© Jean-Philippe Paul

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Retour à pas de loutre

La cohabitation entre loutre et pisciculture est possible

De sa passion pour la loutre, il a fait un job inédit. Rendez-vous au bord d’une rivière du Massif central, en Corrèze, avec un pisciculteur reconverti.

De sa passion pour la loutre, il a fait un job inédit. Rendez-vous au bord d’une rivière du Massif central, en Corrèze, avec un pisciculteur reconverti.

8°C, début mai, printemps timide. Bienvenue à Bugeat, au cœur du Limousin, pays de la loutre. Au bord de la Vézère en fin de crue, une jolie forêt de pente verdoie de jeunes fougères aigles. Plus bas, voici un petit affût en bois dans lequel se tient le gardien des lieux, Stéphane Raimond. On dit de cet ancien pisciculteur que c’est le plus fin observateur de la loutre sauvage en France, que sa connaissance intime du poisson lui permet de penser comme elle, d’être un peu loutre lui-même. L’homme aux yeux vifs lève la tête: « il serait temps que la pluie s’arrête cette année ! » Puis, au bout de quelques phrases, la conversation s’oriente tout naturellement vers des histoires aquatiques.

Stéphane, lorsque le film « Le banquet des loutres » est sorti, vous étiez encore pisciculteur ?

Oui. Le documentaire de Ronan Fournier-Christol raconte comment, dès mon installation en tant que pisciculteur professionnel, je constate des pertes de poissons pas très normales. Je me rends vite compte que c’est la loutre qui vient se servir chez moi! Alors, je demande conseil à diverses associations. Après un long cheminement administratif, j’obtiens un financement pour une clôture. Peu à peu, mon exploitation devient le premier site expérimental d’étude de la cohabitation entre loutre et pisciculture.

Cette cohabitation fonctionne ?

J’apprends au fil des années à connaître un animal fabuleux et malin. Aujourd’hui, je vibre complètement pour cette petite sirène. La photographie qui me servait simplement au départ à prouver la présence des loutres s’est révélée être une passionnante activité. Bientôt, je construis un affût permanent et je reçois de plus en plus de naturalistes et de photographes qui rêvent d’observer cette espèce mythique.

Et le métier de pisciculteur dans tout ça?

Pour des raisons personnelles, je suis obligé de vendre mon exploitation en 2011. J’adore mon métier, mais la loutre ne sort plus de mon esprit. Je dois coûte que coûte trouver une activité qui concilie mes deux passions. Entre-temps, le film qui présente ma démarche m’a fait connaître dans le milieu de la protection de la nature. On me propose alors d’être le premier animateur de la cohabitation entre loutre et pisciculture pour le Plan national d’actions sur cette espèce. Je crée alors mon entreprise Objectif Loutres.

Plus de pisciculture, plus d’observations chez vous?

Bien sûr que si. En parallèle, j’acquiers 4,3 ha qui bordent 500 mètres de la rivière où vivent mes protégées. J’y crée un paradis pour loutres. Et je loue mon nouvel affût aux curieux qui viennent de toute la France observer ou faire des images de loutre sauvage. Cela me permet d’entretenir le site et de compléter mes revenus en vivant de ma passion.

Votre rôle d’ « animateur loutre», ça consiste en quoi?

Missionné par la Société française pour l’étude et la protection des mammifères (SFEPM), j’interviens sur des sites où la loutre pose problème aux pisciculteurs professionnels. Je dois proposer des solutions concrètes qui permettent un bon exercice de la profession sans nuire au mammifère sauvage.

Vous êtes une sorte de médiateur?

Exactement! Cette double compétence fait que mon poste est unique en France. Je fais de la sensibilisation aussi lors de conférences et colloques. Et même dans les écoles de formation des pisciculteurs.

Racontez-nous votre première expertise?

C’était au Moulin de Barthou, en Corrèze. J’ai dû tout adapter : hauteur et maille des grillages, clôtures électriques, portails... Il a fallu imaginer des systèmes anti-loutres qui les empêchent de rentrer mais qui ne provoquent pas de débordement des bassins par colmatage. Depuis, j’ai enchaîné diverses installations dans la région. Et je me déplace de plus en plus. Cette année, j’ai été missionné en Ardèche, en Gironde et en Creuse.

Qu’est-ce qui vous fascine tant chez cet animal?

