Chroniques enneigées
La neige conte des histoires et prévient des risques d’avalanches. Rendez-vous sur les hauts de Saint-Martin, en Valais, pour apprendre à lire le manteau blanc.
La neige conte des histoires et prévient des risques d’avalanches. Rendez-vous sur les hauts de Saint-Martin, en Valais, pour apprendre à lire le manteau blanc.
Accroché à 1 400 m d’altitude, au cœur du val d’Hérens, le village de Saint-Martin reçoit toute l’attention du soleil valaisan. Quelle aubaine pour une randonnée hivernale en raquettes, loin des stations de ski ! Premiers pas dans la forêt. Premières impressions : l’hiver a déroulé son tapis d’un blanc uniforme, tout semble paisible.
Neige aux mille facettes
Illusion ! En réalité, la neige est bigarrée et raconte nombre d’histoires à qui sait la lire, la toucher, la ressentir. Par chance, notre interprète du jour est Robert Bolognesi, le bien nommé Monsieur Neige. « Il existe une trentaine d’expressions pour décrire la neige. » Alors aujourd’hui… est-elle roulée, collante, feutrée ? « C’est une matière mouillée qui a regelé et qui forme maintenant une croûte dure, épaisse et stable. Presque une neige de printemps, avec une très bonne sous-couche. »
Le nivologue, spécialiste de la neige et des avalanches, est l’un des pionniers de cette discipline. Il a accumulé les diplômes pour tracer sa propre voie sur ce qui était jusqu’alors un no man’s land. Désormais très sollicité, il porte de multiples bonnets : chercheur, formateur, éditeur, chroniqueur, patrouilleur, inventeur…
Indices éphémères
Des traces d’écureuils et de chevreuils traversent notre sentier avant de s’évanouir dans la forêt. La neige est une page blanche sur laquelle s’impriment des scènes de vie. Mais ces indices seront bientôt déformés par la fonte ou recouverts d’une nouvelle couche. La neige, c’est aussi l’histoire d’une rencontre entre des poussières en suspension et de la vapeur d’eau qui s’y condense. Selon la température, le vent et le taux d’humidité, les cristaux de glace adoptent une multitude de formes.
Quel drôle de spectacle nous offrons à présent : deux promeneurs à quatre pattes, prêts à voyager vers l’infiniment petit. Nos yeux pétillants auscultent de près des cristaux d’à peine 5 mm. Il faut bien se placer par rapport aux rayons du soleil pour saisir la beauté des étoiles à six branches.
Entre science et intuition
Nouveau temps d’arrêt, cette fois face au val d’Hérens. Les crêtes enneigées se succèdent. Ici la Dent d’Hérens, souvent prise pour sa voisine la Dent Blanche, là les Aiguilles Rouges qui pointent comme deux oreilles. Et là encore une corniche qui tient par on ne sait quel miracle sur un sommet abrupt. Il paraît qu’une pente abritée du vent peut accumuler jusqu’à dix fois plus de neige qu’un versant soumis aux bourrasques. Celui qui est aussi directeur du bureau d’étude Meteorisk, spécialisé dans le domaine des risques d’origine météorologique, l’observe d’un air soucieux. C’est un véritable travail d’investigation qu’il mène en se basant sur un savant mélange de sciences fondamentales, modélisation, cartographie, recueil de témoignages, épluchage de documents, voire intuition et dictons locaux. Le problème est si complexe qu’il faut également accorder une place aux statistiques subjectives, résultant d’émotions et de souvenirs de terrain accumulés au fil des années.
Remonter le temps
La marche reprend. A chaque expiration, notre souffle danse en volutes de buée. Dans la pessière s’élèvent de beaux mélèzes, essence de lumière. Ces arbres renferment aussi d’authentiques archives. Par la dendrochronologie – l’observation des anneaux de croissances des troncs – on peut lire le stress causé par les avalanches et ainsi confirmer si des zones sont effectivement à risque.
Nous voici arrivés au point culminant de la promenade, dans le pâturage de Lovégno, face à la splendide Maya. Robert Bolognesi dégaine sa pelle pour interroger son témoin le plus précieux. Devant le profil de neige révélé, mon œil ahuri ne perçoit que neige blanche et blanche neige. L’œil expert, lui, distingue des strates de teintes et de duretés différentes qui renseignent sur le déroulé de la saison hivernale. Ainsi guidée, je devine enfin du bleuté, une fine ligne brunâtre, et m’enthousiasme à y enfoncer plus ou moins facilement le doigt.
