Promenade au pays de la pierre sèche
Au cœur du Jura neuchâtelois, un réseau de murs de pierres sèches dessine un paysage spectaculaire. A la découverte d’un patrimoine vieux de cinq siècles.
Au cœur du Jura neuchâtelois, un réseau de murs de pierres sèches dessine un paysage spectaculaire. A la découverte d’un patrimoine vieux de cinq siècles.
Un vent glacial balaie le col de la Vue des Alpes. Les dernières brumes se dissipent, le soleil dépouille hêtres et épicéas de leurs dentelles de givre. « Là-haut, l’hiver joue souvent les prolongations », m’annonce avec jovialité Elodie Gerber, assistante de projet nature et paysage pour le parc naturel régional Chasseral. La jeune ingénieure en gestion de la nature est impatiente de me faire découvrir le chantier auquel elle contribue très concrètement.
Sans plus tarder, bien emmitouflés et accompagnés du chant de la grive draine, nous rentrons dans la forêt. La neige s’est à peine retirée. Les herbes couchées au sol se teintent ici et là du vert tendre des hellébores. Un peu plus loin, le bois-gentil est en pleine floraison. Sur les bords du chemin, les fourmilières bruissent de l’activité des premières ouvrières déjà réveillées.
La pierre plutôt que le bois
Le paysage s’ouvre, la forêt fait place au pâturage boisé. De nombreux vestiges de murs en pierres sèches courent le long des lisières ou à travers les clairières. « Ces constructions datent de la fin du Moyen Age », m’explique Elodie. A l’époque, la forêt était surexploitée. Pour économiser cette précieuse ressource, les autorités ont interdit l’usage du bois pour dresser des clôtures et imposé celui de la pierre, disponible sur place en abondance.
Nous empruntons un passage borné de part et d’autre par des murets de pierres sèches. « Pour faciliter le déplacement du bétail, les agriculteurs d’autrefois ont façonné ces boviducs qui permettaient à une seule personne de conduire aisément son troupeau d’une parcelle à l’autre. » Ces chemins bordés de murs s’étendent sur une dizaine de kilomètres entre les montagnes de Chézard et de Cernier. Avec les constructions délimitant les parcelles, cela représente 36 km de linéaires. Une œuvre gigantesque qui a nécessité des siècles de construction et qui a été récemment classée d’importance nationale à l’inventaire des voies de communication historiques.
Mosaïque de vie
Jumelles vissées sur les yeux, nous cherchons l’hermine. Cet animal apprécie ces corridors minéraux où il peut se cacher. Son corps effilé se glisse avec aisance dans la moindre fissure. Mais le petit mustélidé ne montre pas le bout de son museau. Il est certainement occupé à poursuivre les campagnols dans leurs galeries souterraines qui minent les pâturages.
Nous sommes si absorbés par notre recherche que nous n’avons pas vu arriver un milan royal. Sa belle queue rousse étalée, le rapace tournoie à basse altitude au-dessus d’un bosquet d’épicéas qu’il pourrait bien choisir pour élever sa nichée. « La richesse biologique de la région tient à la présence de milieux très diversifiés, relève Elodie, forêts, pâturages boisés, allées de vieux arbres, haies, murets et parois rocheuses sont propices à la vie sauvage. Au parc naturel régional Chasseral, nous avons pour mission de protéger l’ensemble de ces milieux, tâche que nous accomplissons en partenariat avec les communes. »
Mètre après mètre
Nous progressons le long d’un mur en ruine couvert de mousses et de lichens. Par endroits, la construction est totalement effondrée, disparaissant sous des buissons. Quelques crocus pointent timidement leurs corolles au pied d’un églantier. Plus loin, un grand tas de belles pierres jaunes obstrue le passage. Puis des repères en bois surplombent une base de pierres finement ajustées. Nous voici sur le chantier.
« En 2013, un programme de restauration a été mis en place sur la montagne de Cernier. Près de 1 500 m linéaires ont été rénovés en six ans. » Cent soixante bénévoles accompagnés de professionnels ont participé à ces chantiers. C’est un projet qui prend beaucoup de temps : un muretier aguerri n’avance que d’un mètre par jour. Mais le résultat en vaut la chandelle. Les nouvelles constructions réalisées selon la tradition s’intègrent parfaitement dans le paysage. Et puis, elles sont faites pour durer.
« La nature et le tourisme sortent gagnants de ces travaux. Une nouvelle phase est en préparation et démarrera une fois le financement assuré », s’enthousiasme l’ingénieure. Pour l’heure, un ruban de pierres flambant neuf file entre deux haies, prêt à accueillir mousses, fougères, mulots et musaraignes. Et sitôt que le froid se fera moins mordant, des bénévoles motivés reprendront ce chantier interrompu par l’hiver. Autant de mètres supplémentaires pour la biodiversité et pour la joie des promeneurs !
Cet article est extrait de la Revue Salamandre
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