Destins de fruits
Sauvages et de saison, trois fruits s’exposent. Le gland, le gui et le lierre se dévoilent sous le crayon de Dominique Mansion, naturaliste hors pair. Portraits intimes.
Sauvages et de saison, trois fruits s’exposent. Le gland, le gui et le lierre se dévoilent sous le crayon de Dominique Mansion, naturaliste hors pair. Portraits intimes.
Au commencement est le fruit. Dans un bruit de papier froissé, le vent taquine les feuilles du chêne et provoque le grand saut : un gland vient de plonger. Au bout du pédoncule, la cupule reste vide. Le lampadaire a perdu son ampoule. A terre, le gland est vulnérable et convoité par les animaux en quête de réserves pour l’hiver. Parmi eux, l’écureuil. Le rongeur n’hiberne pas et quitte quotidiennement le nid pour aller se nourrir. Ou presque. Le mauvais temps peut l’empêcher de sortir pendant plusieurs jours. On trouve parfois cinq adultes pelotonnés dans leur refuge, tous repus. Une ration de survie de glands leur a-t-elle permis de résister au coup de froid ?
Généreux
Beaucoup de glands se trouvent ainsi grignotés. Ils n’arboreront jamais ni rameaux ni feuilles foisonnantes. Le fruit offre aussi un berceau au balanin des glands. Le rostre de cet insecte ressemble à une trompe d’éléphant. Il permet à la femelle de perforer les jeunes glands pour y déposer un œuf, parfois deux. Puis le trou se referme comme la caverne d’Ali Baba, laissant la larve se nourrir du trésor. Cachée, celle-ci attend que le gland tombe en automne. Elle perce alors une porte de sortie, extirpe difficilement son corps dodu, puis s’enfouit dans le sol pour y passer l’hiver.
Oiseau jardinier
D’autres ont la chance d’être ramassés par un pépiniériste peu ordinaire. Le geai des chênes plante des glands dans le sol pour les cacher à 4 ou 5 cm de profondeur et à intervalles réguliers. Puis il crée une carte mentale du lieu en choisissant surtout les grands arbres comme balises. Lorsque l’oiseau revient sur les lieux en hiver, il retrouvera la cache grâce à ces repères élevés, moins susceptibles d’être recouverts de neige. Toutefois, le corvidé n’est pas infaillible et laisse de nombreux glands en terre. Une nouvelle génération va naître de cet oubli. Au printemps, le geai revient et déterre légèrement les jeunes plantules pour en prélever les cotylédons, très nutritifs. Ce faisant, il casse quelques racines, obligeant la jeune plante à les reformer et à renforcer ainsi son réseau racinaire. Futurs chênes centenaires, plantés par un oiseau jardinier.
D’un saut courageux le fils du chêne a plongé et vivra mille ans.
Entre ciel et terre
A la fois parasite et panacée, le gui était sacré pour les druides ; il l’est toujours pour les oiseaux. Rencontre avec l’arbre dans l’arbre.
Une peau transparente qui laisse entrevoir. Une chair opaque qui sème le trouble. La plus aérienne des plantes terrestres invite à prendre de la hauteur. Le gui est la seule plante ligneuse européenne à porter des baies blanches. Son mode de propagation aussi est unique. Le secret ? Une chair visqueuse et collante appelée viscine et l’aide de certains oiseaux.
Parmi eux, la grive draine, alliée efficace qui gobe les baies sans digérer les graines. Elle les rejette en chapelets de fientes qui s’entortillent aux branches. La pulpe gluante restée autour de la graine se fixe au rameau. Bientôt, l’écorce sera percée à l’aide d’un suçoir en forme de clou et le gui poussera jusqu’à devenir la boule que l’on connaît. Tous les oiseaux ne sont toutefois pas complices du parasite. Le bec puissant des petits passereaux comme la sitelle torchepot ou le grosbec broie les graines récemment collées aux branches. La mésange bleue est particulièrement forte à ce petit jeu. Le stratagème du gui est alors déjoué.
Lune suspendue
Le chêne était sacré pour les Gaulois. Pilier du ciel et arbre du soleil, le chêne avait sa lune : le gui. Les druides redoutaient la perte des feuilles de l’arbre vénéré. Mais comme la lune brille au cœur de la nuit, le gui reste vert tout l’automne, puis tout l’hiver. Cette plante qui se joue des saisons était un signe miraculeux. Les druides voyaient en elle un remède universel. Ils collectaient le gui avec une serpe d’or et accueillaient sa chute par un drap blanc. La plante ne devait jamais toucher terre, sans quoi tous ses pouvoirs étaient perdus.
Les parallèles entre spiritualité ancestrale et réalité scientifique sont parfois étonnants : il a été découvert que le gui est utile dans la lutte contre le cancer. La plante détruit les cellules malades sans s’attaquer à celles qui sont saines. Les druides, savants de l’ancien temps, ne s’étaient pas trompés…
Lune du chêne sacré gui, promesse du renouveau vert, blanc, vivant !
Guirlande généreuse
Le lierre semble en retard. La forêt foisonne de fruits mûrs. Lui est en fleur. Décalée, la liane prépare un banquet hivernal qui se révélera précieux pour les hôtes des bois.
Contrairement au gui, le lierre n’est pas un parasite. Il utilise l’arbre comme support mais tire sa subsistance du sol. Couverture protectrice lorsqu’il fait froid, climatiseur naturel quand les chaleurs reviennent, le lierre favorise même la croissance de l’arbre. Comme tous deux sont en quête de lumière, la pousse de l’un stimule celle de l’autre. Il peut malgré tout arriver que le lierre prenne le dessus, mais uniquement lorsque l’arbre est malade.
Pension complète
Beaucoup d’autres habitants de la forêt profitent des largesses de la liane. En été, les chenilles de l’azuré du nerprun font bombance de ses feuilles. Puis, alors que toutes les autres fleurs ont disparu, celles du lierre offrent l’ultime nectar automnal qui régale vanesses, abeilles et bourdons. Quand le froid se fait plus présent, les fleurs font place à d’innombrables petits fruits verts, qui deviennent bleus une fois l’hiver installé. Cette abondance avant l’heure attire une foule de passereaux affamés : troglodytes et pinsons virevoltent en se gavant de baies. Leur euphorie trouble à peine le sommeil d’une chouette hulotte. Derrière le rideau végétal, elle somnole, bien cachée. Plus bas, une musaraigne carrelet inspecte la jungle providentielle. L’insectivore dédaigne les fruits mais visite le dos des feuilles. Qui sait ? Elle y trouvera peut-être un malchanceux citron, papillon endormi qui se croyait à l’abri. F.D.
Forêt dénudée seul ton lierre exulte encore et nourrit ton peuple.
Pour en savoir plus
- Le livre des arbres, arbustes et arbrisseaux, P. Lieutaghi, éd. Actes Sud, 1321p.
- Le gui, La Hulotte nos 48 et 49
- Au royaume secret du lierre, de B. Bertrand, éd. de Terran, 192 p.
Nature comme paradis. D. Mansion, éd. Ouest France. 143 p. On pourrait presque cueillir les fruits que Dominique Mansion couche sur le papier. Précision du trait et tendresse du regard se conjuguent pour nous offrir des images exceptionnelles, comme en témoignent les illustrations de ce Découverte.
Cet article est extrait de la Revue Salamandre
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