Cet article fait partie du dossier

Lumières sur le blanc

Mieux comprendre les secrets du blanc en 14 questions

Des rayons du soleil jusqu'au fond de notre œil, éclaircissements avec un maître des couleurs pour comprendre la nature subtile du blanc.

Des rayons du soleil jusqu'au fond de notre œil, éclaircissements avec un maître des couleurs pour comprendre la nature subtile du blanc.

Une grande et claire maison vigneronne sur les coteaux de Bonvillars, à deux pas du lac de Neuchâtel. Sourire pétillant, accent marseillais généreux, Libero Zuppiroli est prêt. Une tasse de thé à la main, le professeur honoraire de l'EPFL va répondre à nos questions avec délectation, en prenant le temps. Car ce pédagogue auteur d'un magistral « Traité des couleurs » choisit soigneusement ses mots et ses exemples.

Qu'est-ce que la couleur ?

Tous les corps qui sont éclairés par de la lumière nous renvoient des signaux lumineux. Ces signaux sont perçus, analysés et transformés par notre œil et ensuite par notre cerveau. Celui-ci les confronte à toutes sortes d'autres choses, des codes sociaux, des souvenirs, des ressentis individuels… Ainsi naît la couleur.
La couleur est une réponse de l'humain à la lumière que nous envoie la nature. Prenons l'exemple d'une pomme que mon cerveau perçoit comme étant rouge. En réalité, ce fruit n'est pas rouge en lui-même. Mais il le devient parce qu'une lumière d'une qualité particulière est renvoyée d'une certaine manière à mon œil. Puis mon cerveau construit et enrichit cette sensation naissante avec ce que je sais ou ce dont je me souviens.

Mieux comprendre les secrets du blanc avec Libero Zuppiroli
La pomme n'est pas rouge en elle-même. Elle le devient parce qu'elle nous renvoie la lumière du soleil d'une certaine manière que nous interprétons comme du rouge. Les couleurs naissent dans notre œil et dans notre cerveau. Ce sont des sensations. / © Photomontage Jean-Luc Wisard

Le blanc est-il une couleur ?

Le blanc est une sensation au même titre que le rouge ou le bleu. Donc oui, c'est une couleur comme les autres.

Pourtant, on dit que le blanc est l'absence de couleur... Ou la somme de toutes les couleurs.

Il est en quelque sorte l'un et l'autre! Cette contradiction s'explique par le fait que le mot couleur est mal défini et recoupe deux réalités. Il y a la couleur lumière qui appartient aux physiciens. C'est par exemple la lumière blanche du soleil qui se réfléchit ou se réfracte selon des angles précis.

Mieux comprendre les secrets du blanc avec Libero Zuppiroli
Un prisme de verre décompose la lumière blanche émise par le soleil.

Son passage dans un prisme de verre révèle sa composition en faisant apparaître les teintes de l'arc-en-ciel. Dans ce sens, le blanc peut être une combinaison de différentes couleurs. Mais pas de toutes les couleurs ! Les pourpres par exemple ou le rose n'y sont pas.
La notion de couleur matière intéresse davantage les peintres et les teinturiers. Ces couleurs-là naissent très concrètement en mijotant dans des chaudrons ou par un coup de pinceau sur la palette d'un artiste. Or, quand on combine plusieurs pigments et peintures de teintes diverses, on ne peut jamais recréer du blanc. Les mélanges deviennent toujours plus foncés. Ils tendent vers le brun et finalement vers une sorte de noir. Si vous mariez différentes peintures sur une feuille de papier, vous n'échapperez pas à cette réalité implacable.

Comment voyons-nous les couleurs ?

