© Nicolas Bonzon

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Du réseau sous le chapeau des champignons

Wood Wide Web, le mystérieux réseau souterrain des champignons

L’automne est la saison idéale pour trouver des champignons. Et si vous vous laissiez tenter par une cueillette un peu spéciale ? Oubliez le panier et suivez les traces de l’internet des forêts sur les hauts de Neuchâtel.

L’automne est la saison idéale pour trouver des champignons. Et si vous vous laissiez tenter par une cueillette un peu spéciale ? Oubliez le panier et suivez les traces de l’internet des forêts sur les hauts de Neuchâtel.

Wood Wide Web, le mystérieux réseau souterrain de champignons
Saskia Bindschedler Maître-assistante en géomycologie au laboratoire de microbiologie de l’Université de Neuchâtel. Etudie le rôle des champignons dans les sols, les interactions entre bactéries et champignons et entre micro-organismes et minéraux. / © Nicolas Bonzon

La brume se dissipe peu à peu sur le lac en contrebas. Postée au sommet de la Roche de l’Ermitage qui domine la ville de Neuchâtel, j’entends les cloches sonner 9 h. Derrière moi, la forêt baignée de lumière a revêtu son manteau automnal, savant patchwork de teintes jaunes, ocre et rouge orangé. Cette année, octobre se présente sous les traits d’un été indien doux et sec. Je m’inquiète : allons-nous trouver des champignons ? Et qu’en est-il du mystérieux Wood Wide Web, l’internet des forêts ? La sécheresse aura-t-elle fait griller ses circuits ?

« Pas de panique, sourit Saskia Bindschedler. Les conditions ne sont pas réunies pour ramasser de beaux bolets ou des chanterelles, mais la gigantesque toile qu’ils ont tissée sous la terre est toujours là. C’est cela que les spécialistes appellent le Wood Wide Web ou simplement WWW. On peut même observer des indicateurs de sa présence à l’œil nu, si on sait où regarder. » Notre guide s’y connaît. Maître-assistante en géomycologie au laboratoire de microbiologie de l’Université de Neuchâtel, elle emmène souvent ses étudiants sur le terrain pour leur montrer le vaste dédale fongique qu’ils ne connaissent qu’en théorie. Et aujourd’hui, c’est vous qui allez en profiter. En avant marche !

Tous les végétaux sont reliés entre eux par les champignons.

Wood Wide Web, le mystérieux réseau souterrain des champignons
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Nourrices dévouées

On a découvert que les arbres mères, les plus grands et les plus vieux de la forêt, prennent soin des jeunes en leur envoyant des substances nourricières à travers le réseau des champignons.

La forêt ne fait qu'un avec les champignons

Le tapis de mousses et de feuilles mortes, d’ordinaire gorgé d’eau à cette période, croustille à notre passage comme des chips sous la dent. En apercevant un groupe de coprins chevelus à la mine déconfite, la mycologue s’agenouille et déterre délicatement l’un d’entre eux. Quelques cordons blanchâtres se dévoilent à la base du pied avant de se rompre : « Regardez, un premier élément qui nous relie au WWW. C’est le mycélium, la partie cachée du champignon. Nous l’avons cassé, mais il faut imaginer qu’il est composé de milliers de filaments microscopiques – les hyphes – qui s’enfoncent dans le sol. Ils s’y déploient à la manière d’une toile d’araignée et peuvent s’associer avec certains arbres ou plantes », explique-t-elle.

D’accord, mais tout ça reste encore un peu abstrait pour moi. J’ose donc LA question : « Saskia, qu’appelle-t-on concrètement le WWW ? » La scientifique me propose alors de me relever et d’observer la hêtraie dans laquelle nous nous trouvons. « On a tendance à considérer la forêt comme une simple somme d’arbres. En vérité, il faut y voir un seul individu, puisque tous les végétaux sont reliés entre eux par des champignons au niveau de leurs racines. Ce réseau permet l’échange de nutriments mais aussi d’informations. A l’image du corps humain dont les organes fonctionnent de manière coordonnée, les plantes interagissent pour la bonne marche de l’écosystème forestier », expose-t-elle.

Pour donner une idée de l’importante logistique mise en place par les champignons, la scientifique écarte des feuilles fraîchement tombées et gratte le sol ainsi dénudé pour en extraire une poignée qu’elle tamise entre ses doigts. « Vous voyez ce petit paquet de litière qui semble emballé dans un filet à provisions ? Eh bien, il est agrégé par le simple maillage des hyphes. Figurez-vous qu’un seul m3 de terre forestière contient jusqu’à 10 000 km de ces minuscules filaments. Sur une surface agricole, il y en a 100 fois moins. »

A la lumière de ces propos, la forêt si familière prend une tout autre dimension. Je visualise une formidable toile explorant l’humus et connectant le peuple des bois. Peut-être qu’à ce moment précis, les hyphes de ce coprin défraîchi rendent de précieux services à la forêt via les réseaux fongiques… « Continuons, suggère Saskia Bindschedler. Je sais où nous pouvons voir de jolis réseaux mycéliens. »

Un seul m3 de terre forestière contient jusqu'à 10 000 km de ces filaments.

