© Federico Gemma

Entrez sansonnets ! Quand les étourneaux s’invitent sur la maison.

Deux étourneaux déjà appariés se faufilent sous une tuile du toit. Bienvenue, chers squatteurs !

Deux étourneaux déjà appariés se faufilent sous une tuile du toit. Bienvenue, chers squatteurs !

Tout commence par une tentative d’entourloupe. Matin du 19 février, temps radieux, la fenêtre côté sud est entrouverte. Luolïoo… Luuolïo… Un loriot ? Bug spatio-temporel : pas une feuille aux arbres, 7 °C, gants et bonnets toujours sur le portemanteau. Quelque chose cloche. A cette saison, l’oiseau noir et or est censé se la couler douce sous le soleil de Zanzibar et ne revenir dans nos contrées que dans deux mois. Je finis par remettre les pendules à l’heure : l’étourneau, bien sûr ! Un peu vexé de m’être fait berner, je me penche à l’extérieur et me contorsionne pour apercevoir le farceur. Frrt… Un bolide décolle du frêne et fonce dans les rues du village. L’imitateur hors pair reviendra dans l’après-midi, accompagné d’une dame oiselle, et tous deux inspecteront l’offre immobilière sous ma toiture. Le printemps des sansonnets est déjà là.

Quand les étourneaux sansonnets font leur nid
© Federico Gemma

Les trois frères

Le sansonnet est de loin le plus abon­dant des étourneaux, avec environ trois millions de couples en France et près de 140 000 en Suisse. On le trouve partout, sauf en haute montagne. Sosie monochrome, l’étourneau unicolore se rencontre en Corse, dans l’Aude et les Pyrénées-Orientales. L’étourneau roselin fait quant à lui des irruptions occasionnelles chez nous, depuis le Sud-Est méditerranéen et l’Asie. En 2020, un afflux exceptionnel a conduit cet oiseau noir et rose à nicher pour la première fois en France.

Quand les étourneaux sansonnets font leur nid
© Federico Gemma

Tous les étourneaux ne sont pas encore dans les préparatifs nuptiaux. Certains, originaires du nord et de l’est, sont ici en hivernage. D’autres, encore immatures, n’ont pas la tête à ça. En fin d’après-midi, j’aperçois tous ces vagabonds évoluer en essaims sur l’horizon. Des nuées qui rappellent en tous points les bancs d’anchois en mer. Boule, virgule, ligne, onde oscillante, boule à nouveau… Les figures dessinées par la foule des sansonnets forment une œuvre vivante parfois appelée murmure. Le spectacle peut être encore plus féerique lorsqu’il réunit des centaines de milliers d’oiseaux, par exemple dans les grandes villes méridionales ou au-dessus d’immenses roselières.

En s’approchant, le son de cette multitude ressemble à un souffle. Plus près encore, on distingue le battement des ailes, entrecoupé d’un court silence lorsque celles-ci viennent se plaquer contre les flancs. Les changements de direction, aussi soudains que coordonnés, forcent l’admiration : synchronisation parfaite, pas de télescopage…
Quel oiseau a donné le signal et pour quelle raison ?
Impossible à déceler.

L’obscurité s’invite et les derniers escadrons se laissent tomber dans la bambouseraie d’un parc privé. Sitôt atterris, sitôt disparus, comme avalés. J’ai l’impression que la plantation au feuillage persistant peut en accueillir une infinité.

Quand les étourneaux sansonnets font leur nid
© Federico Gemma

Juke-box

Un sansonnet peut intégrer aisément une vingtaine de sons d’autres oiseaux dans son chant. Au moins 70 espèces peuvent être parodiées par l’ensemble des étourneaux de nos régions. Combien à l’échelle mondiale par l’ensemble des sansonnets expatriés et introduits ? Probablement des centaines, conférant à Sturnus vulgaris le statut de plus grand polyglotte de la planète.

Le lendemain, en milieu de matinée, mon voisin l’étourneau bavard est de nouveau posté. Depuis l’antenne du toit, son perchoir préféré, il enchaîne babil d’hirondelle rustique, cri de guêpier et autres grésillements électriques. Il paraît que plus les individus partagent des sons en commun, plus leurs liens sociaux sont étroits. A tel point que cette culture vocale commune s’apparente à un dialecte qui permet d’identifier une sous-population distincte d’étourneaux. Je me promets de faire le tour du quartier ce printemps pour tenter de déceler d’éventuelles similitudes dans les différents répertoires.

Quand les étourneaux sansonnets font leur nid
© Federico Gemma

Mon mâle, justement, continue de se chauffer la voix. Ailes écartées et tremblantes, bec jaune grand ouvert, ses phrases me semblent plus longues et plus complexes au fil des jours. Comme le printemps est seulement esquissé, ce crooner aux mille voix abandonne de longues heures son poste de chant pour rejoindre les troupes lâches de ses congénères autour du village. La pâture à moutons fait partie des lieux de rendez-vous préférés de ces infatigables picoreurs.

Il arrive même que les oiseaux grimpent sur les ovins pour gober mouches et puces cachées dans leur laine, un peu à la manière des pique-bœufs sur les grands herbivores de la savane africaine. Le mois de mars approche cette fois. Le cantonnement du mâle et de celle qui consent aux premiers accouplements se précise autour de la maison. Fini les escapades. Ou alors dans le seul but de rapporter de la mousse et des brins d’herbes sèches pour le nid, en cours d’aménagement sous une tuile fissurée. Quand je constate la vigueur et l’abondance de cette espèce cavernicole, j’ai une pensée pour les rougequeues, torcols, huppes et autres petites chouettes qui ont aussi besoin de cavités libres. Notre Sturnus vulgaris pèse quand même plus de 300 millions d’individus dans le monde, depuis qu’on l’a aidé à coloniser tous les continents !

Quand les étourneaux sansonnets font leur nid
© Federico Gemma

Comme le moineau

Figurer parmi les oiseaux les plus abondants et répandus au monde n’empêche pas quelques déboires dans son aire d’origine. L’étourneau sansonnet a en effet connu un déclin modéré en Europe dès les années 1980. En Grande-Bretagne, les modifications de pratiques agricoles auraient conduit à la disparition de la moitié des effectifs entre 1995 et 2012. L’espèce a par ailleurs reculé de 18 % en France depuis 1989, alors qu’elle paraît stable en Suisse.

Ultra-commun, soit, mais vêtu d’un plumage fascinant si on prend le temps de l’admirer. Je braque la longue-vue sur celui qui se nourrit dans le lierre. De brun-noir à l’œil nu, l’aspect de cet étourneau devient iridescent à travers l’optique grossissante. Des reflets bronze, bleu, violet et vert se mélangent aux minuscules points blancs qui constellent son corps couleur nuit. J’y vois une aurore boréale dans un ciel étoilé !

Je me réjouis de faire davantage connaissance avec mes nouveaux colocataires… si proches et pourtant si prompts à dissimuler leur personnalité dans le langage des autres ou dans la foule.

Découvrez des nuées d’étourneaux dansant avec des faucons dans cette vidéo.

Reconnaissez les principales imitations de l’étourneau sansonnet en apprenant le chant des oiseaux communs. Pas facile ? Testez sans attendre La clé des chants, réservée aux abonnés à la Revue Salamandre. Pleine d’astuces très pratiques et d’exercices amusants, elle fera de vous un champion de blind test ornithologique dès cette fin d’hiver !

Couverture de La Salamandre n°268

Cet article est extrait de la Revue Salamandre

n° 268  Février - Mars 2022, article initialement paru sous le titre "Entrez sansonnets !"
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