La sensation d'une couleur commence avec de la lumière. Mais cette lumière, on ne la voit pas en elle-même ! Pour qu'elle devienne visible, il faut qu'elle interagisse avec de la matière. Ainsi, on voit le soleil, on voit la pomme rouge qu'il éclaire, mais pas le chemin que la lumière franchit de l'un à l'autre. Et quand elle atteint notre fruit, la pomme en absorbe une partie qui lui donne de l'énergie. Le reste peut être renvoyé de deux manières différentes.
Si ma pomme est lisse et bien lustrée, les signaux lumineux sont réfléchis dans une direction précise. La pomme brille. D'ailleurs, en la regardant de près, ce n'est pas un fruit que je vois mais le reflet de mon propre visage. Le réfléchi à l'extrême, c'est le miroir. Cette réflexion dépend beaucoup de l'orientation de la source et de celle mon regard. La lumière arrive et repart suivant un angle déterminé.
Au contraire, si la peau du fruit est mate et fripée, elle diffusera la lumière indifféremment dans toutes les directions. Plus sa surface est irrégulière, plus les photons sont diffusés dans tous les sens. Les composantes de la lumière qui sont renvoyées déterminent précisément la teinte. Bleu, jaune… ou rouge dans notre exemple.
En fait, l'essentiel des couleurs arrive à notre œil par diffusion des signaux lumineux. Un corps doit diffuser une partie de la lumière qu'il reçoit tout autour de lui pour nous offrir une perception de sa couleur.

Chargement

Un corps fripé et rugueux renvoie la lumière dans toutes les directions. C'est la diffusion à l'origine de toutes les sensations de couleurs.

Un corps lisse et bien lustré renvoie la lumière selon un angle précis. C'est la réflexion qui produit brillance et reflets.

© Photomontage Jean-Luc Wisard

Pourquoi la lumière du soleil nous apparaît-elle comme blanche ?

C'est blanc… par définition ! Le blanc naît précisément de l'association entre lumière du soleil, surface diffusante, œil et cerveau.

Et la neige alors ?

Prenons une vitre. La plus grande part de la lumière passe à travers. Une faible proportion est réfléchie en produisant des reflets. Là-dedans, pas encore de blanc. Maintenant, je prends un morceau de verre et je l'écrase finement. Surprise : le verre pilé est blanc. En fait, la meilleure définition du blanc, c'est de la transparence qui a mal tourné !
Ainsi, un beau cristal de glace sans impuretés est transparent. A l'opposé, une poudreuse qui vient de tomber apparaît absolument blanche, d'un beau blanc mat. J'ai beau modifier mon orientation par rapport au soleil, rien n'y change ! La neige diffuse. Ses particules très petites renvoient la lumière uniformément dans toutes les directions.
Mais quand la neige vieillit, elle fond un peu, recristallise et forme des cristaux de plus en plus gros. Elle est toujours blanche, mais on voit progressivement apparaître des facettes qui réfléchissent la lumière avec des brillances, des reflets et même dans certaines conditions les couleurs de l'arc-en-ciel. Les cristaux de glace réfléchissent de plus en plus en grandissant. A l'extrême, on obtient une glace totalement transparente. L'essentiel de la lumière la traverse. Seulement 2 à 4 % est réfléchie et forme les reflets. Exactement comme une vitre. Et le blanc a disparu.

La lumière chauffe aussi les corps blancs ?

Un champ de neige que je vois blanc n'absorbe pratiquement aucune lumière. Par conséquent, très peu de chaleur lui est transmise. Pour produire une sensation de blanc, il faut un corps qui diffuse pratiquement toute la lumière qu'il reçoit. A l'inverse, le noir absorbe tout. Les milliers d'autres nuances que notre œil est capable de différencier se situent quelque part entre ces deux extrêmes.

Y a-t-il différentes recettes pour faire de la lumière blanche ?

Absolument ! Eclairée par le soleil, une surface qui diffuse bien la lumière produira une sensation blanche. Avec un spot jaune, une sensation jaune. Mais si je combine une lumière jaune avec une lumière bleue par exemple, ces deux couleurs complémentaires produiront de nouveau du blanc. Je peux aussi faire du blanc avec trois couleurs, par exemple du rouge, du vert et du bleu convenablement dosés. Trois cocktails de lumière totalement différente, une seule et même sensation.

Que se passe-t-il quand la lumière arrive à nous ?

Nous avons au fond de notre œil une sorte de film photographique qu'on appelle la rétine. Cet écran où se projettent les images est tapissé de deux types de cellules spécialisées dans la perception de la lumière. Les bâtonnets, sensibles à de très faibles intensités lumineuses, sont surtout utiles en vision nocturne. Quant aux cônes, il leur faut plus de lumière pour être excités, mais ce sont eux qui nous amènent les couleurs. Pour simplifier, disons que certains réagissent aux composantes bleues de la lumière, d'autres aux vertes et d'autres encore aux rouges.
Sous l'effet des signaux lumineux, les cônes se chargent électriquement comme de minuscules batteries solaires. Leur état électrique est testé en continu par de petits centres d'analyse situés dans l'épaisseur de la rétine et organisés autour de cellules nerveuses qu'on appelle les cellules ganglionnaires.

