Confessions d’un pêcheur surdoué, le cormoran
En hiver, le grand cormoran est un symbole de nos lacs et rivières. Guettez depuis la rive pour percer les secrets de ce plongeur parfois contesté.
En hiver, le grand cormoran est un symbole de nos lacs et rivières. Guettez depuis la rive pour percer les secrets de ce plongeur parfois contesté.
Vins chauds et thés épicés fument dans l’air glacé. Douce nuit, Sainte nuit ! chantent des haut-parleurs accrochés aux lampadaires. A 16 h 27, le soleil couchant plonge le marché de Noël dans une lumière orangée. A cet instant précis, un vol en V traverse lentement le ciel. « Des oies ! » s’exclame un marchand… « Non, des grues ! » rétorque un vendeur de marrons grillés. Ni l’un ni l’autre, à vrai dire.
Les oiseaux sombres descendent maintenant vers la surface de l’eau. Leur long cou tendu donne l’impression que les ailes sont trop en arrière. Toujours pas reconnus ? Ce sont des grands cormorans ! Le soir venu, ils se rassemblent pour passer la nuit sur des vieux saules au milieu de la roselière. Les enrochements au large du port ou des radeaux font également office de dortoir, surtout à cette saison où une partie des populations nordiques vient hiverner en France et en Suisse.
Encore peu fréquent au milieu du XXe siècle, le palmipède a connu une évolution spectaculaire suite à sa mise sous protection par l’Union européenne. Aujourd’hui, c’est un incontournable de tout plan d’eau poissonneux...
Le lendemain de bonne heure, retour au bord de l’eau : -5 °C, froid de canard. Le dortoir des cormorans se réveille et se vide au compte-gouttes. Au milieu du lac, le petit-déjeuner est servi. Les oiseaux atterrissent en glissade sur l’eau et se mettent à nager en plongeant régulièrement la tête.
Une véritable battue de pêche s’organise : les corbeaux lacustres se disposent en demi-cercle contre le courant et entourent les bancs de poissons pour en faciliter la capture. Une fois repéré une perche ou un gardon, ils plongent avec élégance dans les eaux noires.
Là, sous la surface calme du lac, se joue alors un véritable drame. Propulsé par la palmure qui relie ses quatre doigts, chaque pêcheur poursuit vigoureusement sa proie à la vue (> paragraphe Scaphandrier aux yeux verts). Saisis par son bec crochu, rotengles et corégones n’ont aucune chance de s’échapper.
Les oiseaux possèdent normalement des glandes uropygiennes près de la queue qui sécrètent une huile protégeant et imperméabilisant les plumes. Mais chez le cormoran, elles sont atrophiées. Etonnant pour un plongeur d’élite non ? Bien au contraire ! Sous l’eau, son plumage s’imbibe et fonctionne comme un lest qui améliore ses performances.
Remonté à la surface, le corbeau pêcheur ingère toujours son repas tête la première pour éviter de se blesser au gésier avec des nageoires… La mâchoire supérieure de son bec peut d’ailleurs se déboîter, ce qui assure une très large ouverture buccale. Mais il arrive que des cormorans aux yeux plus gros que le ventre tentent d’avaler des poissons disproportionnés et s’étouffent...
Pêcheur très habile, le cormoran ne dédie pas plus de 20% de sa journée à la recherche de nourriture. L’appétit calmé dès le petit matin, il abandonne l’eau et regagne la terre par les airs.
Mais comment fait-il pour voler plumage trempé et ventre plein ? Les décollages qui suivent ses baignades sont laborieux. L’oiseau bat furieusement des ailes et court sur la surface de l’eau pour prendre de l’élan. Une fois qu’il a rejoint un bateau amarré ou une branche, il écarte ses ailes en étendard pour les sécher.
Dans cette posture hiératique, le motif écaillé de ses plumes noires aux reflets verdâtres rappelle plus un dinosaure qu’un oiseau. Le genre Phalacrocorax, auquel appartiennent toutes les espèces de cormorans actuelles, est en effet très ancien. Apparu il y a 40 millions d’années, il descendrait des Hesperornis, des oiseaux aquatiques au bec muni de dents et incapables de voler. C’était eux, les pêcheurs du crétacé… Sauf qu’à l’époque personne ne les qualifiait d’oiseaux de mauvais augure ou de concurrents insatiables.
Corbeau de mer
Cormoran dériverait de l’ancien français corp et marenc : littéralement corbeau-pêcheur. La couleur noire de son plumage et son attachement à l’eau sont aussi évoqués en portugais, corvo-marinho signifiant corbeau marin. En latin, Phalacrocorax carbo se traduit par corbeau noir et chauve. Pourtant, cette espèce appartient à la famille des phalacrocoracidés et pas aux corvidés !
Largement distribuée à travers l’Eurasie, la sous-espèce sinensis niche surtout au Danemark, mais aussi en France ou en Suisse depuis 2001. Les côtes normandes et bretonnes hébergent quant à elles la sous-espèce atlantique carbo, typique des littoraux norvégiens, islandais et groenlandais.
Scaphandrier aux yeux verts
Les narines du cormoran se bouchent quelques jours après la naissance, une adaptation aux missions subaquatiques. Ses yeux turquoise sont aussi conçus pour la plongée. Sous l’eau, le cristallin est fortement compressé, ce qui augmente la réfraction de la lumière et garantit une vision très performante.
La durée des immersions varie entre 15 secondes et rarement plus d’une minute, pour une profondeur moyenne de 3 à 9 mètres, exceptionnellement jusqu’à 34 mètres.
Cormoran : pêcheur ou pécheur ?
Eclectique, le cormoran mange ce qu’il trouve lors de ses plongées : tanches, gardons, rotengles, perches, anguilles, truites ou jeunes brochets. Il consomme surtout des poissons de 10 à 35 cm de longueur, parfois aussi des alevins ou des pièces allant jusqu’à 69 cm.
En hiver, il avale quotidiennement environ 300 g de nourriture… Ce qui provoque parfois la colère des professionnels de la pêche qui dénoncent l’endommagement des filets et une perte de rendement très discutés par les scientifiques. Certains pêcheurs avisés ont appris à suivre ces oiseaux pour repérer les bancs de poissons. En Chine ou au Japon, le cormoran a même été domestiqué tout exprès pour la pêche.
Tout dans les ailes
Pourquoi le cormoran étend-il ses ailes ? Avant tout pour les sécher après la plongée. Mais cette posture jouerait aussi un rôle dans la communication intraspécifique : l’oiseau signalerait à ses congénères une pêche fructueuse. Selon d’autres chercheurs, ce comportement empêcherait d’autres individus de se poser trop près de lui. Cette position augmenterait aussi la surface d’absorption de la chaleur du soleil et faciliterait ainsi la digestion du poisson très froid.
Pour aller plus loin
Apprenez-en plus sur le cormoran avec le livre de Gérard Debout Le grand cormoran
Lisez cette étude mandatée par l'OFEV: Pêche et cormorans: moins de pertes et de dommages que supposé
En pratique, lisez nos 3 conseils pour observer les cormorans
Cet article est extrait de la Revue Salamandre
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