© Yann Le Bris

Road-trip avec la faune réfugiée des bords de route

Entre bitume et labours, les talus routiers attirent une biodiversité importante, surtout en été. Road trip avec les dessins de Yann Le Bris.

Entre bitume et labours, les talus routiers attirent une biodiversité importante, surtout en été. Road trip avec les dessins de Yann Le Bris.

Vroouuummm ! Le vacarme des véhicules rythme cette journée de juin. Aussi puissant que le moteur, le frottement des pneus sur le goudron s’amorce comme un chant lointain, puis, après un long crescendo, son apogée s’accompagne d’une déflagration et d’un coup de vent qui balaie tout sur son passage. Souvent, un gravillon propulsé comme un obus finit sa course dans le talus, non sans avoir décapité un épi d’herbe folle. Enfin, dans le sillage du son et du souffle qui s’éloignent, le parfum âcre du carburant s’incruste parmi la végétation. Tel est le quotidien hostile de la nature des bords de route. Contraint de quitter son fossé d’orties natal, fauché par un monstre orange mécanique, un papillon vulcain tout neuf virevolte dans une errance périlleuse. Suivons-le !

Univers linéaire

Le réseau routier de France métropolitaine dépasse un million de kilomètres. Les talus et accotements associés représentent près de 4 000 km2 de végétation, soit davantage que tous les parcs nationaux terrestres cumulés. En Suisse, 70 000 km de routes dessinent l’un des maillages les plus denses au monde, égal à 20 fois la longueur est-ouest du pays. Mises bout à bout, les routes de ces deux pays équivalent à 30 fois le tour de la Terre ou 3 fois la distance qui nous sépare de la Lune.

KM 0,2

Bonne nouvelle, la faucheuse n’a tondu que la partie intérieure du virage pour des raisons de sécurité routière. Vingt mètres après son départ, le vulcain déboussolé retrouve une végétation fournie : ombellifères en tout genre, scabieuses, églantiers, orties, chardons… Une flore qui trouve dans ce no man’s land un peu de l’espace qu’elle a perdu sous les labours et les lotissements.

Wouuuff ! Le souffle d’une voiture projette violemment l’insecte sur sa gauche. Ne vous inquiétez pas, l’aventurier est sain et sauf. Dans le fond sombre et frais du fossé où il a atterri, une immense couleuvre digère son dernier crapaud. Rien à craindre du reptile. Après une pause de quelques secondes, le papillon noir, rouge et blanc reprend son vol et croise ses nombreux cousins : soucis, argus, flambés, amaryllis, fadets, cuivrés… Pas de doute, un talus plein sud bordé d’une haie, c’est un bon spot à bestioles.
Rebelote, un puissant courant d’air déstabilise le vulcain, puis un second coup sur coup. L’été apporte son lot de touristes en quête de loisirs, quadruplant le trafic automobile sur cette route secondaire qui relie le bourg aux rives du lac. A peine remis de ses émotions, le poids plume se fait de nouveau balader par une énième bourrasque. En même temps, une canette métallique rouge signée de blanc achève sa courbe parabolique par-dessus la chaussée et rebondit sur l’accotement. Ses écoulements ultra-sucrés sont vite repérés par un bataillon de fourmis.

Dernier refuge

Dans les régions les plus anthropisées, les talus sont devenus des réserves de faune et de flore épargnées par le béton et les machines agricoles. Aux Pays-Bas par exemple, un tiers de la flore sauvage nationale pousse au bord des routes. Cette proportion atteindrait 50 % en Angleterre et en Belgique. Sans surprise, ces pays ont été les pionniers de la gestion environnementale des accotements.

© Yann Le Bris

KM 0,3

Quelques ronces oubliées servent de perchoir à trois passereaux hirsutes et piailleurs. Remarquez-vous leurs commissures jaunes et leur plumage moucheté ? Ce sont des jeunes tariers pâtres à peine sortis de leur nid dissimulé au pied du poteau téléphonique. Sur le fil, la femelle alarme le bec chargé d’insectes malchanceux. Dix mètres plus loin, le mâle à tête bien noire semble défier les coquelicots avec son poitrail couleur soleil couchant. La petite famille a élu domicile en bord de route, entre l’asphalte austère et le chaume des céréales. Faut-il renommer cet oiseau qui n’a plus grand-chose de pastoral ? Tarier des talus ? Tarier routier ? Hop ! en trois coups d’ailes, le passereau prend en chasse le vulcain de passage avec lequel il partage ses trois couleurs principales. Raté ! Le papillon rescapé continue son voyage linéaire en survolant un enjoliveur argenté.

