Ces insectes qui voient l’ultraviolet
Comment les insectes perçoivent les fleurs en des couleurs que nous ne connaissons pas. Des beautés cachées de l’ultraviolet et du pourpre des abeilles.
Comment les insectes perçoivent les fleurs en des couleurs que nous ne connaissons pas. Des beautés cachées de l’ultraviolet et du pourpre des abeilles.
En 1882, le naturaliste anglais John Lubbock, ami et voisin de Darwin, banquier et archéologue, découvre par hasard que les fourmis perçoivent une lumière qui nous est invisible. C’est l’ultraviolet, ainsi nommé parce que situé au-delà du violet, qui marque une des limites de notre spectre visible.
Von Frisch et les abeilles
Quelques dizaines d’années plus tard, l’éthologue autrichien Karl von Frisch se livre à de passionnantes expériences sur la perception des abeilles. Entre autres découvertes, il démontre que ces insectes sont attirés par les fleurs à distance grâce à leur odeur. De près en revanche, c’est la vue qui prime. Les contrastes marqués et les couleurs vives attirent très fortement ces insectes, du moins le blanc, le jaune, le bleu et le violet. La surprise, c’est que les appâts rouges n’ont aucun succès. Les abeilles ont un spectre visuel décalé par rapport au nôtre : comme les fourmis, elles voient la couleur ultraviolette, mais ne perçoivent pas le rouge.
On connaît aujourd’hui l’explication à cette étonnante observation. Chacune des 4500 facettes qui compose l’œil d’une ouvrière comporte en effet neuf cônes. Deux pour le vert, deux pour le bleu, deux pour l’ultraviolet, et un enfin pour la lumière polarisée, qui n’intervient pas dans la perception des couleurs mais permet aux abeilles de s’orienter.
Le langage des fleurs
Comme nous, les abeilles voient donc le monde en couleurs grâce à la combinaison de trois teintes élémentaires. Mais, en l’absence de cône sensible au rouge, le vert, le bleu et l’ultraviolet produisent pour elles et pour beaucoup d’autres insectes un spectacle tout simplement inimaginable. Toutefois, leurs couleurs sont peu nombreuses, car les cônes des abeilles travaillent de manière beaucoup plus simple que les nôtres. Incapables de différencier les clairs des foncés, ils travaillent en quelque sorte selon le principe du tout ou rien. Ainsi ces insectes, en plus de leurs trois couleurs primaires, ne peuvent-ils distinguer que trois teintes intermédiaires plus le blanc et le noir. Huit nuances en tout et pour tout !
Avec ces découvertes, l’affichage coloré que les plantes entretiennent pour attirer les butineurs prend une nouvelle allure. Certains pétales que nous voyons unis sont balisés par des taches et des traits ultraviolets qui conduisent le visiteur au nectar ou au pollen. D’autres que nous voyons ternes réfléchissent intensément les UV. D’autres encore changent soudainement de couleur à notre insu une fois la fleur fécondée. Celle-ci prévient ainsi les insectes que leur visite n’est plus nécessaire.
De quelle couleur, le coquelicot ?
Et le coquelicot, fleur fétiche de ce dossier ? S’il ne réfléchissait que du rouge, il apparaîtrait noir aux insectes, une absence de couleur peu attractive. Mais ses pétales renvoient les ultraviolets. C’est cette couleur qui attire mouches, bourdons, et abeilles.
A vrai dire, les rares fleurs rouges qui poussent sous nos latitudes sont toutes colorées en UV. Des fleurs exclusivement rouges n’existent que sous les tropiques. Là-bas, elles peuvent compter sur la visite des colibris ou des souimangas qui voient le rouge au moins aussi bien que nous. Les oiseaux seraient-ils des champions de la vision des couleurs ?
... chez le coquelicot
Aux yeux des abeilles, les pétales des coquelicots apparaissent non pas rouges mais ultraviolets. Cette couleur qui nous est inconnue se rapproche peut-être d’un violet.
Fortement contrastées, les étamines noires de la fleur forment le cœur d’une cible. Le guidage vers le pollen distribué par le coquelicot est accentué sur certaines corolles dont la base nous apparaît noir profond. Pour les insectes, ce motif est bordé d’un liseré qui renvoie violemment les UV et doit paraître presque éblouissant.
...chez l’onagre
L’onagre déploie à la nuit tombante une corolle qui nous apparaît jaune uni. Or le jaune, c’est une addition de rouge et de vert ! Si l’onagre ne réfléchissait que ces deux couleurs, les insectes, incapables de percevoir le rouge, verraient cette fleur verte. Autant dire qu’elle disparaîtrait, noyée au milieu d’un océan de feuilles…
Heureusement, il y a l’ultraviolet ! Chez l’onagre, celui-ci dessine des faisceaux de traits convergeant au centre des pétales. Un balisage qui révèle immédiatement où se trouve la source du nectar. Pour l’abeille, l’ultraviolet associé au vert dessine ces motifs dans une couleur appelée « pourpre des abeilles », abusivement représentée par du pourpre sur notre reconstitution, pour qu’on puisse la visualiser.
... chez le marronnier
La non-vision du rouge par les insectes est exploitée par certaines plantes. Ainsi les fleurs blanc crème du marronnier ont-elles des taches jaunes pour nous et « pourpre des abeilles » pour les butineurs. Quand la fleur est fécondée, les taches rougissent. Pour les insectes, le guide vers le nectar disparaît. Ils négligent donc ces fleurs pour se concentrer sur celles qui demeurent attractives.
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Cet article est extrait de la Revue Salamandre
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