Nuit blanche, bêtes noires
Un soir d'automne, Jean Chevallier rencontre sous la lune une harde de sangliers, entre gris clair et gris foncé. Ni une, ni deux, il sort ses pastels.
Un soir d'automne, Jean Chevallier rencontre sous la lune une harde de sangliers, entre gris clair et gris foncé. Ni une, ni deux, il sort ses pastels.
Impossible de rentrer à la maison un beau soir d’automne, surtout quand la lune prend rapidement le relais du soleil. Venu à vélo jusqu’au lac par les chemins, je laisse passer le temps. Quelques chauves-souris, des cris de sarcelles et de vanneaux, des bruits d’ailes. La lune fait miroiter le sillage des canards. M'offrira-t-elle d'autres rencontres ?
La prairie fauchée pourrait attirer un carnivore. Mais, malgré mon approche prudente, aucune bête n’est en vue. Je longe alors la lisière, puis me retourne avant de plonger dans l’obscurité du bois. La composition du paysage me séduit. Je dessine. Bien m’en a pris. Un sanglier surgit soudain au coin du bosquet, sans m’avoir senti. Il s’éloigne tranquillement. J’hésite à placer cette tache noire dans mon image. Je préfère prendre une autre feuille de papier, quitte à refaire un dessin d’ensemble plus tard.
Un coup de jumelles avant de partir. Un chat! Sauvage bien sûr, encore assez loin. Je me baisse, collé aux buissons derrière moi, et attends qu’il s’approche. Il vient à une vingtaine de mètres. C’est un peu juste pour une image au clair de lune, mais ça mérite une page quand même.
J'imagine ma soirée terminée et rentre à vélo à la maison... J'allais me coucher... C’est un cri entendu depuis ma chambre qui me fait ouvrir le vieux Velux. Bienfait du simple vitrage qui laisse passer les sons! Les sangliers, dont la présence ne faisait aucun doute vu l’étendue de terre retournée, sont juste devant la ferme. Vite, mon carnet, mes jumelles! Je sors et profite de la dépression de la route pour m’approcher d'eux à quelques mètres seulement. Grognements, souffles, les bêtes noires avancent de l’autre côté du fil barbelé, mince séparation entre eux et moi.
Comme – c'est bien connu! – il n’y a que les chasseurs qui se font charger, je me concentre sur ma feuille blanche. Le pastel noir me permet de dessiner à la lumière de la lune. Sorti vite et insuffisamment couvert, j’ai froid, mais je reste longtemps dehors à essayer de retrouver des attitudes tandis que la compagnie s’éloigne. Quand ils ne sont plus qu'une ligne de points de différentes tailles dans l’obscurité grise, j'ai l'impression de revivre ma première vision de l’espèce, à l’affût dans un
hochsitz
avec mon père. J'avais douze ans.
Ils ont disparu. Un nuage voile la lune. Allez, cette fois, au lit!
Confidences d'un noctambule
Le naturaliste et peintre Jean Chevallier adore la nuit, ce moment où nos horizons domestiqués retrouvent une sauvagerie originelle. «La nuit, c'est animal! D'ailleurs, pour observer des mammifères dans la nature, il faut multiplier les sorties nocturnes. Mais, pour avoir une chance d'apercevoir des bêtes, nos yeux ont besoin d'un minimum de lumière. Celle de l'aube ou du crépuscule bien sûr. Celle d'une lampe de poche parfois. Et surtout, celle de la lune, d'autant plus claire que l'astre sera rond et haut dans le ciel.
Pour le peintre, la nuit est aussi un terrain de jeu privilégié. Ingres a dit que, pour dessiner un paysage, il faut l'avoir vu de nuit. Elle souligne les rapports de masse, elle noie les détails pour nous livrer l'essentiel des formes. J'aime m'y concentrer sur les équilibres et les proportions. Pour surmonter la peur nocturne si répandue, il faut apprivoiser peu à peu la nuit en commençant par exemple par se poster le soir dans un endroit familier. Laissez-la venir tranquillement. Ouvrez l'œil et les oreilles. Avec le temps, vous connaîtrez toujours mieux l'origine des bruits qui peuvent inquiéter. »
Plus d'infos
La nature la nuit, Guide d'observation et d'identification, V. Albouy et J. Chevallier, éd. Delachaux et Niestlé
Pour observer les petites vies de la nuit, bricolez un détecteur de vie !
Cet article est extrait de la Revue Salamandre
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