Lancer des bombes à graines, fausse bonne idée ?

François Dehondt, naturaliste, botaniste et écologue. Ancien directeur du Conservatoire botanique national de Franche-Comté jusqu’en 2020, aujourd’hui installé en Bretagne.

Que pensez-vous de l’usage des bombes à graines pour augmenter la diversité végétale jusqu’au cœur des cités ?

L’idée de ces projectiles est de remplir des vides... qui se comblent tout seuls. En effet, quand on lui en donne l’occasion, la nature s’exprime par elle-même et nous réserve de belles surprises. J’ai ainsi découvert au pied de mon immeuble une spiranthe d’automne, une orchidée qui n’avait pas été observée depuis plus d’un siècle à Besançon ! Les friches urbaines abritent une riche flore pionnière, dont les graines sont arrivées à la faveur de nos semelles, pneus ou remblais de chantiers. Les voies ferrées sont peuplées d’espèces migrant par leurs propres moyens vers le nord en s’adaptant au climat. Dans les campagnes, le sauvage s’immisce entre les jardins et cultures, dans les friches, haies, marais, terres incultes... En fait, ce qui caractérise la biodiversité et en fait tout le sel, c’est sa spontanéité. Prétendre apporter du sauvage en dispersant des graines n’a pas beaucoup de sens.

Semer des plantes sauvages en se réappropriant les gazons est tout de même un moyen d’interpeller les pouvoirs publics…

C’est l’ambiguïté des bombes à graines. Au départ, la pratique avait un côté libertaire plutôt sympathique. Maintenant, elle est devenue un business. Toutes les jardineries vendent des bombes prêtes à l’emploi comportant au plus une dizaine d’espèces – pour comparaison, les prairies jurassiennes en comptent jusqu’à 130. Semer le même mélange à Dunkerque, Marseille, Lausanne ou Liège n’a aucun sens. La vraie subversion, c’est de laisser la friche s’exprimer, sans intention conservatrice. Et de la mettre en valeur, comme le fait le programme de recensement participatif français Sauvages de ma rue ou comme ces artistes qui encerclent les herbes à la craie en notant leur nom.

Faudrait-il apprendre à lâcher prise ?

Oui, c’est une question culturelle. Dans nos pays d’agriculture et de foresterie, on aime semer, maîtriser, désherber. Apprenons à en faire moins. On a le droit d’avoir des envies, mais en partant de ce qui est. Tout au plus, on peut se réapproprier les bombes à graines dans l’esprit des origines : collecter dans les environs les semences mûres et les disséminer sans s’attacher au résultat. Comprenons humblement que la nature n’a pas besoin de nous, mais que nous avons besoin d’elle.