Que font ces centres d'analyse miniaturisés?

Certains additionnent l'intensité lumineuse renvoyée par des cônes des trois types et produisent une somme qui correspond à l'opposition noir-blanc, foncé-clair, obscurité-lumière. D'autres comparent la lumière perçue d'une part par les cônes bleus, de l'autre par les cônes rouges et par les verts et renvoient une valeur entre bleu et jaune, entre chaud et froid. Et enfin un troisième type d'analyse renvoie un antagonisme entre le vert et le rouge.

Chargement

Cônes de la rétine

Centres d'analyse

3 valeurs de contraste envoyées au cerveau

© Photomontage Jean-Luc Wisard

Ce triple antagonisme est envoyé au cerveau par le nerf optique sous forme de petites impulsions nerveuses. L'œil ne génère pas de simples valeurs de couleurs comme on en voit sur les pixels de nos écrans. Il met en évidence des contrastes, des oppositions entre couleurs qui rendent notre perception infiniment plus riche. La beauté de la nature, ce n'est pas seulement un coquelicot en soi. C'est parce que cette fleur rouge est environnée d'herbe verte qu'elle nous paraît si magnifique !
Le cerveau approfondit ensuite cette analyse en plusieurs étapes successives réparties dans des aires cérébrales différentes. Mais les antagonismes entre noir blanc, bleu-jaune et rouge-vert persistent très longtemps dans le processus. Ce sont des éléments fondamentaux de notre perception du monde.

Qu'est-ce qui fait que je vois blanc ?

La sensation du blanc peut venir de diverses sortes de lumière… mais ce qui va précisément faire que je vois du blanc, c'est un fort antagonisme de mes cellules ganglionnaires spécialisées sur le clair-foncé. C'est la quantité de lumière qui fait le blanc ! Le blanc, c'est là où mes cellules sensorielles sont excitées par plus de lumière qu'ailleurs. Notablement plus de lumière qu'à côté… mais pas forcément beaucoup de lumière en soi. Car le cerveau corrige toujours. De la même manière qu'une caméra ou un appareil photo, il fait ce qu'on appelle une balance automatique des blancs en corrigeant notre perception selon la luminosité ambiante. C'est pour cela par exemple que l'on peut voir du vrai blanc au clair de lune, malgré le fait qu'il y ait très peu de lumière.

Percevons-nous tous le même blanc?

Grosso modo, nous interprétons tous le blanc et d'ailleurs également les autres couleurs à peu près de la même manière… sauf en cas de daltonisme ou de cataracte. Comment le sait-on ? Grâce à des expériences de colorimétrie. On soumet des observateurs à une même couleur projetée sur un écran. Ces cobayes ont un système RGB avec des boutons qu'ils tournent dans un sens ou dans l'autre en dosant du rouge, du vert et du bleu pour reproduire la même couleur.
Résultat? On voit les mêmes couleurs à quelques pour cent près, quelles que soient notre origine ou notre appartenance culturelle. Tout au plus cela varie-t-il un peu en fonction de l'âge et du sexe. Les femmes ont une perception légèrement plus fine que les hommes. Mais au final, cette différence de perception est légère. Et en tout cas, ces tests ont montré qu'on ne peut pas dire qu'un Japonais perçoit plus finement le blanc parce qu'il y a plus de blanc dans sa culture. Ça ne tient pas face à l'expérience.

