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La gypaète connection
La fabuleuse histoire du gypaète, un film salamandre
Avant de réaliser le film La fabuleuse histoire du gypaète pour la Salamandre, les cinéastes animaliers Anne et Erik Lapied ont savouré chacune de leurs rencontres avec le vautour barbu. Billets souvenirs.
Avant de réaliser le film La fabuleuse histoire du gypaète pour la Salamandre, les cinéastes animaliers Anne et Erik Lapied ont savouré chacune de leurs rencontres avec le vautour barbu. Billets souvenirs.
Pyrénées espagnoles
octobre 1976, altitude 2 000 m.
Nous sommes jeunes et sans le sou, nous dormons dans de vieilles fermes abandonnées par l’exode rural. Dans notre sac, un objectif 400 mm pour lequel j’ai englouti un mois de salaire de vendanges, une paire de jumelles russes et l’Elsevier, un bouquin pour identifier les oiseaux, sans doute remarquablement relié, puisque nous l’avons toujours.
Nous sommes là-bas pour observer les rapaces avec un copain. Je connais ma femme Anne depuis peu. Dans une ambiance où se mêlent insouciance et liberté, nous suivons notre maître sur des terrains à sangliers lorsqu’il s’écrie : « Gypaète ! » Un silence suit et ce n’est pas un ange qui passe, mais un magnifique planeur de presque 3 m d’envergure qui, curieux, fonce droit sur nous. Instinctivement, nous rentrons légèrement la tête dans les épaules à son passage. Le temps semble s’arrêter. Nous venons de voir notre premier gypaète barbu !
Haute-Savoie
1987
Nous tournons un documentaire pour le parc national de la Vanoise. Dans le milieu de la nature on parle du retour du gypaète barbu, absent des Alpes depuis près d’un siècle. Un gypaèton vient d’être déposé dans une cavité du massif du Bargy. Nous sommes conviés à une réunion d’information d’ASTERS (le conservatoire d’espaces naturels de Haute-Savoie) sur le casseur d’os. Nous écoutons des gens déterminés et repartons avec un poster, une brochure et un autocollant qui restera à l’arrière de notre voiture jusqu’à être décoloré. Nous attendrons quelques années avant de fixer sur la pellicule 16 mm notre premier vol de gypaète en Vanoise.
Ethiopie, hauts plateaux du Balé
Noël 1995, altitude 4 000 m.
Nous tournons un film sur les loups d’Abyssinie. Nous avons construit quelques huttes locales, à la limite du territoire de deux meutes. En migration, les aigles des steppes débarquent d’Asie Mineure pour passer l’hiver sur les hauts plateaux du Balé.
Alors que les loups se gavent de rats-taupes géants, nous sacrifions un agneau acheté au village voisin. Les os rejoignent notre compost à 200 m du camp. Le lendemain, les gypaètes apparaissent. Nos enfants, David et Véronique, alors adolescents, sèchent les cours et sont là pour un mois. Un affût est installé. Nous tirons au sort : c’est Véronique qui s’y colle avec le Leica. Pendant une demi-heure, un gypaète festoie. La pellicule Kodachrome 36 poses y passera sûrement ! Le gypaète décolle et Véronique sort de l’affût, radieuse. Elle n’a pris que deux photos ! « Tu m’avais dit d’y aller mollo ! » C’était avant le numérique et il faudra attendre plus d’un mois le retour du laboratoire. Deux photos, mais elles sont superbes.
Himalaya indien
janvier 2007, altitude 3 500 m.
Nous marchons depuis trois jours sur le fleuve gelé, unique accès hivernal à la haute vallée du Zanskar. Au détour d’un méandre, une femelle d’ibex gît encore chaude sur la glace. Selon notre compagnon de route Tashi, c’est l’œuvre de Shan, le léopard des neiges, dont les empreintes ponctuent notre itinéraire depuis ce matin. Le félin dérangé a abandonné sa proie aux hommes.
Nos amis bouddhistes, que l’on croirait volontiers végétariens, sont des experts dans le dépeçage. En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, la carcasse est découpée et lavée dans l’eau du fleuve. Après des offrandes rituelles pour remercier les dieux, nous reprenons notre marche. Nous bivouaquons plus tôt que prévu dans une grotte pour une soirée momos – raviolis tibétains – mémorable.
