistes de l’écologie des vautours, la notion d’attaque est infondée scientifiquement et relève d’un problème de perception. « Les vautours sont des charognards et non des prédateurs. Dans le Massif central et donc en Aveyron, ils étendent leur aire de répartition et recolonisent des territoires où les éleveurs n’ont plus l’habitude de les voir. Il y a une forme d’extinction d’expérience », déclare Jean-Baptiste Mihoub, écologue au Centre d'Écologie et des Sciences de la Conservation (CESCO).

Des charognards et non des prédateurs

Au XIXe siècle, en France, ces grands rapaces avaient la réputation de dévorer les troupeaux et les enfants, ce qui a entrainé leur quasi-éradication jusque dans les années 1950. Vingt ans plus tard, un programme de réintroduction mené par des scientifiques a débuté dans les Grands Causses, en Occitanie. Entre 1981 et 2006, cinq programmes ont été ensuite conduits dans le sud de la France, notamment dans les Alpes, et ont permis à l’espèce de recoloniser le pays. Ce n’est que dans les années 2000 que les éleveurs ont pu tirer profit de leur rôle d’équarrisseurs naturels, puisque les vautours consomment la majeure partie des cadavres de vaches ou de brebis issues de l’élevage extensif.

Pour parfaire la relation avec les éleveurs, la Ligue de protection des oiseaux (LPO) et le parc national des Cévennes ont tout d’abord mis en place des collectes d’équarrissage pour alimenter des charniers. Elles sont de plus en plus remplacées par la mise en place de placettes individuelles gérées directement par l’éleveur agrée. Cela évite le coût environnemental et financier de l’équarrissage industriel, qui rejette du CO2 dans l’atmosphère via le transport et la combustion. Les vautours s’alimentent toutefois en majeure partie des cadavres de la faune sauvage qu’ils trouvent seuls.

Soutenez la Salamandre !
Les gorges du tarn, entre le Causse Méjean et le Causse de Sauveterre / © Théo Tzélépoglou
Un charnier géré par la Ligue de la Protection des Oiseaux (LPO) / © Théo Tzélépoglou

«Dans ce cas, les vautours vont seulement accélérer un processus naturel»

Mais les vautours attaquent-ils en plus des bêtes vivantes ? Pour Jean-Baptiste Mihoub, les interactions entre les vautours et des animaux en vie sont extrêmement rares : « Elles peuvent exister, mais sont extrêmement marginales, de l’ordre de 0,02% sur les scènes documentées. Ils arrivent toujours sur des animaux affaiblis lors de mises bas compliquées, qui allaient mourir dans les prochaines minutes. Dans ce cas, les vautours vont seulement accélérer un processus naturel. Ils peuvent aussi consommer le placenta ou un veau mort-né. Les vautours détectent un animal mort très rapidement. Quand certains éleveurs arrivent plus tard et voient de nombreux vautours sur sa bête, ils pensent qu’ils l’ont tué. »

Selon Léo Nakich, le président des jeunes agriculteurs de l’Aveyron, ces affirmations ne sont pas corrélées avec l’expérience du terrain : « Il y a des cas d’attaques sur des bêtes en pleine forme, pour certaines dans des moments clés comme la mise bas, mais aussi dans des cycles de vie normale ». Samuel Maynard, un exploitant des communes du Levezou et secrétaire général de la Fédération départementale des syndicats d'exploitants agricoles (FDSEA) de l'Aveyron, semble être sur la même longueur d’onde : « le vautour c’est un charognard qui est en train de changer de comportement, car aujourd’hui il y en a trop et ils ont du mal à se nourrir ».

Les vautours autorégulent leur population en fonction de la quantité de nourriture qu’ils trouvent.

Pourtant, aucune donnée ne laisse entendre que les vautours sont trop nombreux et que leur comportement pourrait changer. Cette année, seulement 634 jeunes vautours se sont envolés, un nombre en baisse par rapport à l’an dernier. Une étude montre par ailleurs que plus de 60% de l’alimentation de ces charognards a lieu en dehors des charniers dans cette région, ils n’ont donc pas de mal à se nourrir.

