La mécanique du coucou, coulisses de tournage du nouveau film Salamandre
En 2014, La Salamandre confiait au réalisateur Nicolas Cailleret la difficile mission de réaliser un film sur un oiseau extrêmement discret. Résultat de ce travail de longue haleine, le documentaire La Mécanique du coucou sort en DVD. Extraits du carnet de tournage.
En 2014, La Salamandre confiait au réalisateur Nicolas Cailleret la difficile mission de réaliser un film sur un oiseau extrêmement discret. Résultat de ce travail de longue haleine, le documentaire La Mécanique du coucou sort en DVD. Extraits du carnet de tournage.
Samedi 12 mars
« C’est un bel étang naturel, ceint d’une épaisse forêt de feuillus. Un maigre cordon de roseaux habille partiellement ses berges. Je m’y enfonce pour la première fois, vêtu d’un pantalon de pêche. Aux tiges sèches s’accrochent encore ici ou là les reliques de vieux nids de rousserolle effarvatte, une fauvette aquatique fréquemment parasitée par le coucou.
Je suis là pour quatre mois et demi de tournage. Quoique la futaie haute et dense soit un obstacle pour l’œil de ma caméra, ce qui semble se passer ici chaque printemps entre rousserolles effarvattes et coucous gris retient toutes mes espérances… »
Dimanche 13 mars
« Le coucou exerce sur moi une véritable fascination. Sa discrétion, ses allures de petit rapace, ses mœurs inhabituelles le placent haut dans mon bestiaire affectif. J’en parle au bar du coin avec mon ami Jean-Marie Durand, également passionné par cet oiseau.
Nous sommes pareils aux marins de Melville évoquant Moby Dick.
Jean-Marie connaît bien les œufs de coucou. Il me confie qu’il lui est arrivé d’en trouver un au sol, sur la terre battue d’un sentier forestier. Il ne se l’explique autrement qu’en supposant que la pondeuse, n’ayant pu repérer de nid propice à parasiter, l’ait déposé là temporairement, avant de pouvoir commettre son larcin. »
Samedi 2 avril
« Ça y est, mon premier coucou de l’année s’est manifesté voici quatre jours. Je replonge un instant dans mes premiers émois naturalistes. Au cœur de mes pensées résonne le chant d’un coucou invisible et pourtant branché au-dessus de ma tête.
C’était un après-midi sans école dans les profondeurs d’un fossé que la hauteur des arbres démultipliait. Un corridor ombragé et serpentiforme où le regard ne porte pas et qui s’abandonne aux multiples bruits du dehors. Nos esprits d’enfants l’avaient peuplé de renards… et aussi de belettes enragées !
Je n’étais pas venu ici seul pour me faire peur, mais par attirance profonde pour les mystères de la nature. J’en fus ce jour-là profondément imprégné et comme ivre d’être resté si longtemps tête en l’air, à sonder ces cimes où chantait un coucou invisible. »
Mardi 3 mai
« Je le savais… la proximité de la forêt offre trop de couvert à mes coucous. Je suis sans cesse confronté aux affres de la contre-plongée. Sans parler du feuillage qui s’étoffe de jour en jour. Pourtant le site est bon. Qu’une femelle se manifeste, surviennent quatre, peut-être cinq mâles. S’engagent alors des poursuites qu’on ne distingue que par bribes, ça va trop vite et puis plus rien.
Au milieu de l’anse, il y a une presqu’île coiffée d’un bouquet de bouleaux. Une position centrale et convoitée. J’y ai bricolé un affût à demi camouflé par les saules verts. Un coucou soudain se pose sans bruit, c’est une femelle qu’un mâle aussitôt s’empresse de courtiser avec des oûr, oûr gutturaux. Il s’approche, ailes pendantes et plumes gonflées. Elle s’écarte, il lui fait le coup de l’offrande.
Je le vois décrocher une inflorescence de roseau. Trop à gauche, je ne peux pas filmer la scène. La caméra reste donc braquée sur la femelle. J’attends qu’il revienne avec son petit bouquet, mais déjà elle s’envole sans demander son reste. »
Mercredi 2 juin
« Pour filmer l’instant fugace où la femelle coucou vient pondre dans le nid de la rousserolle, j’ai misé sur l’endurance et la discrétion d’une petite caméra qui peut capturer douze heures d’images. Je vais en faire usage pour la première fois ce matin.
Selon mes observations, trois nids sont susceptibles de recevoir la visite du parasite. Mon choix se porte sur l’un d’entre eux à l’intuition. Et je me planque à l’affût non loin de là.
Vers 11 h, le chant d’un mâle déclenche la réponse d’une femelle que je n’avais pas vu jusqu’ici, car perchée au-dessus de moi ! Les deux oiseaux se poursuivent en lisière de forêt.
