Un laboratoire à Genève tente de percer le secret de la dormance chez les graines d’arabette
Pétrifiées, certaines graines se lancent dans un mystérieux périple spatio-temporel avant de s’animer comme par magie. Un laboratoire à Genève étudie cet état de flottement fascinant, la dormance. Reportage.
Pétrifiées, certaines graines se lancent dans un mystérieux périple spatio-temporel avant de s’animer comme par magie. Un laboratoire à Genève étudie cet état de flottement fascinant, la dormance. Reportage.
Un beau jour, la graine doit prendre une décision cruciale : germer. Elle passe alors d’un état extrêmement résistant à une fragile plantule à la merci des éléments, sans retour en arrière possible. Elle dispose heureusement de mécanismes pour l’aider à choisir le jour J, que l’on commence à peine à comprendre.
S’inscrivant dans une continuité de recherches, Luis Lopez-Molina et son équipe lèvent humblement un coin du voile. Le professeur au Département de biologie végétale de l’Université de Genève a fondé son laboratoire en 2004 pour identifier les gènes impliqués dans le contrôle de la germination chez l’arabette des dames. Elle, c’est l’organisme modèle dans la recherche, l’équivalent végétal du rat de laboratoire. « En imbibant d’eau de jeunes semences d’arabette, aucune ne germe malgré des conditions optimales. Elles sont en dormance, résume le chercheur. Ce temps de latence permettrait de pousser à la bonne saison, tout en augmentant les chances de se disperser. »
Sage dodo
Luis Lopez-Molina dépose sur sa paume des graines d’Arabidopsis thaliana, poussières d’à peine 1 mm. Elles ne respirent pas. L’arrêt du développement embryonnaire est une adaptation incroyable qui confère aux plantes un remarquable pouvoir sur le temps. « En répétant la même opération d’imbibition après quelques semaines, elles finissent par germer ! Que s’est-il passé et comment ces bébés quasi morts ont-ils compté le temps qui s’écoule ? » interroge le chercheur. Eh bien, la plante mère prépare non seulement la chambre des petits et leur repas, mais elle leur fournit aussi dès le berceau des outils pour décider seuls de leur sort en intégrant les événements du passé tout comme les paramètres du présent.
Mémoires maternelles
La dormance est en partie induite par le tégument chez Arabidopsis. Cette enveloppe extérieure est constituée de tissus maternels enrichis par des tanins. Ces antioxydants, à l’origine de la teinte brune, jouent probablement un rôle de barrière qui limite l’entrée de l’air. « On pense que la diffusion progressive d’oxygène à travers la coque provoque une série d’événements oxydatifs durant lesquels s’acquiert la capacité de germer, explique le biologiste tout en dessinant un sablier symbolisant ce mécanisme. La perméabilité de la coque devrait influencer la dormance par ricochet. »
Sur l’écran, les coupes de graines au microscope ne montrent aucune ambiguïté : celles qui se sont développées dans un environnement froid ont une coque plus dense, moins perméable. Celle-ci peut être vue comme une mémoire des températures passées transmise par la plante mère pour influencer la profondeur du sommeil – le débit du sablier en quelque sorte. « Si une arabette monte en graines au-dessus de 15 °C, la descendance sera peu dormante. Au-dessous, c’est l’inverse. On pense que la plante chercherait à développer ses graines aux alentours de ce seuil pour engendrer des populations avec divers niveaux de dormance, maximisant leur survie dans un avenir imprévisible », détaille le chercheur.
Moment présent
Ce n’est pas tout. Certaines graines sont comme enfermées dans un bunker devant être dégradé par l’abrasion, l’action des micro-organismes ou encore les sucs digestifs. D’autres renferment un embryon de petite taille qui a besoin de temps pour se développer. Enfin, le modèle de réveil qui a la cote chez un large éventail de végétaux, dont l’arabette, est la dormance physiologique qui tient compte des signaux environnementaux. « En fait, le terme dormance est mal choisi, car il donne l’impression d’un sommeil passif, prévient le scientifique. Or, la graine, une fois humidifiée, réprime activement son réveil en synthétisant une hormone clé, l’acide abscissique. »
Ainsi, même si la saison est idéale et l’oxydation va bon train, la graine reste vigilante sur son environnement grâce à des récepteurs de lumière et de température intégrés. L’acide abscissique est produit tant que la luminosité est appauvrie en rouges, signe de ciel bouché par une canopée dense. « Il est aussi synthétisé en cas de températures élevées, néfastes pour les fragiles pousses. Les graines sont comme des thermomètres calibrés à leur milieu de vie. Ainsi, le réchauffement climatique a d’énormes conséquences sur la distribution des espèces », s’inquiète Luis Lopez-Molina.
Jumeau généreux
« Nous avons découvert que, chez l’arabette, l’embryon n’a aucun pouvoir décisionnel sur la germination. Les récepteurs et la production d’hormones de contrôle sont délégués à un tissu nutritif, l’albumen, qui se résume à une couche de cellules autour du bébé », poursuit-il. Ce tissu est vivant et lui aussi issu d’une fécondation. Car, chez les plantes à fleurs, le pollen contient deux noyaux. L’un féconde l’ovule pour former l’embryon, l’autre fusionne avec une cellule spéciale pour donner l’albumen.
C’est peut-être un moyen d’éviter le gaspillage : le repas n’est préparé que si un bébé naît. L’albumen est en quelque sorte un jumeau, mais qui n’est pas destiné à survivre. « Pourquoi, durant l’évolution, les commandes de la germination ont-elles été données à un tissu altruiste ? » Luis Lopez-Molina s’enfonce dans son fauteuil, songeur. Il confie son hypothèse : « C’est bien joli de se murer dans une graine, encore faut-il en sortir. L’embryon est une plante miniaturisée, avec des racines et des feuilles en germe. Libéré d’une tâche par l’albumen, il aurait l’occasion de maximiser son organisation cellulaire complexe. »
Dans les chambres de culture, des plantules d’arabette naissent. Elles ont attendu les conditions parfaites pour qu’enfin quelque chose bouge en elles. La dormance se lève avec l’arrêt de la production d’hormones répressives, les cellules boivent et gonflent. Durant des heures, la pression interne augmente et déchire la coque. Puisant dans leurs réserves, les bébés déploient vers le bas une radicelle puis déplient deux premières feuilles capables de fabriquer leur propre nourriture. La magie de la vie...
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Cet article est extrait de la Revue Salamandre
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