Crépuscule en Sibérie

Ce soir, les sapins tanguent dans les bourrasques. Et moi, je marche en rêvant aux habitants sauvages de cette forêt, au sanglier, au cerf, à l’ours qui sait ? Ce soir, les grands arbres chuchotent de vieilles histoires, les flocons virevoltent, les traces du renard dessinent des arabesques sur une page blanche. Et mon cœur bat fort.

Là ! Des empreintes rondes foulent la neige à larges enjambées. Elles sont à peine voilées par une pincée de grésil : le fauve est passé il y a peu de temps. Sa présence résonne entre les troncs gris. J’imagine ses yeux d’ambre, ses flancs mouchetés, ses pattes rondes. Alors, je suis sa piste décidée, droit devant. Bientôt, elle fait un détour contre une souche, enjambe un tronc couché puis suit le dos d’un vieux mur de pierres oublié. Mais la nuit arrive et je n’y vois plus rien.

Silence. Je m’assieds au pied d’un vieux hêtre. Et là, je sens que le temps des grands voyages est révolu. Sans doute n’irai-je jamais pour de vrai en Sibérie. Et alors ? Est-ce grave de lâcher quelques rêves ? Le climat, le virus, nos fringales insensées, toute notre époque ramène implacablement à la proximité. A mettre nos énergies non pas dans la consommation du monde mais dans la construction d’un avenir ancré et local. Ce soir, mon Baïkal c’est le lac de Joux. Ma taïga les sapins jurassiens. Mon tigre de l’Amour le lynx boréal. Je suis soulagé qu’il puisse encore faire froid dans mes montagnes… et heureux de partager cet instant avec vous.

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