Des mares dans le maquis
Anciens volcans, mares temporaires, rivière enchanteresse, roches de toutes les couleurs… Rendez-vous avec une nature généreuse en vallée de l’Endre, dans le Var.
Anciens volcans, mares temporaires, rivière enchanteresse, roches de toutes les couleurs… Rendez-vous avec une nature généreuse en vallée de l’Endre, dans le Var.
L’arrière-pays méditerranéen, réputé aride, est toujours prêt à s’enflammer à la moindre étincelle. Pourtant, entre le massif des Maures et l’Esterel, l’eau se dévoile sous trois formes différentes : celle qui court dans le lit de claires rivières, celle qui ne reste que quelques jours dans des cupules rocheuses, et enfin l’eau qui dessine des mares durant plusieurs semaines. Notre guide du jour, Marjorie Ughetto, s’arrête après seulement quelques pas pour contempler et froisser les feuilles d’une plante. « Cette germandrée tomenteuse dégage une surprenante odeur de saucisson ! » Non seulement la naturaliste connaît toutes les plantes croisées sur ce sentier, mais elle cite sans hésiter leur nom latin et provençal. Pharmacopée, teinture, dégustations : cette fille est incollable sur la flore du maquis qu’elle conseille de traverser avec grand respect.
Endre fougueuse
Marjorie reprend sa marche rapide le long du cours d’eau. « L’Endre est une rivière méditerranéenne naturelle. Son lit se modifie souvent à cause des grandes pluies du printemps », précise-t-elle. Les berges sablonneuses se sont effondrées en plusieurs endroits, pour le plus grand plaisir des guêpiers d’Europe multicolores qui y creusent des terriers. Passionnée de géologie, la naturaliste enveloppe le paysage d’un large mouvement de bras. « Imaginez, il y a plus de 250 millions d’années, les sommets des Maures culminaient alors à 8 000 m. A côté, les volcans de l’Esterel, deux fois moins élevés, projetaient de la lave et des nuées ardentes. Voilà comment se sont formés les massifs que nous avons sous les yeux. »
A cette époque, il régnait un climat tropical avec des pluies intenses. L’érosion a progressivement raboté les immenses volcans.
Vasques naturelles
Le sentier s’écarte des gorges de l’Endre et entreprend l’ascension de la Colle du Rouet – de coualo, colline en provençal. C’est le domaine de la rhyolite, une roche d’un rouge spectaculaire et parfaitement imperméable. Une belle averse orageuse suffit à transformer la moindre cuvette en mare. De minuscules écosystèmes se forment alors en un temps record. On y trouve des plantes de très petite taille comme l’isoète voilé, qui étale un tapis d’un doux vert pâle, et la salicaire à trois bractées. Toutes deux sont protégées en France. Des crustacés très rares tels que les lépidures s’y développent en quelques heures. Ils sont capables de pondre leurs œufs avant l’assèchement de leur habitat. Quand l’eau finit par s’évaporer, les adultes ne survivent pas, mais leurs œufs patientent dans le limon, durant des mois voire des années, jusqu’à ce qu’une nouvelle pluie leur permette de se développer.
« Ces plans d’eau temporaires sont des milieux passionnants, très fragiles et très sensibles à la pollution, souligne Marjorie, ils sont sans cesse rajeunis, renouvelés par les saisons et l’alternance des sécheresses et des pluies. »
Mares temporaires
Le sentier amorce la descente et quitte les vasques rocheuses et leur végétation miniature. Au pied de la colline apparaissent des veines de roche couleur chocolat. Marjorie les caresse du bout des doigts. « C’est de l’argile pétrifiée ou argilite. Cette roche soyeuse indique la présence d’une ancienne zone humide ou d’un lac de faible profondeur à l’époque du Permien, c’est-à-dire il y a presque 300 millions d’années. »
Les pluies printanières qui s’abattent sur ce sol plein d’histoire, alimentent en peu de temps des dizaines de mares. Leur densité est unique en Europe. Plus vastes que les cuvettes dans la roche, elles ressemblent davantage à de grandes flaques. On pourrait les prendre pour de simples ornières remplies d’eau. En réalité, elles foisonnent de richesses botaniques. Marjorie énumère nombre de curiosités dont la capiteuse menthe pouliot, l’ophioglosse du Portugal, une fougère primitive et le sérapias négligé, une orchidée endémique. Pour la petite faune comme les insectes aquatiques ou les amphibiens, l’absence de poissons prédateurs est une opportunité sans pareil. En balade dans ce joyau varois, le randonneur curieux comprendra très vite que c’est bien autant la pluie que le soleil qui font la richesse naturelle des milieux méditerranéens.
Cet article est extrait de la Revue Salamandre
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