© Tsunéhiko Kuwabara

Chercher des champignons en ville, c’est possible !

Comme les moineaux, renards et autres abeilles, les champignons trouvent parfois refuge au cœur des cités. Témoignage d’un peintre naturaliste en ville.

Comme les moineaux, renards et autres abeilles, les champignons trouvent parfois refuge au cœur des cités. Témoignage d’un peintre naturaliste en ville.

J’ai trouvé mes premiers champignons dans Paris intra-muros il y a une quinzaine d’années. Alors que je dessinais quelques plantes sauvages sur le boulevard Arago, près de Denfert-Rochereau et sa célèbre statue de lion, j’ai remarqué de petites boules blanchâtres dans les herbes. « Des champignons de Paris ! », ai-je pensé. J’ai conclu hâtivement que des spores avaient dû s’égarer du marché voisin. Mais une fois rentré à la maison, j’ai ouvert quelques ouvrages et me suis vite rendu compte que j’avais plutôt trouvé des agarics radicants. J’ai eu tort de goûter naïvement ce cousin sauvage – et toxique – du célèbre champignon cultivé…
Depuis ce jour, je porte beaucoup plus attention à la diversité mycologique de la capitale.

Chercher des champignons en ville, c’est possible !
© Tsunéhiko Kuwabara

Villes champignons

En grignotant les espaces naturels et agricoles, l’urbanisation réduit considérablement la biodiversité des sols, et en particulier celle des champignons. Environ 320 espèces de ces mycètes dits supérieurs ont été recensées à Paris lors de l’Atlas de la nature 2010-2020. Un chiffre encourageant qui pourrait augmenter avec le développement d’espaces verts. A l’échelle de la France métropolitaine ou de la Suisse, cette diversité atteint 10 000 espèces.

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© Tsunéhiko Kuwabara

Habitué de la quête de champignons dans la campagne alentour, j’ai dû m’adapter à ce nouveau terrain de jeu. Finalement, de petits coins de parcs, une friche urbaine ou de simples plates-bandes suffisent au développement de ces organismes fascinants.

Quel plaisir de fouiner dans les moindres recoins de l’immense ville et d’y poursuivre mon inventaire naturaliste ! Pour déceler les minuscules mycènes, par exemple, je guette leur pied élevé qui les fait ressortir de l’herbe. Les armillaires couleur de miel, je les cherche sur les souches et le bois mort, comme si j’étais en pleine forêt. Je ne me lasse pas du graphisme de leur amas…

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Pendant mes investigations, je dois parfois composer avec quelques déchets et les déjections canines encore trop nombreuses. Les joies du naturaliste urbain… Mais mon engouement reprend vite devant un schizophylle commun, ou dans la quête du tricholome en touffes, si bien camouflé parmi les feuilles mortes. Le peintre que je suis s’émerveille à la vue des touches de mauve apportées par le petit pied-bleu, appelé aussi lépiste sordide. Mais il faut savoir lever le nez et quitter le ras du sol pour débusquer la mycène blanche, notamment, qui pousse sur la mousse des arbres.

Psathyrelle, volvaire, clitocybe… ma liste de trouvailles aux noms parfois enchanteurs ne cesse de s’allonger. J’aime bien les coprins, une famille qui se caractérise par leur fragilité. Quelques heures après la maturité de ce champignon, sa chair commence à se liquéfier en une espèce d’encre de Chine. Les coprins micacé et chevelu sont probablement les plus communs. Le jour où j’ai vu un exemplaire très élancé, au pied couleur crème et au chapeau brun tacheté de blanc, je me suis dit « Bingo ! ». C’était le coprin pie, le plus beau du genre, que je ne soupçonnais pas dans Paris.

Relation toxique

La malnutrition, les maladies et une vulnérabilité accrue aux changements climatiques guettent les arbres quand les champignons qui leur sont associés souffrent de la pollution de l’air et du sol. L’excès d’azote induit affecte particulièrement les liens symbiotiques entre les arbres et la fonge. C’est ce que révèle une large étude menée sur 13 000 sites de 20 pays européens.

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L’automne dernier, j’ai pu dessiner le géastre, dans un spot un peu reculé du parc Kellermann. Ce champignon insolite a une morphologie étrange, puisqu’il n’a pas de pied. Il forme alors une étoile en ouvrant des sortes de bras. Celui que j’ai observé était un peu passé, mais on pouvait tout de même remarquer la collerette qui permet son identification : le géastre à trois couches. Pendant que j’esquissais des croquis, le jardinier du lieu m’a abordé. « Alors, vous vous intéressez aux champignons ? », m’a-t-il demandé en guettant mon ébauche. Vous avez bon œil, tout le monde ne remarque pas ces géastres. » A cette remarque, j’ai compris qu’il était lui aussi mycologue amateur. « Si cela vous intéresse, j’ai vu un clathre rouge la semaine dernière », a-t-il poursuivi. Incroyable ! Je rêvais de dessiner cette espèce spectaculaire. Il m’a alors montré sur son téléphone portable les clichés du drôle de champignon entièrement rouge orangé, en forme de cage grillagée. Aucun doute, c’était bien lui !

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L’homme, flatté par ma réaction enthousiaste, m’a indiqué l’endroit où le trouver. Je m’y suis précipité mais les curieuses créatures étaient déjà dégradées et à peine visibles. Heureusement, j’ai remarqué deux sortes d’œufs partiellement cachés par l’humus. C’est la forme naissante des clathres. Lorsque je suis revenu un peu plus tard sur le site, une petite cage rougeâtre était déjà en formation. J’ai profité des jours suivants pour accumuler les croquis de cet alien pouvant atteindre une vingtaine de centimètres. En plus de sa forme étrange, il a la particularité de dégager une odeur putride qui attire les mouches. Grâce à ce subterfuge, le champignon assure la dissémination de ses spores par les insectes. Au dernier jour de maturation du clathre, j’ai vu s’écrouler en une sorte d’éponge celui qu’on appelle aussi cœur de sorcière ou lanterne du diable.

C’est dans l’espoir de nouvelles découvertes de ce genre que j’arpenterai cet automne encore les îlots de verdure parisiens. Avec, en guise de couteau et panier, des pinceaux et un bloc de papier.

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Solution fongique

La capacité des champignons à absorber et dégrader la matière intéresse grandement les chercheurs et les start-up impliqués dans les technologies de dépollution. Nettoyer des sols souillés par les hydrocarbures, dégrader les colorants de textiles, déstructurer le polyuréthane ou faire partie des alternatives à l’essence, tels sont les nombreux pouvoirs attribués aux champignons.

Couverture de La Salamandre n°272

Cet article est extrait de la Revue Salamandre

n° 272  Octobre - novembre 2022, article initialement paru sous le titre "Spores de rue"
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