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Martin-pêcheur, l’oiseau turquoise
Le roi pêcheur, les coulisses du film
Après quatre ans d’un tournage audacieux en eaux romandes, voici enfin Le roi pêcheur le nouveau film de Vincent Chabloz. Suivons le cinéaste devant son banc de montage.
Après quatre ans d’un tournage audacieux en eaux romandes, voici enfin Le roi pêcheur le nouveau film de Vincent Chabloz. Suivons le cinéaste devant son banc de montage.
8 h 30, jeudi 5 juin, tea-room de la gare de Morges. Vincent Chabloz est assis à une petite table. Il paraît fatigué. Mais soudain son visage s’illumine « Hier, j'ai encore passé 11 heures à l'affût du faucon pèlerin ! » confie le cinéaste naturaliste. Le tournage de son prochain film sur l’oiseau le plus rapide du monde avance. Quant au Roi pêcheur, il vient d’en terminer le montage pour sa sortie début août.
Un rapide espresso, puis départ dans un fourgon rempli de filets de camouflage, de tentes d'affût et de trépieds pour Saint-Saphorin-sur-Morges, le village d'adoption du Vaudois. Beaucoup d’images ont été tournées tout près de là, au bord de la Venoge.
Après quatre années à la cour du martin-pêcheur, voici donc le lieu où Vincent Chabloz a dérushé, coupé et monté son dernier film. Le studio est plongé dans la pénombre. Par terre, un nœud de câbles, des accus et quelques caméras. Sur son bureau, un écran géant et un gros micro entourés de lecteurs, cassettes et disques durs. Au fond d'une armoire, un coffre-fort antifeu protège jalousement des dizaines de milliers d'heures d'enregistrements. Son trésor.
Le réalisateur allume son ordinateur. Il prend son souffle. Puis raconte plan après plan comment ont été prises les plus folles images d’un film haut en couleur.
Plongée
Une fusée bleue plonge sur un banc de vairons qui nage dans l’eau calme de la rivière. Comment avez-vous eu cette scène de pêche incroyable ? « Filmer sous l’eau la plongée du martin-pêcheur a été le plus grand défi du tournage. J’ai d’abord repéré un coin idéal sur la Venoge. Puis j’ai construit et posé dans la rivière une sorte d’aquarium en plexiglas sans fond pour avoir un décor naturel de galets et de sable. Des trous sur les côtés permettaient au courant de passer à travers sans emporter l’installation. Y mettre les poissons a été une vraie galère ! Avant chaque prise de vue, je passais des heures à essayer de pêcher des vairons avec un filet pour enfants. Je soupçonne qu’un héron venait se servir la nuit. Toutes les 6 à 7 heures, je devais vider les disques durs et changer les accus. Pour surveiller le système en mon absence, une deuxième caméra filmait les lieux en continu. Une fois cette technique mise au point, il a fallu deux ans de patience avant qu’un martin ne plonge une première fois. Au final, en quatre ans de tournage, je n’ai eu que trois plongeons centrés à l’image : il y en a deux dans le film. »
Pelotte sucrée
Le martin-pêcheur régurgite les parties indigestes de ses proies. Comment avez-vous réussi à filmer cette pelote au moment où elle tombe à l’eau ? « (rires) C’est du cinéma ! Ce genre de plan est évidemment impossible à tourner dans la nature, car on ne peut pas prévoir quand et où l’oiseau va régurgiter sa pelote. Lors du montage, j’ai trouvé qu’il manquait une petite séquence pour illustrer ce comportement. J’ai donc taillé trois ou quatre petits morceaux de sucre et j’ai fait quelques essais sur la rive… »
Effet freeze
Un lac démonté et des bateaux figés par un froid de canard. Où avez-vous tourné ces séquences qui donnent la chair de poule ? « On dirait l’Islande, mais ces scènes ont été filmées en Suisse au port de Grandson. Pendant la vague de froid de février 2012, les embruns gelaient sur les môles en faisant même couler certains bateaux dans le port. Une banquise s’était formée sur la partie nord-ouest du lac. Pour les martins-pêcheurs, c’était l’apocalypse ! Le vent soufflait si fort que je devais filmer avec mon trépied le plus lourd en le réglant au plus bas. Je protégeais le matériel avec ma veste et j’avais enlevé le micro de la caméra pour qu’il ne fasse pas prise au vent. Cette année-là, malgré l’hécatombe de martins-pêcheurs, des couples sont revenus au printemps sur les sites de reproduction… mais avec un bon mois de retard. Une recolonisation rapide due à des individus migrateurs ? »
Doublure
Un martin-pêcheur mort sur la glace au bord d’une rivière. Macabre trouvaille ou mise en scène ? « Après la pelote, il s’agit ici du deuxième et dernier plan du film qui a été scénarisé. Malgré la vague de froid qui a ravagé la population de martins-pêcheurs durant le tournage, je n’ai jamais trouvé d’individu mort dans la nature. J’imagine qu’ils se font rapidement dévorer par un renard ou un rapace. Blaise Mulhauser, conservateur au Muséum d’histoire naturelle de Neuchâtel, m’a donc prêté un exemplaire empaillé que j’ai mis en scène sur la Venoge. Il fallait juste qu’on ne voie pas le socle en bois. »
Chaud !