Derniers contreforts humains
Au retour, l’air se rafraîchit. Robert Bolognesi confirme : « Un vent qui souffle de Pologne ou de Russie est venu baisser l’isotherme du 0 °C. » Cette frontière invisible entre le gel et le dégel varie au gré des influences météorologiques. Le manteau neigeux scintille comme dans un conte de fées, conférant un faux sentiment de sécurité. Selon l’expert, du givre se forme et rendra le manteau instable aux prochaines précipitations. A qui la neige va-t-elle arracher la vie cette fois ? La montagne n’offre pas de seconde chance et inspire une forme d’humilité. Cependant la poudre qui s’accumule sur les sommets et les glaciers donne aussi la vie. A la belle saison, la fonte de cette réserve d’eau fera gonfler les torrents et les bisses, promettant le foisonnement du vivant malgré l’aride soleil valaisan.
Tendez l’oreille pour le cri du cassenoix.
La Plantation : coin de forêt laissé intact par les anciens. Ses fûts droits servaient à reconstruire après un incendie.
Cerfs à découvert tôt le matin.
Vue splendide sur la Maya.
Ici a lieu un monitoring des grands prédateurs. Verrez-vous des traces de lynx ?
Guettez le vol de l’aigle royal ou du grand corbeau.
Les pieds dans la neige à Saint-Martin
Départ depuis l’arrêt de car Suen Sud (attention : route glissante !)
Distance : 1,5 km Dénivelé : +210 m Durée : 45min
- (1) Atteindre le village par le chemin des Pavés, puis prendre la route de Baules.
- (2) Juste avant la forêt, prendre le sentier pédestre sur la droite qui serpente jusqu’à la rue des Mayens.
Départ depuis les places de parc de la rue des Mayens à Grange Neuve (conseillé).
Grange Neuve - Loveignoz - Grange Neuve
Distance : 7,2 km Dénivelé : +526 m Durée : 3h00
- (3) Face au panneau Bisse de Saint-Martin, emprunter le sentier pour raquettes n° 2 à gauche.
- (4) Après 500 m de plat, il se poursuit sur un chemin secondaire puis rejoint temporairement une route forestière.
- (5) Un aller- retour à l’alpage de Loveignoz vaut la peine. Puis la descente commence, toujours sur le sentier raquettes n° 2.
- (6) Au croisement, après 1,5 km de descente, prendre le sentier raquettes n° 1 direction Prarion-d’en-bas.
- (7) Quittant la route principale, ce parcours longe le bisse de Saint-Martin et le sentier nature, toujours tout droit et à plat.
Accès en transports publics
Cars postaux au départ de Sion, arrêt Suen Sud. Horaires sur cff.ch
Matériel & règles d’or
- En hiver, la faune a plus que jamais besoin de tranquillité. Garder les chiens en laisse et ne pas quitter les sentiers balisés.
- Se renseigner sur meteosuisse.ch ou meteo-valais.ch. Ne pas partir seul et indiquer l’itinéraire projeté.
Manger & dormir
Café-restaurant de la Poste, Saint-Martin
Compléments week-end
A) Pyramides d’Euseigne
Face à Saint-Martin se dressent d’étranges pyramides morainiques coiffées de rochers qui les protègent de l’érosion. Ces formations géologiques uniques sont apparues à la fin de la dernière glaciation.
B) Village d’Evolène
Niché au pied de la Dent Blanche, Evolène est parvenu à maintenir ses traditions vivantes, comme son célèbre carnaval. Les possibilités de randonnée et de ski de fond y sont multiples.
C) Centre de glaciologie et de géologie
Pour en savoir plus sur l’histoire géologique des Alpes et de ses glaciers, ce centre ouvre ses portes aux Haudères durant les vacances scolaires.
D) Becs de Bosson
Accompagné d’un guide, on peut rejoindre en peau de phoque ou en raquettes les Becs de Bosson par le vallon de Réchy depuis Nax ou par le pas de Lona depuis Eison en passant par le hameau de l’A Vieille.
Maya Nivo Trail
Au départ de Grange Neuve, un autre itinéraire s’offre à vous l’hiver : Maya Nivo Trail, le sentier didactique sur la neige et les avalanches. Ses panneaux détaillés satisferont les plus curieux.
En France mettez le nez dans les mousses du Bugey.
Avis de neige ! Découvrez notre dossier sur le manteau blanc de l'hiver.
Apprenez à interpréter les cristaux de neige sur le terrain avec notre miniguide Les secrets de la neige.
Givre, étoiles, grésil, gobelets… En fonction de la saison, de la température ou de l’humidité, les cristaux de neige ont un aspect et des propriétés différents. Une fois au sol, la neige évolue selon l’orientation, l’inclinaison et l’altitude des versants. La structure du manteau neigeux qui en résulte détermine la stabilité et donc le risque d’avalanches.
Cet article est extrait de la Revue Salamandre
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