© Benoît Renevey

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Option réintroduction

Coup de chaud pour la fleur dorée

Inféodée aux marais froids du Grand Nord et des montagnes, la saxifrage œil-de-bouc est réimplantée dans le Jura franco-suisse pour éviter son extinction.

Inféodée aux marais froids du Grand Nord et des montagnes, la saxifrage œil-de-bouc est réimplantée dans le Jura franco-suisse pour éviter son extinction.

Tandis que les chants de courlis cendrés et de rousserolles verderolles animent le paysage sonore, une pluie intermittente arrose trois botanistes imperméables. Leur terrain de jeu : un marais d’altitude près du village de Sainte-Colombe, non loin de Pontarlier (Doubs). Leur camp de base : des appareils de mesure en tous genres, des caissettes remplies de pots, des blocs-notes et de grands parapluies. « On serait venus même sous le déluge ! », annonce
Julien Guyonneau avec le sourire de celui qui connaît la valeur de cette eau venue du ciel.

Pour le scientifique du Conservatoire botanique national de Franche-Comté, l’objectif de ce 23 mai est de planter 80 pieds d’une plante rarissime, la saxifrage œil-de-bouc. Le déclin dramatique de cette relique glaciaire, y compris dans la dernière station de France située à Bannans, à quelques kilomètres d’ici, a conduit à élaborer un premier plan national d’actions (2012-2016), puis un second en cours (2021-2027). Parmi les mesures phares pour faire renaître la fleur dorée dans les marais du massif jurassien, on note le renforcement de la population relictuelle, la réintroduction dans les stations historiques et même l’introduction dans des sites jugés ultrafavorables, mais où la plante n’a ­jamais été observée. « C’est un programme échelonné sur deux périodes de cinq ans et qui concerne dix sites : cinq durant la période 2017-2022 pour un total de 2 805 pieds réintroduits et cinq nouveaux sites de 2023 à 2027, dont celui où nous sommes aujourd’hui », précise Julien Guyonneau.

L’habitat idéal pour cette saxifrage est la zone de transition entre le bas marais et le haut marais tourbeux, avec un niveau d’eau intermédiaire, beaucoup de mousse et peu de concurrence herbacée. « Autour, la flore est typique : la primevère farineuse, le trèfle d’eau, la prêle des marais, le saule rampant, le peucédan des marais…, le botaniste égraine les noms de plantes en les pointant du doigt. Là-bas, la molinie est plutôt le signe d’une dégradation du marais et si ça s’assèche encore cette graminée prendra complètement le dessus », poursuit-il.

L’expert admet que ce scénario s’observe malheureusement sur la station naturelle de Bannans, la plus basse (810 m d’altitude), qui est dans une situation dramatique. « Nous n’imaginions pas un changement climatique si brutal lorsque nous avons lancé le plan de renforcement en 2016. Augmentation des températures moyennes, canicules répétées, sécheresses au printemps, en été et en automne. Le marais s’assèche, les campagnols colonisent et consomment la saxifrage… » Tout s’emballe pour ce milieu fragile : limaces, lombrics ou fourmis colonisent le sol et modifient sa physico-chimie. « Sans parler de l’apport d’azote atmosphérique et des fertilisations agricoles alentour », conclut-il en notant méticuleusement les informations concernant le plant n° 134 que lui dicte sa collègue Julie Reymann.

Heureusement, les nouvelles sont très encourageantes en provenance d’une tourbière en très bon état située à 1 100 m d’altitude, où les plantes se portent bien. De quoi motiver le repiqueur du jour qui choisit les plus beaux plants dans une caissette posée au sol. Samuel Czapla, du jardin botanique de Besançon, est chargé de la culture des saxifrages.

Aussi bien la collection de sauve­garde issue de la dernière station naturelle connue en France que la mise en culture de semis destinés à la réintroduction. « Tous ces plants proviennent de graines suisses, plus précisément de la Combe des Amburnex (VD) », témoigne ce passionné.
Si l’avenir s’annonce chaud pour la plante venue du froid, il ne fait aucun doute que des experts, investis et ancrés dans la réalité du terrain, font tout leur possible au quotidien pour que l’espoir soit permis.

La Combe des Amburnex (VD) en Suisse abrite la plus grande population de saxifrages œil-de-bouc d’Europe centrale, avec plusieurs milliers de pieds. Un vivier qui fournit les programmes de réintroduction dans le Jura suisse et les Préalpes, ainsi qu’en France. / © Benoît Renevey

Le saviez-vous ?

26 : Nombre de localités qui abritaient encore la saxifrage œil-de-bouc en Suisse au XIXe siècle. Une vingtaine étaient historiquement connues côté France. Dans chacun des deux pays, l’espèce n’était plus connue que d’une seule station avant les programmes de réintroduction.

Du brome au cœur : D’après les botanistes, la graminée endémique de Wallonie, associée à la culture de l’épeautre, avait disparu de la région vers 1935. Plus de quatre-vingts ans après, grâce à des graines conservées au jardin botanique de Meise et à des agriculteurs volontaires, le brome des Ardennes a retrouvé la clé des champs.

© Benoît Renevey

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Option réintroduction

Couverture de La Salamandre n°284

Cet article est extrait de la Revue Salamandre

n° 284  octobre - novembre
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