Difficile de cadrer leur évolution entre les arbres et par l’étroite ouverture de l’affût. A peine la femelle est-elle posée que, harcelée par une merlette, elle repart et va se percher sur un pin. Je ne la vois plus… La revoilà telle une panthère tapie sur sa branche, la tête dépassant à peine des aiguilles. Le nid est juste en dessous, déserté un instant par la rousserolle. Elle fond dans la roselière. Il est 12 h 06, les caméras tournent. »
Dimanche 12 juin
«Deux femelles se partagent la périphérie de l’étang. Celle de l’anse où je filme pond des œufs nuancés de beige. Ceux de la seconde sont teintés de vert, plus typiques des coucous spécialisés sur l’effarvatte. En fonction des nids parasités et de la géographie des lieux, j’imagine la frontière territoriale entre ces deux flibustières.
Je comprendrai plus tard que la femelle que je filme depuis un moment n’est pas légitime sur ces lieux.
Tandis qu’elle guette les mouvements de la roselière, la propriétaire officielle manifeste sa présence d’un gloussement caractéristique. Un puis deux mâles se précipitent, mais maldonne, s’en prennent à l’intruse. A la faveur d’une querelle entre prétendants, celle-ci quitte discrètement la place. Elle réapparaît peu de temps après pour reprendre son poste d’observation, mais disparaît sitôt que l’occupante attitrée fait connaître sa présence.
L’histoire ne s’arrête pas là. Je trouverai un œuf vert et un œuf marron dans deux nids de rousserolles à 10 m de distance à peine l’un de l’autre. »
Lundi 13 juin
«L’autre jour, j’ai posé la boîte malheureusement vide de ma caméra piège près d’un nid qui me paraissait enclin au parasitisme. J’ai mal jaugé la situation. En revenant le lendemain dans la matinée, le coucou était déjà passé. Aujourd’hui, nouvel essai à l’affût sur un nid de rousserolles à quatre œufs.
Vers 10 h 45, une femelle coucou se poste en faction sur un bouleau.
Peu après 12 h, elle plonge dans la roselière tel un Stuka. Je filme sa descente en piqué puis recadre précipitamment sur l’emplacement du nid. Stupeur, elle n’y est pas ! Je fouille avec anxiété la masse ondoyante des roseaux, sa tête émerge en amont. Après un temps d’hésitation, la femelle coucou se décide à l’abordage malgré l’occupation du nid par ses propriétaires. Sous la vindicte des rousserolles, elle avale un œuf et repart, sans pondre le sien… qu’elle ne déposera que le lendemain après-midi. »
Mardi 14 juin
« Le comportement de ponte relevé hier m’amène à reconsidérer mes observations. Il m’est arrivé à plusieurs reprises de constater qu’une nichée de rousserolles comportant un certain nombre d’œufs le matin en avait un de moins le soir. J’ai toujours envisagé que la présence de trois œufs dans un nid était un signe positif pour le coucou. Trois œufs, pensais-je, c’est la garantie que les rousserolles s’engagent à fond dans la couvaison.
J’ai compris plus tard que ces oiseaux, qui pondent en moyenne quatre œufs – à raison d’un par jour –, commencent réellement à couver dès le troisième. La femelle coucou incube son œuf dans le ventre avant de le pondre. Or, un refroidissement prolongé serait fatal à l’embryon. Face à ces contraintes, je soupçonne les coucous qui ne peuvent pondre le jour même de prélever un œuf pour revenir déposer le leur le lendemain et s’assurer un parfait relais d’incubation de la part de leurs hôtes. »
Dimanche 3 juillet
« Il est temps de filmer l’évolution du jeune parasite. J’y consacre quotidiennement une à deux heures d’affût. A 8 jours, il affiche déjà une taille imposante. Lorsque sa mère adoptive veut le couver, la tête hirsute de l’affreux dépasse du dessous de son bas-ventre.
En ce moment, bébé coucou est seul au berceau et j’entends des bruits inquiétants. Quelque chose se déplace dans la roselière. Aux craquements secs répond bientôt le cri d’alerte des rousserolles. Je les vois sur ma gauche en arrière, mais l’intrus avance, invisible. C’est une martre qui saute sur un lit de roseaux couchés par les vents de l’hiver. Trois, quatre mètres nous séparent. La martre hésite. Serait-ce l’eau ou l’affût qui l’inquiète, aurait-elle perçu ma présence ? Quoi qu’il en soit, elle s’en retourne dans les bois, sous l’invective des rousserolles. »
Découvrez la suite de l'histoire dans le film La mécanique du coucou.
Le coucou ne fait pas qu'annoncer le printemps. C'est un usurpateur qui dépose ses oeufs dans les nids d'autres oiseaux... Ce qui donne lieu à une incroyable course aux armements entre parasites et parasités. Une intrigue digne d'un film d'espionnage.
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Cet article est extrait de la Revue Salamandre
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