En quête de syrphes, des mouches déguisées en guêpes
Les syrphes passionnent les gestionnaires d'espaces naturels. Confidences de deux pionniers franc-comtois.
Les syrphes passionnent les gestionnaires d'espaces naturels. Confidences de deux pionniers franc-comtois.
« Depuis que j'ai plongé dans ce monde fascinant, j'y passe mes soirées et une bonne partie de mes week-ends ! » Paroles de Bruno Tissot. Plein d'enthousiasme, le conservateur de la réserve naturelle de Remoray, à quelques kilomètres de Pontarlier dans le Doubs, a découvert le monde fascinant des syrphes en 2008. Les syrphes ? Mais oui, vous les connaissez. Ce sont de belles mouches qui butinent les fleurs, souvent en volant sur place comme de mini-hélicoptères. Les plus connues d'entre elles ressemblent à des guêpes zébrées de noir et de jaune pour dissuader les prédateurs. N'ayez crainte, ce sont bel et bien des diptères comme l'attestent leurs gros yeux et leur unique paire d'ailes.
Mouches anti-cafard
Le soleil tape fort sur les saules et les laîches en cet après-midi de juin. Accompagné par son collègue Jocelyn Claude, Bruno Tissot enjambe un ruisseau d'eau claire puis se dirige vers une clairière en lisière de la réserve. Derrière les lunettes, ses yeux pétillent. Depuis près de trente ans, cet homme est le gardien d'un véritable joyau, 340 hectares de marais tout autour du miroir bleu du lac de Remoray. Son sanctuaire, il en connaît tous les coins et recoins. Hélas, au fil des années, ce passionné d'oiseaux assiste au déclin de plusieurs espèces emblématiques.
Malgré d'importantes actions de renaturation, les populations de vanneaux huppés, de bécassines des marais ou de marouettes ponctuées s'effondrent. « C'est parfois dur à vivre. Heureusement, avec l'entomologie, j'ai trouvé un excellent antidépresseur. Je ne dis pas que tout va bien pour les insectes, loin de là. Mais au moins, il y a encore tellement de choses à découvrir. »
Le sens du sacrifice
Les deux entomologistes arrivent dans la clairière. Une espèce de petite tente blanche appelée tente malaise se dresse contre un bosquet de saules. C'est un piège qui intercepte les insectes en vol le long de la lisière. En cherchant à s'échapper, les malheureux finissent tôt ou tard par tomber dans un bocal rempli d'alcool qui est relevé tous les quinze jours. Un sacrifice qui en vaut la peine ? Jocelyn Claude est catégorique « Très clairement. Ces échantillons nous donnent des informations extrêmement précieuses. » Et puis, certaines espèces ne peuvent être déterminées qu'en laboratoire.
Cette quête aux mouches a débuté voici huit ans. A l'occasion d'une rencontre avec d'autres gestionnaires, Bruno Tissot découvre une méthode révolutionnaire pour évaluer l'état d'un milieu naturel : Syrph the Net inventée par l'Irlandais Martin Speight. Son stagiaire Jocelyn Claude est associé à l'aventure… tant et si bien qu'il devient bientôt salarié de la réserve naturelle.
L'application de ce protocole à Remoray pendant trois ans de 2009 à 2011 permet de recenser avec des tentes malaises près de 4000 espèces d'insectes dont 212 syrphes différents. En d'autres termes, on trouve sur ce petit territoire 40% de la biodiversité des syrphides connus en France. Parmi eux, Pipizella mongolorum , une rareté connue jusqu'ici uniquement de Mongolie, de Sibérie, d’une localité en Tchéquie et d’une autre en Allemagne. « J’ai vu le grand spécialiste Martin Speight sauter sur sa chaise quand il a identifié cet individu. »
La leçon des manquants
Heureuses nouvelles, mais ce n'est pas tout. Un système de codage très fin que nous ne détaillerons pas ici est injecté dans une base de données. Ce volet informatique, c’est Jocelyn Claude qui s’en charge. De l'analyse de toutes ces données émerge une très bonne définition de l’état de santé de chaque habitat naturel et de l’état potentiel dans lequel il devrait se trouver idéalement, c’est-à-dire sans impact de l’homme.
En d'autres termes, si les syrphes théoriquement attendus dans un écosystème sont présents, c’est que son fonctionnement est plutôt bon. Inversement, s’il manque des espèces que la base de données attendait, c’est qu’il y a dysfonctionnement. Et pourquoi considérer ces mouches plutôt que les papillons, les libellules ou les oiseaux ? Réponse imparable de Jocelyn Claude « Les syrphes adultes volent tous à la recherche de fleurs dont ils boivent le nectar. Nos pièges d'interception donnent un instantané standardisé de la diversité locale de cette famille d'insectes. A l'inverse, les larves de syrphides sont très spécialisées et occupent toutes sortes de micro-niches écologiques qui ont été très précisément décrites. L'absence ou la présence de chaque espèce en dit long sur l'état du milieu. »
L'espoir du râle
Et puis, avec les oiseaux par exemple, on ne sait jamais si un déclin est lié à des causes locales ou lointaines. A Remoray, Bruno Tissot fait tout ce qu'il peut pour sauver le tarier des prés mais ce petit oiseau disparaît quand même, peut-être pour des causes liées à son séjour en Afrique. « Ce n’est pas un bon indicateur… » Chut ! A propos d'oiseau, un curieux appel ventriloque interrompt le spécialiste. C'est un râle des genêts qui chante, invisible dans la prairie humide toute proche. Ouf, celui-ci a choisi un endroit à l'abri de la faucheuse pour s'installer. Heureuse note d'espoir pour cette espèce extrêmement menacée.
Vrai tour de France
Au fil du temps, Jocelyn Claude perfectionne le modèle et les deux compères organisent plusieurs cycles de formation pour convertir à cette nouvelle méthode des dizaines de gestionnaires de réserves naturelles de la Camargue à Lille en passant par le Vercors ou l'Alsace. A Bruno Tissot les déterminations pointues, à son attaché scientifique les analyses statistiques. Grâce à cette complémentarité, Remoray devient un centre de compétences national sur ces insectes. International même puisque des Suisses s'intéressent de plus en plus à cette nouvelle approche. D'ailleurs, un premier cycle de formation démarre ce mois de septembre à Neuchâtel.
« Tu ne trouves pas qu'il y a beaucoup de damiers de la succise ce printemps ?» Bruno et Jocelyn jouent encore un peu du filet à papillons autour de leur installation. « Regarde, j'ai trouvé un thécla vert ! » Puis ils quittent ce paradis à insectes pour rejoindre leur bureau intégré à la Maison de la Réserve à Labergement-Sainte-Marie. Dans sa main gauche, Bruno tient fermement le récipient qui contient les mouches piégées dans la tente malaise ces deux dernières semaines. Quelques soirées de loupe binoculaire en perspective…
Bruno Tissot et Jocelyn Claude en vidéo ici.
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Cet article est extrait de la Revue Salamandre
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