© Gilbert Hayoz

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Sur la piste des coccinelles

Un élevage de coccinelles au jour le jour

Gilbert Hayoz a suivi attentivement le développement de son élevage de coccinelle. Une expérience qu'il nous fait partager avec passion.

Gilbert Hayoz a suivi attentivement le développement de son élevage de coccinelle. Une expérience qu'il nous fait partager avec passion.

2 avril:

Météo favorable. Nous tentons l’ascension d’un sommet jurassien dans l’espoir d’y trouver nos premières coccinelles et de pouvoir commencer élevage, observations et prises de vue.
Grosses taches de neige. Temps doux. Arrêt pique-nique à mi-hauteur. 13 h : une goutte de sang dans les feuilles mortes. Stimulées par les rayons du soleil et peut-être dérangées par notre présence, elles sont bientôt trois, dix, à émerger du tapis brun.

Les coccinelles sont aussi au sommet, le long des failles de la roche claire. A la base des gros blocs orientés plein sud, on trouve partout des attroupements de cinq à trente individus. Premières photos. A peine ma main se rapproche-t-elle que les coccinelles se réveillent. Il suffit d’en faire bouger une seule pour que toute la compagnie s’ébranle.

Nous redescendons avec une quinzaine d’individus. De retour à la maison, je mets en pot des orties. Je place dans mon terrarium plusieurs branches de viorne sur lesquelles j’ai aperçu quelques premiers minuscules pucerons.

3 avril:

Suis remonté au sommet pour photographier des « nids » de coccinelles. J’en trouve tout le long de la crête.

Les mâles à peine réveillés cherchent à s’accoupler avec les femelles encore plus ou moins endormies. Ils se positionnent à tâtons tandis que leur partenaire s’installe bien à plat, parfois dans une dépression de la roche.

Un élevage de coccinelles au jour le jour - La Salamandre
Cette coccinelle a passé tout l’hiver avec un acarien parasite planté dans l’une de ses antennes. / © Gilbert Hayoz

L’activité des coccinelles semble conditionnée par la chaleur. En plein après-midi, c’est tout un petit monde qui s’agite, même si la majorité reste encore en léthargie sous les gros blocs de pierre. A 18 h, avec le retour du froid, toutes ont disparu.

7 avril:

Mon élevage domestique démarre. La plupart des coccinelles installées dans mon terrarium se sont réveillées. Elles arpentent les branches de viorne de façon méthodique. En revanche, je n’ai pas encore vu une seule d’entre elles se nourrir.

15 avril:

J’assiste aux premières scènes de prédation. La rapidité avec laquelle les coccinelles saisissent leur victime à bras-le-corps pour la dévorer en quelques secondes m’impressionne.

Mes pensionnaires grossissent jour après jour. Les végétaux du terrarium ont été pratiquement débarrassés de leurs pucerons.

23 avril:

Au lever, à mon retour chez moi à midi comme le soir, mon premier souci est pour mes coccinelles. L’élevage demande des soins constants. Quant aux pucerons, malgré des prospections répétées dans les champs autour de la maison, ils manquent toujours aussi cruellement.

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Insectes extrêmement prolifiques, les pucerons se développent en pompant avec leur rostre la sève des végétaux. On en connaît plus de six cents espèces qui s’attaquent à presque toutes nos cultures. / © Gilbert Hayoz

Avant-hier, j’en ai tout de même déniché quelques-uns. Quand j’ai tendu à mes pensionnaires la branchette qui leur servait de support, certaines en ont profité, d’autres ont préféré la fuite en piétinant les proies pourtant à leur portée.

29 avril:

Pucerons toujours au compte-gouttes dans le jardin, malgré l’aide de la famille et des voisins. Sur la viorne obier, dans le terrarium, une colonie de pucerons noirs se multiplie, mais les coccinelles n’y touchent pas. Je note que leurs phases d’activité et de repos paraissent synchronisées. En revanche, alors que dans les premiers temps elles s’agglutinaient, mes coccinelles sont en train de perdre leur instinct grégaire. Elles ont de plus en plus tendance à se reposer séparément.

30 avril:

Des coccinelles à deux points, puis d’autres à damier, puis les Calvia à 14 points et enfin les coccinelles à 7 points sont apparues successivement en une semaine dans mon jardin.

