Des toits en vert
Les toits des villes et des zones industrielles offrent à la nature des surfaces inespérées. Virée en Suisse alémanique avec une écologue urbaine.
Les toits des villes et des zones industrielles offrent à la nature des surfaces inespérées. Virée en Suisse alémanique avec une écologue urbaine.
Rencontrer Nathalie Baumann est une aventure en soi. Vous devez la suivre le long de corridors interdits, monter au dernier étage des immeubles, grimper sur d'étroites échelles métalliques et déboucher enfin sur un toit brûlant pour parler oiseaux et petites fleurs. Ecologue urbaine à l'Université des sciences appliquées de Zurich (ZHAW), Nathalie Baumann est ici dans son élément. Depuis dix ans, elle déploie toute son énergie à transformer les toits des villes en havre de vie pour la nature.
La nature sur les toits, c'est le résultat d'une démarche plutôt artificielle, non ?
Oui et non. Un toit plat, graveleux ou non, va petit à petit être colonisé par des mousses, des lichens, des orpins... Si on laisse faire, l'humus créé va permettre à des plantes de plus en plus hautes de s'installer, mais le processus complet prendra plus de 20 ans. Si on prévoit d'emblée d'accueillir la nature, on obtiendra une belle biodiversité au bout de trois ou quatre ans déjà.
Des exemples à l'appui ?
Bien sûr ! La ville de Bâle a de l'avance dans le domaine car, depuis 2001, une loi cantonale impose la végétalisation des toits plats nouvellement construits ou rénovés. On a ainsi pu transformer d'immenses surfaces grises en prairies maigres pleines de vie. Des suivis ont été réalisés sur 14 toits pendant trois ans : quelque 229 espèces de coléoptères issus de 30 familles différentes ont été dénombrées, dont certaines très rares. Ces chiffres sont comparables à ce qu'on peut trouver dans une friche urbaine au sol.
Comment crée-t-on un sol viable
sur une surface étanche ?
Nous y apportons des substrats disponibles localement : sable, gravier, limon, argile et terre pas trop fertile. Une couche de 10 à 12 cm suffit pour créer un écosystème équilibré, mais on augmente sensiblement la biodiversité en variant les profondeurs et les structures, en ajoutant des bouts de bois, ou en créant un point d'eau. Le facteur limitant sera surtout la capacité du toit à supporter une charge pouvant aller de 50 à 200 kg/m2 selon les substrats.
Et ensuite vous implantez des végétaux ?
L'idéal est d'avoir sur un même toit un couvert dense par endroits et très clairsemé ailleurs. Nos botanistes travaillent avec des semenciers pour préparer des mélanges de graines ad hoc, mais il est assez difficile de trouver des semences et des plantons d'espèces indigènes. Si c'est possible, nous récupérons du foin de fleurs dans des prairies maigres de la région, puis l'étalons sur le toit à végétaliser. Les graines contenues dans ce mulch profitent de l'ombre et de l'humidité qu'il apporte et germent plus facilement. Par la suite, l'entretien est simple : nous conseillons de contrôler, au moins tous les deux ans, la propagation des plantes invasives et des ligneux, et de faucher les prairies en fin d'été.
La végétation ne crée-t-elle pas des problèmes d'humidité pour le bâtiment lui-même ?
Au contraire ! Un toit vert joue un rôle très positif en cas d'orage car, en retenant l'eau, il permet de réduire quasi de moitié l'engorgement des canalisations du bâtiment. Il contribue aussi à son isolation, absorbe du CO2, fixe les poussières fines et augmente de 20 à 60 ans la durée de vie du toit. Combiner panneaux solaires et végétation est de plus tout à fait possible si on implante sur leur pourtour des espèces qui restent basses.
S'il y a tant d'avantages, comment se fait-il
que tous les toits ne soient pas encore verts ?
L'idée fait son chemin et j'espère que d'autres cantons suivront bientôt l'exemple bâlois. Certaines communes exigent déjà que les surfaces perdues au sol soient compensées par des toits écologiques. Une commission planche depuis 2008 sur la première norme SIA des toitures végétalisées : elle devrait être adoptée fin 2012. Ce document fera la part belle à la biodiversité et aux enjeux énergétiques. Architectes, ingénieurs et maîtres d'œuvre ne pourront plus dire qu'ils ne savaient pas...
Pour vous la friche c'est...
Une couleur ? Le vert, car c'est la couleur qui contraste avec le gris environnant.
Le rouge aussi, grâce aux coquelicots.
Une odeur ? Celles des herbes aromatiques, comme le thym et l'origan.
Un bruit ? Un mélange de chants d'oiseaux et de stridulations de criquets. J'arrive à faire
abstraction des bruits de la ville pour me concentrer sur ceux que je recherche.
Une saison ? Le mois de mai, car tout est en fleurs, les insectes foisonnent et les vanneaux sont là.
Un élément ? L'eau, car c'est un paramètre capital pour la biodiversité sur les toits. J'essaie toujours de trouver des solutions pour la maintenir dans ce milieu hostile.
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Cet article est extrait de la Revue Salamandre
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