« Il y a 100 ans, les textes faisaient référence à des milliers de vautours sur tout le Massif central. Il est impossible de dire que la population est trop importante. Et puis quelle population ? Un jeune vautour se balade dans toute l’Europe pendant les cinq premières années. Les vautours d’Espagne, d’Italie, et d’Autriche sont tous liés et interconnectés, déclare Olivier Duriez, chercheur au CNRS et spécialiste de cette espèce. Les vautours autorégulent leur population en fonction de la quantité de nourriture qu’ils trouvent. Et cette année, sur tout le Massif central il y a eu moins de 10 plaintes d’attaques, dont seulement quelques-une avérées comme interactions ante-mortem. C’est très peu comparé à des milliers de carcasses consommées… ».

Pour une majorité, la cohabitation avec le rapace est bonne

La grogne semble localisée, selon Lionel Lafon, vétérinaire au groupement technique vétérinaire de l’Occitanie (GTV). Ce docteur réalise des expertises afin d’identifier la cause de la mort des animaux d’élevage. Et selon lui, le problème semble être uniquement sur la commune du Levezou : « On a aucun problème autour de Millau alors que c’est le centre des colonies de vautours. Pour l’instant, nous n’avons aucune preuve que les vautours puissent attaquer du bétail viable. Il peut y avoir de la place pour le doute, mais les éleveurs qui incriminent les vautours sont par contre catégoriques… », abonde le scientifique.

Interrogé sur ces hypothétiques attaques, Léo Nakich plaide le manque de preuves à partager au grand public, mais invoque une vidéo filmée sur la commune de Sévérac-d’Aveyron où l’on voit des vautours fuir à l’approche d’un éleveur, laissant une vache couchée ne semblant pas particulièrement acculée, mais présentant du sang à l’arrière-train. « Il faut être très méfiant avec ce genre de vidéos sorties de leur contexte », plaide Olivier Duriez, « on ne connait pas le cadre, et on a montré de nombreuses fois que les interprétations étaient mauvaises ».

Une majorité des éleveurs cohabite très bien avec ces grands planeurs. C’est notamment le cas d’Audrey Galtier, éleveuse sur le Larzac : « Je n’ai jamais eu de problèmes avec les vautours depuis plus de 13 ans. Une de nos vaches a eu un vêlage difficile. Elle a été par terre plus de 15 jours, bougeant très peu. Les vautours sont venus voir et sont partis au bout de quelques jours. Une autre a eu un prolapsus vaginal ce qui attire les vautours selon les dires de certains. Elle était malade et n’a pas non plus été attaquée. Certaines de mes bêtes sont toute l’année dehors sur le Larzac et mettent bas seules, et pourtant je les ai toujours retrouvées en bonne santé. » Bernard Bousquet est éleveur à Millau. Pour lui non plus les vautours n’ont jamais été un souci : « J’ai des vaches depuis 40 ans, les vautours ne les ont jamais attaquées, même lors de vêlages compliqués. Ils ne mangeaient que les veaux mort-nés, ça m’évitait d’appeler l’équarrisseur… »

Un vautour fauve / © Théo Tzélépoglou
Vautours fauves / © Théo Tzélépoglou

Du plomb dans les ailes

La tension qui frappe le Massif central n’est pas nouvelle en France. Des sociologues ont étudié la mise en place d’un essai de concertation dans les Pyrénées sur le même sujet. Dans leur rapport, ils concluent que « l’incapacité à se prononcer de façon systématique sur les causes de la mort des animaux et l’incertitude sur l’ampleur véritable du phénomène ont eu pour effet non seulement de pérenniser un climat latent et durable de suspicion entre les parties prenantes, mais aussi de cristalliser davantage la controverse en rendant irréductibles les relations de tensions entre acteurs institutionnels, et en favorisant l’entrée en controverse des éleveurs.