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© Gilbert Hayoz

2 mai:

Heureux événement. A 23 h, je découvre qu’une coccinelle à 7 points a pondu une bonne quarantaine d’œufs sur une feuille de blé. Je regrette d’avoir raté cette scène, moi qui suis aux aguets depuis un mois déjà ! En photographiant ces beaux œufs, j’ai l’impression qu’un livreur mystérieux est venu déposer des fûts précieux de miel brillant et doré.

5 mai:

D’après mes lectures, les œufs devraient éclore d’ici dimanche. Le congé de l’Ascension tombe à pic : j’ai quatre jours de libres devant moi dès ce jeudi matin.

En rentrant du jardin, je vois une coccinelle pondre en arc de cercle contre la paroi de verre. Je peux observer l’allongement de l’abdomen et la pose de plusieurs œufs à quelques secondes d’intervalle.

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A mesure que le printemps avance, les coccinelles suivent en vol et de plante en plante la migration des pucerons. Elles mourront, usées par cette course-poursuite, à la fin du mois de juin. / © Gilbert Hayoz

8 mai:

4ème jour d’attente. J’ai lu qu’avant d’éclore, les œufs deviennent noirs. Effectivement, depuis hier soir ils ont viré au gris. A travers l’objectif de mon appareil photo, je découvre, bien visibles par transparence, les zébrures et les points du dos des larves. C’est extraordinaire !

Je fais quelques photos en pensant à cette armée de statues de soldats chinois retrouvées par centaines, enterrées.

A l’oeil nu, je vois comme des cheveux dépasser des œufs. Je m'installe avec mon appareil et découvre une scène à couper le souffle ! Une larve a percé sa coquille et se tortille pour s'extraire de sa gangue, tête courbée, six pattes encore pliées. Le spectacle dure des heures.

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L’émergence des larves de coccinelles est un spectacle extraordinaire et fragile. / © Gilbert Hayoz

9 mai:

Voilà, c’est fait. Des dizaines de larves noires ont réussi à se dégager. D’abord immobiles, elles semblent reprendre des forces avant de se disperser à la recherche de leur première proie.

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Le festin des larves de coccinelles est très impressionnant à observer à la loupe. / © Gilbert Hayoz

10 mai:

En suivant les explorations des jeunes larves dans le feuillage, j’ai le sentiment que la vue n’est pas chez elles un sens très développé. Les palpes semblent être leurs organes sensoriels principaux. C’est grâce à eux qu’elles localisent les pucerons et qu’elles reconnaissent leur environnement. Déposée sur une feuille, une larve commence par se repérer en palpant son support tout autour d’elle, pour choisir ensuite une direction.

Comme l’adulte, la larve suit les nervures ou les bords des feuilles. Au bout de l’abdomen, je repère la ventouse jaune ou rosée qu’elle utilise comme point d’appui lors de passages périlleux.

14 mai:

La semaine s’est écoulée à observer l’évolution des larves et à assurer leur alimentation en renouvelant chaque jour les plants de blé du terrarium.

Toutes mes sorties me donnent l’occasion d’observer et de photographier les coccinelles dans leur milieu naturel. En ce moment, les prunelliers sauvages sont des abris et des garde-manger pour les coccinelles à sept points, les rosiers aussi. J’ai fait quelques autres belles trouvailles : Calvia et Propylea à 14 points, Adalia à 2 et 10 points, et Harmonia à 4 points.

15 mai:

Je constate des différences dans la taille et la coloration des larves, qui sont ou noires, ou grises, ou encore noires à pointes jaunes. Il y a aussi comme des résidus de larves, des peaux vides.

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Une coccinelle vit plusieurs naissances. Chaque mue est une opération délicate durant laquelle l’insecte est très vulnérable. / © Gilbert Hayoz

C’est sous une tige, se tenant tête en bas, que je découvre la larve qui va éclaircir ce mystère en changeant de peau. Me voici plongé, comme lors de l’éclosion des œufs, dans le grand miracle de la vie. Même effort pour s’extraire de la vieille enveloppe trop exiguë. Même fragilité du petit corps tout neuf et transparent. Je constate que certaines de mes pensionnaires ont déjà connu plusieurs mues successives. Les plus avancées sont décorées de gros points orange.