Température : - 22 °C. Les étoiles brillent entre les parois. La glace craque sous l’effet du gel et Tashi prie à voix haute devant le feu. Nous parlons du gypaète qui a été exterminé en Europe. Notre guide s’interrompt et nous assure que nous pourrons trouver son nid si nous nous rendons dans le vallon ce soir, car il brille la nuit. Certains ont essayé d’expliquer l’origine de ce mythe par la quantité d’os accumulés dans l’aire. En se décomposant, ceux-ci deviendraient phosphorescents sous l’effet d’une réaction chimique. Pour Tashi, qui a repris sa prière, c’est l’oiseau sacré, gardien de la lumière.
Alpes italiennes, Val d'Aoste
janvier 2015, altitude 2 300m.
Ce matin, nous roulons vers le val de Rhèmes, là où fut tué en 1913 le dernier gypaète barbu des Alpes. C’est aussi dans cette vallée que sont revenus les premiers gypaètes du Grand Paradis en occupant exactement la même aire qu’autrefois. Il s’agit d’un trio, composé d’un mâle et de deux femelles. C’est peu courant, mais cela arrive. Depuis quelques jours, l’une des deux femelles couve deux œufs dans un berceau de laine et de poils par - 17 °C. Dans leur citadelle de roc, mâle et femelles se relaient et n’abandonnent jamais aux froidures de janvier ce qu’ils ont de plus précieux.
Nous mettons à profit le manque de neige pour circuler dans la grande face est. La pratique de l’alpinisme nous a réunis, Anne et moi, aussi nous aimons ces sorties engagées, que nos muscles noueux et vieillissants abordent dans le même esprit que les courses d’antan. Le jour nous surprend. Il ne faut pas traîner, hier nous avons manqué les gypas de peu. En silence, chacun gère les quelques passages de rocher. Ce n’est pas difficile, juste vertigineux. Cet itinéraire nous conduit au sommet d’une falaise en parabole exposé plein est. Les gypaètes affectionnent cette paroi les jours où le froid stagne dans un air immobile.
Le soleil paresse là-haut, tarde, efface les ombres et enfin nous inonde. C’est bon. Un plumage proche de la perfection rase la paroi 100 m plus bas. Sur un fond noir de vallée endormie, le spectacle est grandiose. Avec douceur, le gypaète enroule les thermiques. Combien de temps aurons-nous le droit d’assister à cette lente remontée ? Une joie immense nous étreint quand il plane à notre niveau. Exactement ce que l’on était venu chercher.
Alpes italiennes, Val d'Aoste
juillet 2017, altitude 1 900 m.
Voilà dix années que nous suivons les gypaètes du val de Rhèmes et aujourd’hui un nouveau gypaèton a pris son envol. Le ciel est de moins en moins vide et le ballet aérien des rapaces ponctue notre vie là-haut avec des individus territoriaux auxquels s’ajoutent ceux de passage, venus du Valais, côté suisse, ou de la Vanoise, versant français. Hier, nous avons filmé un juvénile équipé d’un GPS fixé sur un harnais. Les hommes ont une ambition : ils tentent de connecter les populations de gypaètes autour de la Méditerranée. Le gypaète, lui, a réussi à relier les hommes entre eux au-delà des frontières.
“Le gypaète fédère un vaste programme de protection et de conservation européen. Un défi humain au cœur du monde animal qui montre que, quand il le veut, l’homme peut changer les choses.
„
La fabuleuse histoire du gypaète
Le dernier film d’Anne et Erik Lapied en DVD à commander en cliquant ici.
Le gypaète barbu avait tout pour entrer dans la légende. Ce vautour casseur d’os, exterminé dans les Alpes au début du XXe siècle, survole à nouveau nos montagnes. Mais son retour ne tient pas du hasard. Deux biologistes, l’un français, l’autre suisse, nous content les mœurs et la fabuleuse histoire de ce rapace hors du commun illustrée avec des images à couper le souffle.
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Cet article est extrait de la Revue Salamandre
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