Wood Wide Web, le mystérieux réseau souterrain des champignons
© Nicolas Bonzon

Tacticiens hors pair

Chaque morceau de bois mort est un îlot où des champignons trouvent de la nourriture. Pour ne jamais manquer de vivres, ils progressent de l’un à l’autre en déployant une impressionnante logistique souterraine. Leurs filaments s’agrègent et deviennent des pipelines qui redistribuent les ressources là où elles sont le plus nécessaires.

La force fragile

Changement de décor. Nous pénétrons dans une friche forestière jonchée de bois mort. Les débris les plus anciens arborent un duvet de mousses qu’une kyrielle de cloportes, d’araignées et quelques limaces semblent particulièrement apprécier. L’humidité se fait plus présente dans ce coin où flotte une odeur de décomposition en rien désagréable. C’est le signe que les champignons ne sont pas loin. Ma guide saisit une branche au sol. Un champignon au chapeau beige et à lamelles, une plutée couleur de cerf, y a élu domicile. La jeune femme décortique méticuleusement le bois, devenu mou avec le temps, pour dégager la base. « C’est magnifique, on voit super bien les cordons blancs sortir du pied et s’étendre dans toute la bûche. Ces réseaux se prolongent sous terre, là où on ne peut évidemment pas les suivre, s’enthousiasme-t-elle. Et là, il y a des bébés champignons, appelés primordias, qui sont en train de pousser. Tout ce petit monde se nourrit du bois et c’est grâce à eux que nos forêts ne sont pas ensevelies sous des tonnes de feuilles et d’arbres morts au fil des années. »

J’apprends par ailleurs que le mycélium est à la fois fragile, puisqu’on peut le casser d’un doigt, et extrêmement résistant, car il est capable de creuser la roche quand il explore son milieu à la recherche de nourriture. Et pourtant, ce n’est rien à côté du monstre que nous sommes sur le point de découvrir.

Fausse racine

Un peu plus loin, un tronc, lui aussi en plein processus de dégradation, est parcouru d’une espèce de liane grimpante noirâtre. Ses ramifications poussent à angle droit. « Qu’est-ce que c’est ? Un vestige de lierre ? » Mauvaise hypothèse, mais découverte intéressante, d’après Saskia Bindschedler. Il s’agit d’un rhizomorphe, un cordon massif, caractéristique de l’armillaire. Ce champignon dévore également le bois, en revanche son travail est beaucoup moins apprécié, car il choisit des arbres vivants… « La plupart des gens prennent le rhizomorphe pour une racine. Ce qui est compréhensible vu leur ressemblance, leur solidité et leur structure presque similaire. Toujours est-il que ce pipeline peut devenir une arme de destruction massive qu’il est quasiment impossible de stopper lorsqu’il a entrepris de coloniser un groupe de résineux de racine en racine. C’est aussi ça, le WWW », fait remarquer la chercheuse.

Wood Wide Web, le mystérieux réseau souterrain des champignons
© Nicolas Bonzon

Artistes belliqueux

A l’échelle de l’écosystème, les champignons dévoreurs de bois collaborent au recyclage de la forêt. Mais entre eux, c’est parfois la guerre ! Pour protéger sa nourriture, chacun dessine un périmètre autour de lui en le brûlant. Un peu à la manière d’un pyrograveur. Ces lignes de confrontation créent des dessins artistiques recherchés par les sculpteurs.

Comprendre ce qu'il se passe dans le sol est l'un des grands défis de demain.

Tellement de questions

Au bout du sentier, j’aperçois la paroi de la Roche de l’Ermitage. La balade mycologique touche à sa fin. Tout ce qu’il est possible de voir du WWW avec nos yeux, la mycologue nous l’a dévoilé aujourd’hui. Mais il reste tellement de questions. Pourquoi certaines alliances avec les champignons sont-elles bénéfiques aux plantes alors que d’autres leur sont fatales ? Comment se tisse ce réseau sous la forêt ? Qui décide, l’arbre ou le champignon ? Et les animaux dans tout cela ? Le réchauffement climatique met-il en danger ce savant équilibre ? En attendant quelques réponses dans la suite de ce dossier, Saskia Bindschedler conclut : « Comprendre ce qu’il se passe dans le sol est l’un des grands défis de demain. »

Retrouvez l’interview de Saskia Bindschedler en vidéo.

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Du réseau sous le chapeau des champignons

Couverture de La Salamandre n°254

Cet article est extrait de la Revue Salamandre

n° 254  Octobre - Novembre 2019, article initialement paru sous le titre "Le mystérieux Wood Wide Web"
Catégorie

Sciences

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