16 mai:

J’ai relâché cette semaine toutes mes coccinelles adultes. Elles ont joué leur rôle. Je leur dois bien une fin de vie libre dans ma haie.

19 mai:

Les mues se multiplient. Je suis impressionné par les efforts que les larves déploient pour sortir de leurs enveloppes.

20 mai:

Dans le jardin, les coccinelles pondent encore et s’accouplent parfois. Leur développement est parfaitement synchronisé avec celui des pucerons. Tel n’était pas le cas dans mon élevage. La vie en captivité à l’intérieur a avancé leur cycle de trois semaines, ce qui m’a causé bien des soucis pour les ravitailler.

25 mai:

Une nymphe a donné naissance à une première coccinelle jaune comme un sou neuf. Quant aux larves encore en plein festin, elles sont devenues énormes. Il faut les approvisionner régulièrement en pucerons.

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Durcie en quelques heures, la carapace de la coccinelle mettra plusieurs semaines pour revêtir le beau rouge qui la caractérise. / © Gilbert Hayoz

2 juin:

Eclosion de deux coccinelles la nuit dernière. Hélas, l’une d’elles est tombée sur le dos en se dégageant de son étui. Malgré mon intervention rapide, je constate que cette mésaventure a imprimé aux élytres encore mous une forme plate et évasée. Les ailes membraneuses sont dépliées mais froissées : l’insecte ne peut ni les rentrer, ni s’en servir. Cette coccinelle ne volera pas.

4 juin:

Journée passée à observer les éclosions et à relâcher au jardin ces « adultes nouveau-nés », tout en complétant mes prises de vue.

En fin d’après-midi, je vide mon terrarium de ses viornes et de son blé, ainsi que de ses dernières habitantes. Il ne reste plus que quelques nymphes que je vais garder encore deux ou trois jours.

Dans la haie, une coccinelle à dix points pond sous une feuille. Je me surprends à découvrir ce spectacle avec autant d’émotion que la première fois.

21 juin:

Dans le jardin, les adultes de l’ancienne génération se font rares. J’observe en revanche de grosses larves et des nymphes. Tout semble se passer en nature exactement comme dans mon terrarium.

18 août:

On m’a signalé le retour des coccinelles en altitude. Je passe ma journée en montagne. Dans les failles du calcaire, je trouve effectivement des rassemblements allant jusqu’à une vingtaine d’individus. Les coccinelles semblent profondément endormies malgré une température plutôt agréable.

25 septembre:

Retour là où j’ai trouvé ce printemps mes premières coccinelles. Au sommet, je n’en vois que quelques dizaines. Sous les cailloux, elles sont encore peu nombreuses. Le grand rassemblement d’automne ne fait que commencer.

L’envie me prend d’aller en Haute-Provence où, dit-on, les coccinelles se regroupent de manière extrêmement spectaculaire…

27 octobre:

Près de Digne, escalade d’un sommet à l’heure des coccinelles, soit vers 11 h. Température estivale. L’air sent bon les herbes grillées par le soleil. Papillons et autres insectes volent comme si la belle saison allait durer. Une, puis deux, puis dix coccinelles prennent leur envol à notre approche. Elles nous précèdent dans l’ascension du pic. D’autres nous survolent avec légèreté.

En haut, quelques pierres témoignent d’une ancienne construction. C’est là que les points rouges s’affairent. Chacune arpente la ruine, ausculte les recoins, visite les interstices. Elles se croisent, passent leur chemin, toutes occupées à trouver LE nid hivernal.

En soulevant deux ou trois pierres, nous découvrons de grosses plaques rouges formées de milliers d’insectes déjà engourdis. Vite ! Tout remettre délicatement en place avant que les coccinelles ne se réveillent...

Cette vision conclut en beauté mon « année des coccinelles».

Retrouvez la totalité du dossier consacré aux coccinelles : Sur la piste des coccinelles.

Découvrez aussi notre dossier "Le sentier des douze matins". Voir la nature autrement avec une même balade effectuée tous les mois, ou comment la banalité d'un chemin ordinaire gagne en profondeur au fil du temps.

Cet article fait partie du dossier

Sur la piste des coccinelles

Couverture de La Salamandre n°173

Cet article est extrait de la Revue Salamandre

n° 173  Avril - Mai 2006
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