Bouquetins consanguins?
Consanguinité, maladies… Les bouquetins connaissent quelques misères. Entretien avec le spécialiste mondial de la génétique de l’espèce.
Consanguinité, maladies… Les bouquetins connaissent quelques misères. Entretien avec le spécialiste mondial de la génétique de l’espèce.
Lukas Keller, vous êtes professeur de biologie évolutive à l’Université de Zurich où votre groupe de recherche étudie la génétique du bouquetin depuis 10 ans.
Qu’avez-vous découvert ?
Nos recherches montrent que la diversité génétique de cet animal est très faible. Quatre fois plus pauvre que celle de la chèvre domestique ! Cette comparaison est d’autant plus impressionnante si l’on considère que le bétail est génétiquement moins varié que les espèces sauvages à cause de la domestication.
Quelles sont les origines de cette faiblesse ?
La consanguinité. Il ne faut pas oublier que tous les bouquetins des Alpes descendent d’une centaine de rescapés du Grand Paradis. Vu le faible nombre d’individus survivants au milieu du XIXe siècle, la variabilité génétique était déjà basse dans cette population de départ. Pour réintroduire l’espèce ailleurs dans les Alpes, des bouquetins valdôtains ont été relâchés. Ça a marché, mais vu que ces colonies ont été constituées à partir de quelques individus, leur diversité génétique est encore plus faible ! C’est l’effet goulet d’étranglement , bien connu des biologistes.
En moyenne, on pourrait dire que le degré de consanguinité des populations de bouquetins correspond à celui observé chez les descendants d’un couple de demi-frères…
Les bouquetins qu’on observe ailleurs dans les Alpes sont donc moins diversifiés que ceux du Grand Paradis ?
D’après les analyses d’ADN, la variabilité génétique de toutes les populations helvétiques globalement considérées est par exemple comparable à celle observée aujourd’hui au Grand Paradis. Le problème, c’est que les colonies sont souvent isolées et que la consanguinité augmente à chaque génération.
La dynamique des populations en est-elle affectée ?
Oui, dans les groupes très consanguins, le taux de croissance des bouquetins est jusqu’à 50 % plus faible.
Cela a-t-il des effets sur leur santé ?
Oui. Chez tous les vertébrés, le génome subit naturellement des mutations négatives. La plupart du temps, ces anomalies sont récessives. Cela signifie qu’elles ne s’expriment par exemple en provoquant une maladie que si le défaut est présent en deux copies, l’une venant de la mère et l’autre du père. Normalement, le patrimoine génétique d’une population naturelle est suffisamment diversifié pour que cette combinaison malheureuse arrive rarement. Chez Capra ibex, la forte consanguinité fait que deux partenaires sont souvent porteurs des mêmes anomalies et donnent naissance à une descendance qui les exprime.
L’espèce est donc sensible aux maladies ?
Une étude récente a mis en évidence une corrélation directe entre le taux de consanguinité et le nombre de nématodes parasites dans l’intestin des bouquetins. Plus les animaux sont consanguins, plus ils sont parasités. Mais on n’a pas encore pu prouver l’existence d’un lien entre une faible diversité génétique et la vulnérabilité à d’autres maladies.
Pour éteindre un foyer de brucellose, l’Etat français a fait tirer plus de 300 bouquetins dans le massif du Bargy en Haute-Savoie. Qu’en pensez-vous ?
C’est avant tout une réaction politique et économique pour tenter de soigner cette maladie infectieuse provoquant de l’arthrite et de graves lésions aux organes génitaux chez l’ibex. En voulant réduire le risque – déjà faible – de transmission de cette bactérie au bétail, on autorise l’abattage de nombreux animaux sauvages. Ce n’est pas toujours une bonne solution. Chez d’autres espèces, on a observé que des tirs sélectifs peuvent déranger le système social et provoquer des déplacements des animaux, ce qui accélère la propagation de la maladie.
Sous la pression des éleveurs, il est maintenant question d’une liquidation complète de la population du Bargy…
Ce n’est pas une solution de vouloir éliminer tous les animaux sauvages qui peuvent véhiculer une maladie ! Avant de prendre une aussi grave décision, il serait fondamental de très bien connaître l’interaction entre la bactérie Brucella et le bouquetin, ainsi que les modes de transmission. Or ce n’est pas le cas aujourd’hui.
Comment voyez-vous l’avenir pour le bouquetin ?
Je ne suis pas inquiet. Malgré une faible variabilité génétique, 45’000 individus peuplent les Alpes aujourd’hui. Les mutations positives et les chevauchements de populations permettront probablement à l’espèce de réduire la consanguinité et de faire face aux changements de l’environnement. On en reparle dans 20’000 ans...
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Cet article est extrait de la Revue Salamandre
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