Les mêmes problématiques sociologiques semblent avoir gagné l’Aveyron et clivent deux camps qui ne semblent pas s’entendre, bien que le dialogue reste ouvert. De son côté, la LPO se montre inquiète d’éventuelles dérives. En 2021, une analyse de 783 vautours retrouvés morts révèle que 20% d’entre eux présentaient du plomb de chasse et 6% étaient morts directement à cause d’un tir.

« Nous constatons une augmentation du braconnage sur toutes les espèces de rapaces depuis plusieurs années. Cet arrêté préfectoral est inquiétant, car il donne une mauvaise image des vautours aux yeux du grand public, ce qui vient saper le fruit d’un travail de 50 ans de revalorisation sur ce nécrophage indispensable à nos écosystèmes », déclare Léa Giraud, responsable technique du site des Grands Causses à la LPO. Un constat partagé par Olivier Duriez : « Cette autorisation ouvre la voie à des tirs létaux. Mais qui va contrôler quoi que ce soit ? L’Office français de la biodiversité (OFB) n’est plus le bienvenu dans de nombreux endroits et les Causses sont immenses… ».

En face, il y a des positions dures. Le président des Jeunes Agriculteurs de l’Aveyron, Léo Nakich, ne plaide pas pour une extermination de l’espèce. Mais il veut aller plus loin que les seuls tirs d'effarouchement : « nous voulons une régulation de l’espèce ». Pour Léa Giraud : « il n’y a pas de placettes d’équarrissages autorisées pour les bovins. Il n’y a donc pas la même relation entre les vautours et les éleveurs ovins qui ont l’habitude d’avoir des interactions avec l’espèce. »

On a voulu encadrer ces tirs expérimentaux afin de répondre à un contexte social difficile.

Le Conseil scientifique régional du patrimoine naturel a émis un avis favorable à cette autorisation de tirs de dissuasion, malgré de nombreux débats et des désaccords en interne. Selon sa présidente, Magali Gérino : « On a voulu encadrer ces tirs expérimentaux afin de répondre à un contexte social difficile et parce que cet avis ne remet pas en cause le statut de conservation de l’espèce. Mais nous sommes toujours dans l’attente d’un retour de la préfecture sur notre demande de protocole pour évaluer l’efficacité du dispositif de manière à en tirer des conclusions scientifiques. »

À ce jour, chaque tir doit faire l’objet d’une demande en préfecture, qui a 24 heures pour donner un avis favorable. Les tireurs devront suivre une formation au préalable délivrée par l’OFB. Un dispositif qui semble peu efficient sur le moment, surtout quand on sait que « la simple présence humaine suffit à éloigner des vautours… », précise Magali Gerino.

Pour les naturalistes et les scientifiques, l’arrivée de cet arrêté symbolise une régression sur les questions environnementales. Certains y voient le retour de l’obscurantisme qui a causé le déclin des populations de l’espèce en France. « Les manifestations agricoles du mois de janvier, les tirs facilités des loups, l’aversion envers l’Office français de la biodiversité ont été des éléments favorisant un contexte à la publication de cet arrêté », conclut Olivier Duriez, inquiet. Face à ce tableau litigieux, rappelons que la réintroduction du vautour fauve remplit un rôle sanitaire fondamental dans la chaîne du vivant, mais aussi économique, puisque leur présence participe au succès de l’écotourisme.

Catégorie

Écologie

Tags

Ces produits pourraient vous intéresser

Agir pour la nature au jardin

24.00 €

Le grand livre de la nature

69.00 €

Les plantes sauvages

49.00 €

Agenda de la nature au jardin 2024

6.00 €

Découvrir tous nos produits

Poursuivez votre découverte

La Salamandre, c’est des revues pour toute la famille

Découvrir la revue

Plongez au coeur d'une nature insolite près de chez vous

8-12
ans
Découvrir le magazine

Donnez envie aux enfants d'explorer et de protéger la nature

4-7
ans
Découvrir le magazine

Faites découvrir aux petits la nature de manière ludique

Salamandre newsletter
Nos images sont protégées par un copyright,
merci de ne pas les utiliser sans l'accord de l'auteur