© Ronnie Howard/stock.adobe.com

Des barrages façon castor 

Dans la Drôme, des gestionnaires de cours d’eau ont bâti des ouvrages mimant les techniques du castor pour restaurer des milieux humides.

Dans la Drôme, des gestionnaires de cours d’eau ont bâti des ouvrages mimant les techniques du castor pour restaurer des milieux humides.

La rivière bruisse doucement au milieu des arbres, des jardins et des champs. La Véore, qui prend sa source dans les contreforts du Vercors pour se jeter dans le Rhône, traverse sur son passage la plaine agricole de Valence, dans la Drôme.

C’est ici, en amont de Chabeuil, qu’on aperçoit en travers de son cours de curieux ouvrages : un entrelacs de troncs, de branchages, de pierres et de terre, créant ici des bassines aux eaux calmes, là des remous, voire des débordements.

Des barrages de castors ? Ils en ont tout l’air, mais ceux-ci sont l’œuvre d’humains, ingénieurs des rivières eux aussi. Une quinzaine d’ouvrages castors mimétiques ont ainsi été réalisés sur 1 km de cours d’eau par les services de la collectivité Valence Romans Agglo – une première en France.

Une piste inspirante

L’idée est née à la suite d’une rencontre avec le philo­sophe du vivant Baptiste Morizot, qui s’est initié à cette approche aux États-Unis. La méthode a fait ses preuves outre-Atlantique pour restaurer des zones humides très dégradées.

Cette technique low tech est économique, réversible, et n’utilise que des matériaux naturels. Une première expérimentation a été réalisée dans la ferme drômoise du Grand ­Laval, sur un ruisseau remis à l’air libre. Très vite, une petite zone humide s’est créée dans la prairie alentour, attirant oiseaux, amphibiens ou libellules. Il ne restait plus qu’à tester ce dispositif sur un cours d’eau plus important…

Le choix s’est porté sur la Véore et aussi sur la Lierne, fortement simplifiées sous l’effet des aménagements réalisés en aval. « Dans la seconde moitié du XXe siècle, les remembrements agricoles, ainsi que les travaux hydrau­liques visant à maîtriser les crues, ont traumatisé les rivières de la plaine : on les a curées, rectifiées, canalisées, pour évacuer l’eau plus rapidement », explique Cédric Cadet, chef de projet dans la gestion des milieux aquatiques à Valence Romans Agglo.

Avec l’accélération du flux et le rétrécissement de leur lit, ces rivières se sont enfoncées et déconnectées des zones humides voisines. Tout l’écosystème s’est banalisé. Un phénomène amplifié par les sécheresses à répétition. Aujourd’hui, les gestionnaires s’emploient donc à défaire ce qui a été fait.

« L’objectif est de rehausser le niveau de la rivière, de ralentir son flux et de retenir l’eau sur le territoire », soutient Cédric Cadet.

© Valence Romans Agglo / Chantier d’imitation des ouvrages de castors.

Nouveaux paysages

Sur la Véore, l’effet de ces barrages est déjà visible. Le niveau d’eau est remonté de plusieurs dizaines de centimètres et, à la confluence avec la Lierne, une petite retenue s’est formée en amont de l’ouvrage. Des rais de soleil caressent sa surface tranquille où flottent les graines duveteuses des peupliers. Un cincle plongeur remonte le courant d’un vol vif.

Autour de la rivière, l’eau déborde et ruisselle à travers l’humus et la végétation. « L’objectif était d’inonder ces anciennes terrasses alluviales, qui étaient à sec depuis des décennies. On réhydrate les sols, qui se gorgent comme une éponge », précise le gestionnaire.

Des conséquences positives sont également attendues pour le rechargement de la nappe, la régulation des crues et l’atténuation des effets de la sécheresse. « L’été dernier, la Lierne s’est maintenue à un niveau plus important en amont des ouvrages, ses bras sont restés en eau toute la saison », poursuit le technicien. L’ouvrage, dont les branches sont disposées en parallèle du courant, ralentit le flux sans le barrer... et, selon ses bâtisseurs, sans faire obstacle à la circulation des poissons. Il permet aussi de diversifier les vitesses d’écoulement, les profondeurs, la température de l’eau, les habitats... et ainsi, tout l’écosystème de la rivière.

Le retour de la truite est particulièrement espéré. Mais surtout, un invité de premier choix : le castor lui-même ! Quasiment disparu de France au XXe siècle, notamment à cause de la chasse, il est désormais protégé et a recolonisé, selon l’Office français de la biodiversité, plus de 15 000 km de cours d’eau en France.

Sur la Véore, un jeune individu est déjà venu explorer les barrages. « Le castor est opportuniste : s’il trouve un site hospitalier, déjà aménagé, avec des zones de hautes eaux pour creuser son terrier et du saule, il est fort probable qu’il s’y installe. Il pourrait alors prendre le relais pour entretenir nos ouvrages ! », espère Cédric Cadet.

© Valence Romans Agglo

Ingénieurs sauvages

Les castors sont cités dans le rapport du GIEC de 2022 comme une des « solutions fondées sur la nature » permettant l’adaptation au changement climatique. Plusieurs études montrent les bénéfices apportés par leurs barrages :

• Dans ce plan d’action nord-américain, deux scientifiques appellent à imiter ou s’allier avec les castors pour restaurer les cours d’eau. Ils citent de multiples recherches montrant les services rendus par leurs barrages.

Chris E. Jordan et Emily Fairfax, Wires Water, 2022 > bit.ly/455z9sr

• Les milieux humides créés par les castors sont mieux irrigués, moins secs et moins inflammables, selon une étude qui a examiné cinq incendies dans l’Ouest américain entre 2000 et 2018. Ils constituent ainsi des corridors végétaux qui servent de pare-feux et de refuges aux espèces fuyant les flammes.

Emily Fairfax et Andrew Whittle, Ecological Applications, 2020 > bit.ly/3wTKgIk

• En augmentant fortement le niveau des rivières, les barrages de castors améliorent la qualité de l’eau, selon une étude menée dans les montagnes du Colorado. L’eau déborde sur les rives, dans les bras secondaires et dans les sols, qui font office de filtres éliminant certains polluants et nitrates.

Christian Dewey et al., Nature Communications, 2022 > bit.ly/4e1ct0M

© Christian Cabron / Biosphoto - Castor d’Eurasie dans la zone humide qu’il a contribué à préserver
Couverture de La Salamandre n°283

Cet article est extrait de la Revue Salamandre

n° 283  Août-Septembre
Catégorie

Écologie

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