Chasse aux corvidés en France, le point avec Pierre Rigaux
Piège à corneilles, cadavre épouvantail, tir près des nids… Le point sur le destin funeste des corvidés en France, avec le naturaliste militant Pierre Rigaux.
Piège à corneilles, cadavre épouvantail, tir près des nids… Le point sur le destin funeste des corvidés en France, avec le naturaliste militant Pierre Rigaux.
Pierre Rigaux
Naturaliste, auteur de Ma campagne (Ed. Belin, 2021), et Pas de fusils dans la nature (humenSciences, 2019).
Pierre Rigaux, on a l’impression que tout est bon pour se débarrasser des corbeaux. Que dit la loi ?
La réglementation est un peu compliquée, il faut s’accrocher ! Parmi les corvidés, la corneille noire, le corbeau freux, le geai des chênes et la pie bavarde sont chassables. Ce statut permet de les tirer pendant la période générale d’ouverture de la chasse, de septembre à mars. Cette durée peut être prolongée localement par les préfets pendant plusieurs mois pour les corneilles et les freux. En plus, au niveau national, ces espèces sont classées comme susceptibles d’occasionner des dégâts – terme qui a récemment remplacé celui de nuisibles –, ce qui autorise leur piégeage dans la plupart des départements. Des campagnes d’élimination sont en outre organisées à l’encontre de ces oiseaux à la période des semis, car ils s’en nourrissent.
Les autres corvidés sont-ils pour autant épargnés ?
Oui et non. Le choucas des tours et le grand corbeau sont protégés en France, comme la corneille mantelée, le chocard à bec jaune et le crave à bec rouge. Leur chasse est donc interdite. Toutefois, on constate ici ou là des dérogations pour tuer des grands corbeaux accusés de s’attaquer à des animaux d’élevage. De même, des opérations massives de destruction de choucas des tours ont lieu très localement pour préserver certaines cultures.
Tout le monde peut-il s’en prendre à ces oiseaux ?
Pour utiliser un fusil, il faut avoir un permis de chasse. Pour piéger un corbeau classé susceptible d’occasionner des dégâts, il faut un agrément de piégeur… sauf dans son propre jardin. Dans les faits hélas, les abus à la réglementation déjà permissive sont légion. Ces oiseaux suscitant peu d’empathie, les dérives ne sont pas souvent sanctionnées.
Corbeaux et corneilles ont-ils un répit pour nicher au printemps ?
Tout chasseur peut tirer les corneilles noires et les corbeaux freux pendant la période de chasse qui chevauche la période nuptiale de ces oiseaux. Le piégeur peut agir toute l’année dans les départements où c’est autorisé. Généralement avec des trappes qui sont aussi destinées à d’autres espèces dites nuisibles. Enfin, les agriculteurs peuvent les piéger avec de grandes cages à corvidés.
Vous faites allusion aux volières grillagées que l’on voit parfois dans les champs ?
Oui. Hautes d’environ 2 m, elles sont munies d’une petite ouverture qui permet à l’oiseau d’entrer mais l’empêche de ressortir. Celui-ci est attiré par de la nourriture ou par un congénère déjà emprisonné. Le piégeur vient ensuite les tuer. Dans les faits, il les laisse parfois mourir de faim en ne contrôlant pas la cage pendant des semaines. Voir ces oiseaux attendre leur triste sort parmi les ossements qui jonchent le sol est un spectacle difficilement soutenable. Certains activistes n’hésitent pas à détruire – illégalement – ces cages souvent très visibles dans la campagne.
853 297
Tel est le tableau de chasse estimé de quatre espèces de corvidés en France durant la saison 2013-2014. Dont 45 % de corneilles noires, 27 % de corbeaux freux, 18 % de pies et 10 % de geais des chênes. Alignées, les dépouilles de ces oiseaux pourraient relier Genève à Marseille.
Il arrive d’entendre des coups de feu dans les colonies. est-ce autorisé de tirer dans les nids ?
Non, sauf encore une fois s‘il y a une dérogation locale…
Y a-t-il des quotas ?
Non ! Comme pour toutes les espèces jugées nuisibles, il n’y a pas de limites. On observe une haine manifeste envers ces oiseaux de la part de certains qui font des concours d’abattage de corvidés, puis mettent en scène leurs exploits sur les réseaux sociaux. Par exemple, en dessinant avec les dépouilles un chiffre géant sur le sol correspondant au total de victimes. Concernant le choucas des tours, théoriquement protégé, les limites définies lors des dérogations atteignent des milliers d’individus !
Est-ce justifié selon vous de détruire ces espèces ?
Je pense qu’on doit tout faire pour éviter d’en arriver à tuer les corbeaux et les corneilles. Il y a certes des difficultés pour certains cultivateurs, mais je pense qu’il est grand temps de sortir de ce paradigme selon lequel il faut éliminer tout ce qui nous dérange. Est-il vraiment impossible avec la technologie actuelle de mettre au point une méthode d’effarouchement efficace ? Ou de protéger les cultures pendant quelques semaines sans passer par une destruction qui, en plus, s’avère sans effet ?
Choucas des cochons
Dans certains départements de l’ouest de la France, le choucas des tours a vu ses effectifs augmenter fortement ces dernières années au point de susciter la colère des agriculteurs. Pourquoi une telle démographie ? Parce que la disponibilité croissante en maïs d’ensilage liée à l’élevage porcin dope la survie hivernale des choucas. Puis, les corvidés colonisent les cheminées des innombrables maisons individuelles pour se reproduire.
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Cet article est extrait de la Revue Salamandre
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