Quand le blanc est-il apparu

dans l'Univers ? La lumière est probablement née avec le big bang voici 13,8 milliards d'années. De cette lumière initiale que nul n'a vue, il reste un rayonnement noir qui baigne très faiblement tout l'Univers. C'est ce qu'on appelle le fond cosmologique que la science a découvert en 1965. Mais cela n'a pas grand-chose à voir avec notre blanc. Car chaque étoile produit un rayonnement qui lui est spécifique, qui dépend de sa température de surface et donc de son âge et de son histoire. Le blanc que nous connaissons est né avec notre soleil il y a 4,56 milliards d'années. C'est lui, l'astre qui nous éclaire en fusionnant chaque seconde dans ses entrailles 564 millions de tonnes d'hydrogène en 560 millions de tonnes d'hélium. La différence est transformée en énergie : ainsi naît la lumière qu'il nous envoie.
Mais le soleil tout seul ne suffit pas. Car, pour exister, la sensation du blanc doit être vue. Il faut donc des yeux, aussi primitifs soient-ils. La perception de la lumière apparaît très tôt dans l'histoire de la vie. C'est d'abord et pour très longtemps un système simple qui permet à des êtres formés d'une seule cellule de distinguer le blanc du noir. Les yeux complexes viendront beaucoup plus tard.

Mieux comprendre les secrets du blanc avec Libero Zuppiroli
Chaque corps céleste a un rayonnement qui lui est propre. Ainsi, la lumière telle que nous la connaissons est apparue à la naissance de notre soleil voici 4,56 milliards d'années. / © Photomontage Jean-Luc Wisard

Et enfin, le blanc existe-t-il dans toutes les cultures ?

Des anthropologues se sont livrés à une expérience fameuse. Ils ont présenté à des personnes de toutes langues et de toutes origines une même carte avec 329 cases présentant autant de couleurs différentes en dégradés ordonnés par teinte, saturation et clarté. La consigne était simple. Pointer des cases sur cette carte en indiquant comment s'appelle la couleur correspondante. Puis dessiner l'étendue du nom de cette couleur sur la carte. L'ensemble des données collectées a fait l'objet d'analyses statistiques très poussées.
La plupart des langues s'accordent sur la présence de six couleurs primaires presque universelles : noir et blanc, jaune et bleu, rouge et vert… On retrouve exactement les six termes des couleurs antagonistes envoyées par notre rétine à notre cerveau. Ainsi, notre perception culturelle des couleurs correspond précisément à la manière dont nos neurones analysent la lumière.
Quelques langues primitives du Zaïre, d'Inde ou de Papouasie-Nouvelle-Guinée par exemple nomment moins de couleurs mais il y a toujours au minimum le noir et le blanc, puis le rouge. Car ces trois-là constituent véritablement la trilogie de base. Le blanc pour la lumière. Le noir pour l'obscurité. Et le rouge, couleur des couleurs par excellence. La couleur des premiers ocres préhistoriques, des sépultures. La couleur du sang.

Mieux comprendre les secrets du blanc avec Libero Zuppiroli
Libero Zuppiroli

Libero Zuppiroli

  • 1947 Naissance près de Venise.
  • 1952 Emigration de la famille Zuppiroli à Marseille.
  • 1966 Entre à l'Ecole normale supérieure des télécoms, puis DEA en physique à Paris.
  • 1976 Termine une thèse sur les métaux.
  • 1990 Nommé professeur d'opto-électronique des matériaux moléculaires à l'EPFL, l'Ecole polytechnique fédérale de Lausanne.
  • 2002 Publie le Traité des couleurs aux Presses polytechniques romandes, puis sept ans plus tard un tout aussi passionnant Traité de la lumière.

Cet article fait partie du dossier

Lumières sur le blanc

Couverture de La Salamandre n°220

Cet article est extrait de la Revue Salamandre

n° 220  Février - Mars 2014, article initialement paru sous le titre "Blanc lumière"
Catégorie

Sciences

Tags

Ces produits pourraient vous intéresser

Agir pour la nature au jardin

24.00 €

Le grand livre de la nature

69.00 €

Les plantes sauvages

49.00 €

Agenda de la nature au jardin 2024

6.00 €

Découvrir tous nos produits

Poursuivez votre découverte

La Salamandre, c’est des revues pour toute la famille

Découvrir la revue

Plongez au coeur d'une nature insolite près de chez vous

8-12
ans
Découvrir le magazine

Donnez envie aux enfants d'explorer et de protéger la nature

4-7
ans
Découvrir le magazine

Faites découvrir aux petits la nature de manière ludique

Salamandre newsletter
Nos images sont protégées par un copyright,
merci de ne pas les utiliser sans l'accord de l'auteur