Flamenco synchro chez les grèbes
Le printemps arrive sur les bords du lac. Avant de nicher entre les roseaux, les grèbes se lancent dans une intrigante chorégraphie. A vos pas !
Le printemps arrive sur les bords du lac. Avant de nicher entre les roseaux, les grèbes se lancent dans une intrigante chorégraphie. A vos pas !
Mars est un indécis. Entre hiver et printemps, ce mois ressemble à une longue partie de tir à la corde entre giboulées et premiers redoux. A l’issue de ce combat, le renouveau s’invitera dans le paysage malgré les derniers assauts du froid.
Les grèbes huppés perçoivent la mélodie irrésistible du printemps qui monte crescendo. Parés de leur costume noir et blanc aux flancs roux, ces danseurs d’exception se donnent rendez-vous en lisière de roselière… Là où le brun grège des phragmites se fond au bleu indigo du lac. Bercés par les vaguelettes et le froufrou des roseaux sonnés par le vent, les oiseaux s’épient avant de se confronter dans des rituels stéréotypés. Des plus expressifs, ce protocole séducteur combine les pas d’un flamenco emplumé.
Coupe punk
Parmi les grèbes d’Europe, le huppé est le plus commun. Son nom vient des touffes de plumes ornementales qui parent la tête de l’adulte en période de reproduction. Sédentaire ou migrateur à courte distance à nos latitudes, cet oiseau d’eau niche sur les lacs, les étangs et les rivières à courant lent. On le reconnaît facilement : il est deux fois plus grand que le grèbe castagneux et atteint presque la taille du canard colvert. Le mâle ouvre le bal, fier comme un bailaor andalou. Il émet une série de cris proches d’un aboiement ou de miaulements. Sa demande, destinée à une femelle, est claire : « Voulez-vous danser avec moi ? » Intriguée par ces vocalises, la belle ne cède pas immédiatement au tombeur des roseaux. Prudente, la fille !
Partagés entre attirance et méfiance, les deux oiseaux se scrutent, batifolent et plongent sous l’eau. Parfois, peut-être parce que le jeu devient trop osé, madame grèbe adopte une attitude menaçante : dans la position dite du chat, elle se rétracte, baisse la tête et écarte ses ailes. Une figure pas très glamour, à éviter en discothèque.
Séduction, connivence, le courant passe entre les deux danseurs. Leur flamenco se fait plus vif. Face à face, les grèbes dressent leur cou et déploient les plumes de leur tête en un éventail carmin. Excités, ils lancent des trilles et des caquètements. De gauche à droite, les hochements de tête saccadés en trois temps semblent répondre au balancement d’un métronome inaudible. De brefs et curieux simulacres de toilette ponctuent aussi ces moments de plus en plus intimes. Olé !
Entre deux pas de danse, les grèbes plongent régulièrement et émergent avec le bec rempli de plantes aquatiques. Une manière de prouver leur aptitude à trouver les matériaux utiles à la construction du futur nid flottant amarré aux roseaux. Ce radeau végétal rudimentaire sera édifié en une semaine par les deux partenaires.
Visages de saison
Dès l’automne, les grèbes huppés se rassemblent avec foulques, canards et autres morillons. Parfois, ils se tiennent considérablement loin de la rive des plans d’eau. En février-mars, ces oiseaux piscivores élisent domicile dans les roseaux mais également dans les ports. Ils y nichent en couples isolés ou en colonies pouvant atteindre la densité exceptionnelle de 111 couples par hectare dans les roselières du lac de Neuchâtel. Très démonstratifs, les grèbes huppés croassent bruyamment et leurs cris s’entendent à une centaine de mètres.
C’est sûr, Vivaldi s’est inspiré de l’incroyable variété et du dynamisme de la parade des grèbes huppés pour composer La Primavera de ses Quatre Saisons… L’entente du couple se renforce au fil des jours. Quand la lune est pleine, les oiseaux font même la fête toute la nuit, jusqu’à la grande chorégraphie finale. Courant sur l’eau, les deux danseurs foncent l’un vers l’autre. Juste avant de se toucher, ils dressent leur corps à la verticale et jaillissent presque du lac. Puis ils se collent, poitrine contre poitrine, avant de retomber dans l’eau une dizaine de secondes plus tard. Cette danse du pingouin se conclut par un échange d’offrandes végétales ou de plumes.
En fin de parade, le couple se donne rendez-vous sur la couche humide du nid. Allongée sur le ventre, la femelle y attend son compagnon de danse. Impatiente, elle l’appelle avec insistance, le cou et la tête pliés à fleur d’eau. Moins à son aise que sur le dance floor, le mâle hésite et tourne nerveusement autour du nid. Enfin il se lance et monte brusquement sur le dos de sa partenaire. L’accouplement se résume à un contact de quelques secondes.
Qu’il est maladroit hors de l’eau le grèbe huppé, vissé sur ses pattes lobées et taillées pour la nage ! Après l’amour, le mâle ne s’attarde pas et regagne le lac au plus vite. Comme sur un toboggan, monsieur se laisse glisser sur le dos, puis sur le cou tendu de madame. Une chute quelque peu comique pour cette danse flamenca. Avant d’en rire, apprenez déjà à danser sur l’eau.
Oiseau rameur
Les grèbes appartiennent à la famille des podicipédidés, signifiant pieds au derrière à cause de leurs pattes disposées très en arrière du corps. Cette adaptation anatomique permet à ces oiseaux plongeurs de se propulser efficacement sous l’eau. Ainsi, le grèbe huppé peut atteindre des profondeurs de 30 à 40 mètres durant des plongées qui durent jusqu’à 50 secondes. Là, il se régale de petits poissons, de larves d’insectes et d’autres invertébrés aquatiques.
La roselière abrite une grande diversité d’oiseaux en plus du grèbe huppé. Partez à leur rencontre avec notre Miniguide n° 89 Les oiseaux des roseaux.
Prolongez le périple au bord de l'eau avec notre article, embuscade sous les élodées.
Cet article est extrait de la Revue Salamandre
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