Chasse au moustique tigre
Il est apparu en Suisse et France au tournant des années 2000. Le moustique tigre fait l'objet d'une chasse opiniâtre mais sa dissémination et sa prolifération rendent la lutte difficile.
Il est apparu en Suisse et France au tournant des années 2000. Le moustique tigre fait l'objet d'une chasse opiniâtre mais sa dissémination et sa prolifération rendent la lutte difficile.
Le XXe siècle aura vu l’éradication du paludisme en Europe occidentale. Le XXIe sera-t-il le siècle du retour des moustiques tueurs ? « Les espèces exotiques, à l’instar du moustique tigre ou d’Aedes japonicus, sont déjà présentes et leur invasion ne fait que commencer » , analyse Francis Schaffner, expert européen et professeur à l’Institut de parasitologie de l’Université de Zurich. « Il ne s’agit que d’une question de temps pour que le centre puis le nord de l’Europe soient touchés. »
L’envahisseur
Parti des bambouseraies de l’Asie du Sud-Est, le moustique tigre a été identifié pour la première fois en Europe en 1979. De l’Albanie, il a gagné l’Italie. En plus de sa dissémination via des pneus usagés, il adore les transports routiers. Très agressif, il n’hésite pas à voyager avec sa victime dans sa voiture ou son camion. Raison pour laquelle on retrouve fréquemment ce diptère long d’un centimètre dans les aires d’autoroute.
En rouge: présence en 2010
En orange: présence probable en 2030
En jaune: présence possible en 2030
Voyage en pneumatique
Dans le sud, Aedes albopictus – le fameux moustique tigre nommé ainsi en raison de ses rayures noires et blanches – se trouve depuis les années 1990 en Italie. En 2003, il est repéré en Suisse dans le canton du Tessin. Puis sur la Côte d’Azur, à Barcelone et dans certaines régions des Balkans occidentaux. Il vient d’Asie du Sud-Est, via le transport de pneus usagés, terreau fertile pour la prolifération des larves car l’eau qui s’y trouve enfermée s’élimine mal. « Bien sûr, le réchauffement favorise l’implantation et la survie hivernale des espèces, mais ce n’est pas lui qui est responsable de l’arrivée des moustiques. C’est la globalisation et l’augmentation du trafic, marchandises et humain, qui en sont la cause » , relativise Francis Schaffner.
La Suisse et le Tessin
En 2010, une quinzaine de pays européens enregistrent la présence du tigre, moustique qui peut transmettre une trentaine de virus. Dans huit de ces Etats, il se développe et prolifère. La lutte s’organise. « En 2005, l’objectif était de débarrasser le Tessin de l’ albopictus, se souvient Stefano Radczuweit, le chef de l’Office de la Santé du canton italophone. Aujourd’hui, l’objectif est réduit au contrôle de sa prolifération. » Avec un double défi : éviter la panique, dans une région où le tourisme joue un rôle économique majeur, tout en assurant une communication la plus transparente possible pour la population.
Heureusement, les communes et les habitants jouent le jeu. C’est indispensable car les opérations doivent être ponctuelles et ciblées. « Il faut agir sur les gîtes larvaires, la plupart du temps avec du biocide BTI. Le tigre appréciant le milieu urbain, il va pondre ses larves autour des maisons, par exemple au fond des pots de fleurs. Depuis 2008, une personne est formée dans chacune des communes concernées pour intervenir rapidement et efficacement » , explique Stefano Radczuweit.
La France et la Côte d’Azur
Dans le sud-est de la France, où des villes comme Nice, Menton ou Antibes ont été colonisées par Aedes albopictus , des mesures de veille et de surveillance sont en place depuis 1999. Au-delà d’une piqûre douloureuse et d’une gêne évidente – le tigre pique le jour, contrairement aux espèces indigènes habituellement présentes en milieu urbain –, le principal danger, c’est bien les maladies qu’il peut véhiculer et transmettre.