La loutre m’offre toujours un truc en plus. Il n’y a pas deux observations identiques. Quand elle te fixe droit dans les yeux, ça passe par la tête, le corps, les pieds... Un frisson! Il n’y a que cet animal qui me fait ça. Et puis, quand elle chasse, elle est totalement adaptée à son milieu. C’est de l’eau dans l’eau, une vague, un fantôme. Elle est propulsée, elle glisse toute seule. En plus elle est tout terrain : je l’ai vue se battre avec un renard.

Cette loutre est-elle en train de renifler une amanite tue-mouches? / © Stéphane Raimond

Comment cette expérience de cohabitation avec la loutre est-elle perçue dans la région?

La loutre est le symbole du Parc naturel régional de Millevaches. Elle a une image forte qui donne un caractère sauvage au pays et à ses eaux. Par contre, les pêcheurs et les pisciculteurs ont tous un souci avec elle par ici. Dans certains cas, il faut reconnaître que ça peut être une sacrée concurrente. Mais comme elle n’a jamais disparu, elle fait partie de leur quotidien. Et les mentalités évoluent positivement. Même le club de boxe de Bugeat a pris la loutre comme emblème!
Quant à moi, on a parfois dit que j’étais le fou qui rit quand la loutre lui vole ses truites. Bah! Ça fait parler du pays. Et puis, il y a eu le film et des articles de journaux. Alors, la perception à mon égard est devenue plus positive...

Carnets de Stéphane Raimond

Blessé, condamné ?

En ce jour d’avril, je vais essayer d’entendre si le loutron blessé que j’ai repéré siffle cette nuit. Ou alors je me fait une cafetière et je vais affûter ailleurs. Je finis par me demander si c’est le mâle qui lui a fait cette balafre... ou la mère? On dirait qu’elle en a ras le bol et qu’elle ne donne plus volontiers de proies à son petit qui réclame pourtant à côté d’elle. Peut-être sent-elle qu’il est fichu ? Pour l’instant en tout cas il nage et court bien. Mais pour combien de temps ? Une semaine plus tard, il n’est plus avec la femelle et n’a pas l’air de vraiment bien pêcher. Sans doute va-t-il peu à peu s’affaiblir. je vais suivre attentivement ce qui va se passer ces prochains jours... Bonne surprise! Quarante-huit heures sont passées et il va mieux. Il est seul mais cette fois, il réussit à capturer poissons et crapauds. Il se débrouille comme un chef! Si sa blessure ne s’infecte pas, il est sauvé. Il est venu environ une heure après le passage du mâle et il a toutes les habitudes de sa mère: il chasse et mange aux mêmes endroits, s’ébroue et pose ses épreintes exactement sur le même rocher...

Loutron blessé au flanc / © Stephane Raimond

Carnets de Stéphane Raimond

Madame ou monsieur ?

On lit dans les livres que les sexes sont difficiles à différencier. Mais j’ai mes critères par expérience et feeling . Les mâles ont un aspect bourru, avec une tête plus large, les moustaches épaisses, les poils autour des yeux formant davantage une sorte de goutte d’eau. Les femelles sont plus fines, plus agréables à l’œil. On aimerait les caresser. Je préfère observer les femelles, toujours moins brutales et moins farouches. Habituées à surpasser leur crainte pour défendre les petits, elles s’aventurent plus souvent sur la berge et y restent plus longtemps. A contrario, les mâles ont toujours l’air inquiet d’un voleur pris en flagrant délit. Vers chez moi, je reconnais le nez rose tout pelé du gros mâle baroudeur. Il a une carie à la canine gauche et des griffes tout usées à force de s’aventurer là où il ne faut pas! La femelle a le nez noir et les griffes intactes mais je devine des dents émoussées et un défaut d’implantation des incisives.

Femelle pêchant en plein jour / © Stéphane Raimond/Objectif Loutres

Stéphane Raimond

  • 1973: Naissance à Cosne-Cours-sur-Loire, dans la Nièvre (Bourgogne).

  • Années 1990: diplôme BTS en aquaculture puis service militaire.

  • 1998: Achat d’une pisciculture.

  • 2002: Son exploitation devient un site expérimental de cohabitation avec la loutre.

  • 2010: Sortie du documentaire Le banquet des loutres .

  • 2011: vente de sa pisciculture

  • 2012: création de l’entreprise Objectif Loutres.

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Retour à pas de loutre

Couverture de La Salamandre n°219

Cet article est extrait de la Revue Salamandre

n° 219  Décembre 2013 - Janvier 2014, article initialement paru sous le titre "Des loutres… et du poisson!"
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