Un couple de martins-pêcheurs s’accouple sur l’un de ses perchoirs favoris. Un plan difficile ? « L’accouplement est très rapide. C’est l’un des comportements que je souhaitais absolument avoir. Dans cette séquence d’images, on peut remarquer que le mâle est en plein creusage du terrier, car son bec est sali de terre. On voit aussi comme il tient la femelle en pinçant les plumes de sa tête et en s’appuyant avec les pattes. Après son départ, le plumage du dos de sa partenaire reste ébouriffé pendant un moment. Sur le terrain, c’est un signe très fiable que l’accouplement vient d’avoir lieu. A la même période, j’ai observé un manège particulier de la femelle. Alors que d’habitude elle sort comme une bombe du terrier, il arrive à la saison des amours qu’elle guigne depuis l’entrée, s’envole et revienne ensuite après une boucle de quelques mètres. Peut-être une sorte d’invitation nuptiale pour le mâle. »
Travelling
Tout à coup, le spectateur a des ailes qui poussent ! Auriez-vous fixé une caméra sur le dos d’un martin-pêcheur pour obtenir ces images décoiffantes ?
« Non, quand même pas ! Pour montrer ce que l’oiseau voit lorsqu’il vole au ras de l’eau, j’ai utilisé une tyrolienne. Pendant mes vacances d’été, avec l’aide de la stagiaire Marie Amiguet, nous avons tendu un câble en acier de 30 m en diagonale entre deux rives de la Venoge. Après quelques heures de réglage et une trentaine de ratés, nous sommes parvenus à une bonne simulation du vol d’un martin-pêcheur. Pour éviter de déranger le couple qui nichait encore courant juillet dans le secteur, j’ai creusé moi-même un faux nid dans la berge, là où l’objectif de la caméra arrivait après sa glissade… »
En frontal
Un adulte atterrit à l’entrée du terrier avec un poisson dans le bec… vu depuis l’intérieur du nid. Comment êtes-vous parvenu à réaliser ces images sans déranger les oiseaux ?
« J’ai réalisé cette séquence dont je rêvais d’une manière politiquement très correcte. Logiquement, il est impensable de poser une caméra dans le nid pendant que l’oiseau y niche.
Alors, au fil des mois, j’ai remarqué une chose intéressante. Le jour qui suit l’envol des jeunes, dans la frénésie des nourrissages, les adultes continuent de rentrer machinalement dans le terrier avec des proies. Vu que les poussins sont partis, ils en ressortent peu après. J’ai profité de ce moment particulier pour poser une petite caméra à 20 cm de profondeur dans une galerie sans occasionner aucun dérangement… Au montage, j’ai simplement rajouté des cris de jeunes affamés. »
Gros plan
Quatre jeunes perchés sur une branche attendent l’arrivée de leur père. Cette séquence rare nécessite un suivi méticuleux, n’est-ce pas ?
« Oui ! Deux à trois jours après l’envol, les jeunes martins sont chassés du territoire familial par les adultes. C’est uniquement pendant cette courte période que l’on peut observer toute la famille réunie. Par chance, un stagiaire du centre ASPO de La Sauge à Cudrefin m’a lancé un coup de fil lorsque les jeunes ont quitté le nid. L’après-midi même, j’ai pu filmer ces quatre martins côte à côte. Heureux travail d’équipe ! »
Le film en quelques chiffres
- 0 Le nombre d'animaux captifs ou papprivoisés ayant servi dans le film
- 10 Les sites romands visités par vincent Chabloz pour tourner tous les plans du film
- 4 Les couples nicheurs suivis simultanément par le réalisateur sur les rives de la Venoge
- 3 Le nombre total de martins au bec cassé observés en 4 ans
- 6 Le nombre de caméras utilisées pendant le tournage
- 3500 Le nombre d'heures enregistrées, parfois par plusieurs caméras tournant simultanément
- 1400 Les heures de travail nécessaires à la réalisation du film
Vincent Chabloz
cinéaste naturaliste nivalisfilm.ch
- 1967 Naissance à Morges (VD).
- 1987 Tapissier-décorateur.
- 1989 Première caméra pour filmer la nature.
- 2000 Termine Jura, instants volés.
- 2009 Signe L'éloge des pics pour La Salamandre, puis Les nouveaux castors en 2012.
- 2014 Sortie du Roi pêcheur.
- 2015 Sortie de Sentinelle, un film sur le faucon pèlerin.
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Cet article est extrait de la Revue Salamandre
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