Des cigognes dans la ville !
Chaque année, des milliers de cigognes migrent par la vallée du Doubs. À Besançon, elles font sensation.
Chaque année, des milliers de cigognes migrent par la vallée du Doubs. À Besançon, elles font sensation.
12 mars, 9 h, stade Léo Lagrange à l’ouest de Besançon. Les passants s’arrêtent net, l’index pointé vers le ciel. Stupéfaction ! Cinquante, peut-être soixante cigognes blanches ont investi les toits des immeubles du quartier, les projecteurs du terrain de sport et la grue du chantier tout proche. Un tiers d'entre elles paraissent encore endormies, souvent perchées sur une seule patte, la tête enfoncée dans leur poitrail ébouriffé. D'autres se toilettent à coups de bec minutieux. Certaines vont même jusqu'à claquer des mandibules, telles des amoureuses excitées par ce début de printemps. C’est presque l’Andalousie qui s’invite dans la vieille ville espagnole de Victor Hugo.
Vol sans V
Un vol de cigognes ressemble un peu à un nuage aplati. Contrairement aux oies, aux cormorans et aux autres oiseaux qui voyagent en formation, ces grands échassiers ne dessinent pas de lignes ni de V dans le ciel. Pratique pour les différencier de loin des grues cendrées dans les régions où les deux espèces migrent au printemps. Autre truc : les cigognes ne poussent pas de cris de trompette.
Cigogne Air
Championnes du vol plané, les cigognes blanches possèdent deux larges ailes terminées par douze rémiges robustes. Portées par l’air chaud des courants thermiques, elles peuvent monter en spirales à 4500 mètres d’altitude puis voyager sans effort sur une distance de 300 kilomètres. En vol battu, la cigogne croise à 40 km/h avec des pointes à 80 km/h. Mais en cas de pluie, de vent ou devant une grande étendue d’eau, l’appareil cigogne est cloué au sol. A 13 h 10, une journaliste de la presse locale photographie l’escadrille depuis le bord de la route. Elle se réjouit d’annoncer à ses lecteurs que jamais on n’a vu autant de cigognes et si tôt, que l’hiver est terminé à coup sûr. Chaque année, pareils refrains s’étalent dans les médias. Pourtant, rien de plus normal que cette escale en pleine ville. Mais voilà, les cigognes blanches ont disparu au milieu du siècle dernier. La mémoire de leur passage s’est effacée jusque chez les anciens chasseurs et paysans de la région. Cela ne fait qu’une quinzaine d’années que les Bisontins sont à nouveau les témoins de cette migration. Alors, l’apparition printanière des grands oiseaux surprend.
A 10 heures, le soleil ajoute encore quelques degrés à la douceur du microclimat urbain. Un premier oiseau décolle et tournoie avant de se reposer. C’est comme un message pour les autres. En deux minutes à peine, tout le monde prend son envol dans un ballet magnifique. Les oiseaux s’échappent vers l’est en alternant vols planés et amples battements d’ailes. Emoi sur les trottoirs. Quelques minutes plus tard, on les signale à cinq kilomètres de là, sur la prairie de l’aérodrome, en pleine opération casse-croûte.
Pas d’avions aujourd’hui sur le tarmac de Besançon. En revanche, trente-deux voiliers en escale picorent dans l’herbe rase insectes, vers et peut-être un campagnol. Il en faut de l’énergie pour parcourir cent ou deux cents kilomètres par jour, parfois à travers bise et giboulées.
Cet après-midi, dix cigognes portent des bagues. En écarquillant les yeux dans ses jumelles, il est possible de déchiffrer des chiffres et des lettres. Neuf sont marquées du code DER, des allemandes. Une est codée HES. C’est une suisse. Pas de doute, Besançon est sur la route du Rhin.
Sur l’aérodrome, il manque des oiseaux. Les belles étaient beaucoup plus nombreuses ce matin au cœur de la ville. Une partie du groupe a sans doute déjà continué le voyage.
Peu à peu, le ciel s’assombrit sur la ville des frères Lumière. A 17 h 30, des ornithologues signalent la présence d’environ 80 cigognes sur les lampadaires qui viennent de s’allumer et sur les entrepôts de la zone commerciale située à l’ouest de la ville. De nouvelles arrivantes en escale pour la nuit ?
Entre-temps, les gourmandes de l’aérodrome auraient remis les voiles peu après 14 heures. Coïncidence ou pas, une cigogne a retrouvé son nid le même après-midi dans un petit bourg du Territoire de Belfort, à 75 kilomètres de distance. L’ornitho du village l’a vue le jour même transporter des branches sur le nid et claquer du bec jusqu’à la nuit.
Le ballet des dames va continuer comme cela pendant trois semaines. Longer la vallée du Doubs, passer au sud des Vosges, tirer au nord vers l’Alsace bien sûr. Puis pour beaucoup, filer en Allemagne, pays aux dix mille cigognes. Quelques autres bifurqueront à l’est à la hauteur de Bâle pour apporter le bonheur des beaux jours sur le Plateau suisse.
Alsace en tête
Alors qu’on parlait déjà de la cigogne blanche dans les écrits alsaciens du XIIIe siècle, cette région a failli perdre son emblème en 1974. Il ne subsistait plus alors que neuf couples, ni plus ni moins les derniers de France. Plusieurs centres de réintroduction mis en place pour sauver l’espèce sont parvenus à renverser la tendance. En 1997, l’Alsace comptait 180 couples, aujourd’hui près de 800. Cette région reste le bastion français de l’espèce avec la Charente-Maritime qui compte 450 nids. Au total, l’Hexagone abrite désormais plus de 2600 couples.
Pour aller plus loin
Point sur les cigognes à Besançon et plus largement en France avec Samuel Maas, coordinateur du suivi de la cigogne blanche en Franche-Comté.
Ecoutez l'ambiance dans un nid de cigognes avec Boris Jollivet!
Nick Derry est l'auteur de la magnifique image en tête de ce numéro cigognes. Découvrez la genèse d'une couverture pas comme les autres.
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Cet article est extrait de la Revue Salamandre
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