Depuis 2006 et les épidémies de chikungunya qui ont sévi aux Antilles et à La Réunion, plusieurs cas ont été signalés en France métropolitaine, le plus souvent dans le Sud. L’annonce d’un cas diagnostiqué est obligatoire et les contrevenants sont lourdement punis. Une fois la victime localisée, son domicile et une zone pouvant s’étendre à un périmètre de 500 mètres sont traités chimiquement. « Les biocides réservés aux larves comme le BTI ne sont alors plus efficaces. Il faut utiliser des adulticides comme les pyréthrinoïdes pour éliminer des individus contaminés » , détaille Francis Schaffner, qui a travaillé plusieurs années dans le sud de la France.
Contrôles accrus
Comme au Tessin, les départements français impliqués font un effort de sensibilisation de la population, sans se montrer trop alarmistes. Des échanges d’information, au plan national comme international, ont été mis en place. De même que des plans d’action en cas d’épidémie. « On s’attend à ce que le moustique tigre mais aussi d’autres insectes piqueurs exotiques remontent dans nos régions. Et surtout, on s’y prépare » , rassure de son côté Anne-Gabrielle Wust–Saucy, de l’Office fédéral de l’environnement (OFEV). Les portails d’entrée, comme le Tessin et la vallée du Rhône, sont sous surveillance.
Nouveaux migrants
« Avec l’imbrication toujours plus forte entre zones urbaines et zones rurales ou protégées, l’homme devra apprendre à vivre avec de nouveaux venus. La densification des zones de frottement est inéluctable » , analyse encore la biologiste de l’OFEV.
Parmi ces nouveaux immigrants, Aedes japonicus est installé en Suisse germanophone depuis quelques années. On ignore pour l’heure s’il peut être vecteur de virus graves. Quant aux maladies elles-mêmes, la malaria, véhiculée par des anophèles, est toujours présente en Turquie, proche de nous. Aucun doute: le XXIe siècle sera le siècle de la globalisation. Pour les marchandises comme pour les maladies.
Calculs de probabilité
Plusieurs facteurs doivent être conjugués pour qu’un moustique vecteur de maladie comme Aedes albopictus génère une épidémie. D’abord, l’espèce doit être solidement implantée dans une zone déterminée, avec une population importante. Autre condition nécessaire : une personne contaminée, de retour de voyage par exemple, devra être piquée par un moustique capable de transmettre les agents pathogènes à d’autres individus, eux-mêmes piqués par d’autres diptères. Les risques sont donc faibles. Mais, tout de même, ils augmentent : « La surveillance et l’annonce obligatoire des cas de maladies sont de bons atouts dans la manche des offices de santé publique, car la densification de la présence des moustiques exotiques va inexorablement augmenter le danger », prédit Francis Schaffner, le professeur zurichois.
Boost dans les labos
Face aux défis posés par la colonisation volante des moustiques exotiques, la recherche met les bouchées doubles. A l’Université de Neuchâtel, des biologistes ont démontré au printemps 2010 que la sueur, couplée à une protéine du système olfactif des anophèles, incitait les diptères à piquer l’homme. Un nouveau pas dans la lutte contre ce fléau. « En comprenant comment l’insecte est attiré, on parviendra à troubler ou bloquer ses facultés de perception, et donc à l’éloigner de l’homme », précise Patrick Guerin, directeur de recherche.
D’autres travaux sont en cours, visant par exemple à stériliser les mâles en modifiant génétiquement leur ADN. « L’avantage de la migration de ces moustiques vers l’Occident, note Patrick Guerin, c’est que les recherches menées en laboratoire ou dans les bureaux des responsables de la Santé publique seront bénéfiques à tous, y compris aux pays du Sud. »
Les plus terribles
Parmi les dizaines de genres de moustiques, cinq s’attaquent principalement à l’homme : les Aedes, Anopheles, Culex, Eretmapodites et Mansonia . Les premiers sont vecteurs entre autres de la dengue et de la fièvre jaune, les deuxièmes du paludisme, les Culex de la fièvre du Nil occidental et de diverses encéphalites. Eretmapodites peut transmettre la fièvre de la vallée du Rift, et Mansonia des filarioses.
Plus d'informations sur les moustiques sans frontières.
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Cet article est extrait de la Revue Salamandre
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