KM 0,5

Intersection avec un chemin de terre, fossé interrompu, haie à gauche de la route, haie en face : un exemple type de carrefour dangereux pour la faune qui emprunte ces corridors. Combien de hérissons et de blaireaux ont-ils déjà perdu la vie ici ? Deux corneilles postées sur un chêne attendent le prochain drame. Telle une gerbe mortuaire, un bouquet d’onagres illumine le lieu.

Le grain qui tue

100 000 t de sel sont déversées sur les routes de Suisse chaque hiver et plus de 750 000 t en France. Le ruissellement et l’infiltration dans le sol perturbent l’habitat et la physiologie des plantes et des animaux des fossés. L’antigel naturel provoque la mort des tritons et des grenouilles, car il pénètre par osmose à travers leur peau, provoquant littéralement l’explosion de leurs organes internes.

KM 0,6

Pour le papillon nomade, c’est l’heure d’une pause bienvenue sur une cardère. La plante rigide résiste aux tornades provoquées par les quatre-roues. Au rez-de-chaussée, une mante religieuse déjeune. Entendez-vous ce trille aigu, parmi les graminées dorées par le soleil ? Cette musique monotone est l’œuvre d’un criquet qui n’a de mélodieux que le nom. L’orthoptère s’est posté tout près d’une bouteille vide lâchement abandonnée. Profiterait-il de l’effet amplificateur de sa paroi en plastique ?

KM 0,8

Alerte. La végétation vire brusquement au rouge saumon. La vie a déserté le talus et toute la parcelle adjacente. Le signe évident d’un traitement sévère à l’herbicide qui a débordé sur le fossé. Glyphosate ? Pour le vulcain baroudeur, c’est le moment de traverser pour gagner la jachère en rive droite. L’insecte braque ses voiles avec agilité, mais il ne prend pas assez d’altitude. A la sortie du fossé, il plane à un mètre seulement de hauteur. Ses vifs coups d’ailes ne suffisent pas. D’abord le choc du capot brûlant, puis l’accrochage d’une aile dans les essuie-glaces et finalement le tremplin du pare-brise. Le corps frêle et inerte du papillon chute sur la piste anthracite.
Comme ce vulcain, des millions de bêtes succombent chaque année à leur condition de réfugiés des bas-côtés.

Explorez la biodiversité insoupçonnées des bords de route, le criquet mélodieux
Criquet mélodieux

Limiter la casse

La prise de conscience concernant la biodiversité des voies routières et ferroviaires fait son chemin. Qu’elles soient appelées gestion différenciée ou raisonnée, les pratiques d’entretiens tiennent de plus en plus compte de la faune et de la flore. Fauche tardive, limitation du salage, réduction ou abandon des pesticides, passages à faune… de nombreuses mesures sont possibles sans desservir la sécurité routière.

Nos conseils pour profiter des bords de route

Observer :

Papillons, fleurs sauvages, lézards, grenouilles, champignons, roches affleurantes… la nature des bords de route est parfois surprenante. Pour l’admirer ou l’inventorier, soyez extrêmement prudent. Enfilez un gilet fluorescent et préférez les heures et les jours de faible circulation. Optez pour les chaussées bordées de voies piétonnes ou cyclables.

Nettoyer :

Lors de vos pérégrinations de naturaliste des fossés, emportez un sac-poubelle. La pêche aux déchets est une activité dont on ne rentre malheureusement jamais bredouille. Et puis, certains détritus comme les bouteilles sont de véritables pièges pour la faune.

Alerter :

Communiquez vos découvertes d’animaux écrasés aux services de la faune ou aux associations spécialisées. En les notant très précisément, vous contribuez à la connaissance des points noirs d’écrasement. Si vous constatez des fauches trop précoces ou des traitements chimiques, signalez votre indignation à l’administration responsable.

Découvrez la nature évoluer le long d'un sentier au cours de l'année.

Couverture de La Salamandre n°252

Cet article est extrait de la Revue Salamandre

n° 252  Juin - Jullet 2019, article initialement paru sous le titre "Les réfugiés du bas-côté"
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