La révolution des plantes à graines
Les graines ont révolutionné l’évolution du vivant. Pour savoir qui elles sont, il faut savoir d’où elles viennent. Éclairage à travers les âges.
Les graines ont révolutionné l’évolution du vivant. Pour savoir qui elles sont, il faut savoir d’où elles viennent. Éclairage à travers les âges.
C’est l’histoire de la petite graine qui… n’était pas là au commencement. « Les gens sont souvent surpris d’apprendre que les fougères ou les mousses ne produisent pas de graines… mais des spores, qui ont longtemps été le seul moyen de reproduction du règne végétal », prévient Cyrille Prestianni, paléobotaniste et enseignant à l’Université de Liège.
La spore ? Sous les frondes d’une fougère, par exemple, de petits sacs libèrent une poudre dans l’air. Chaque poussière est une spore qui compte atterrir en milieu humide. Là, cette cellule se développe en un mini-organisme, le gamétophyte. Ce dernier a pour mission de produire des cellules sexuelles mâles et femelles. Les premiers, flagellés, nagent pour rencontrer les secondes et engendrer une nouvelle fougère par fécondation.
Nager, tel est le problème. « Quand les premiers végétaux sont sortis de l’océan il y a 490 Ma, ils ont appris à vivre avec un stress absolu : l’absence périodique d’eau liquide. Mais ils en dépendaient toujours pour la rencontre des gamètes, ce qui limitait les possibilités d’habitats », pointe le scientifique. Quelque 100 Ma plus tard, des fougères se mettent à conserver précieusement auprès d’elles leurs spores femelles.
En leur sein se développe le gamétophyte qui finira par s’appeler ovule après quelques perfectionnements évolutifs. Il attend l’arrivée par la voie des airs des gamétophytes mâles, dans le pollen. Coup de génie : la fécondation de l’ovule, qui se transforme en graine, finit par se produire directement sur la plante mère, grâce à l’humidité qu’elle contient.
Chaînon manquant
« À l’œuvre entre - 385 et - 359 Ma, le saut morphologique entre un simple sac à spores et une graine, qui est une structure très complexe, est énorme. C’est même un abominable mystère, pour reprendre la célèbre maxime de Darwin », commente le paléobotaniste. Dans l’épais brouillard qui plane sur cette période se sont tout de même allumées des lanternes. D’abord, un fossile découvert par hasard en 1930 dans un bloc de sédiments lors de la construction d’un canal à Ronquières, en Belgique. Datée à - 385 Ma, la plante préhistorique est baptisée Runcaria heinzelinii et conservée à l’Institut des sciences naturelles de Bruxelles.
« Avec les connaissances de l’époque, on n’a pas réalisé l’importance du fossile, note l’enseignant. Un demi-siècle s’est écoulé avant que mon prédécesseur Philippe Gerrienne comprenne qu’il s’agit sans doute du plus vieux précurseur de plantes à graines connu ! » Au Dévonien moyen, Runcaria se reproduisait du haut de son petit centimètre selon un modèle intermédiaire entre la spore et l’ovule. Elle présentait des sortes de chambres nuptiales, des cupules et autres structures protectrices prolongées d’une colonne visiblement capable de capturer le pollen. « Mais ce n’est que chez des fossiles du Dévonien supérieur, comme Moresnetia zalesskyi, l’un de mes sujets d’étude, qu’on identifie des structures vraiment analogues aux graines », poursuit-il.
Essor planétaire
Mus par ce qu’ils appellent la « frustration du paléontologue », l’homme de terrain et ses collègues recherchent inlassablement des fossiles, espérant trouver d’autres pièces du puzzle géant de l’évolution. En attendant, une certitude : l’invention de la graine, bien plus résistante que la spore, a donné un grand coup de boost au verdissement des continents. « À la fin du Dévonien, il y a 360 Ma, la diversité des ovules a explosé. Si la stratégie a été largement adoptée, c’est signe qu’elle fonctionne : fécondation sécurisée sur la plante mère, protection de l’embryon par des couches de tissus qui contribuent aussi à le disperser. Enfin, le bébé bien emballé acquiert la capacité d’entrer en dormance pour choisir quand germer », énumère Cyrille Prestianni.
Quand vient le Jurassique, il y a 200 Ma, les conifères dominent le paysage. Ils produisent des graines dans leur plus simple appareil, d’où leur nom de gymnospermes – du grec qui signifie à semences nues. Il y a 120 Ma vient une deuxième révolution avec l’apparition des plantes à fleurs, au mode de reproduction sophistiqué. Ces angiospermes – semences dans un récipient – enveloppent leurs rejetons dans un fruit. La réussite des plantes à graines est poussée encore plus loin. Désormais, des forêts tropicales humides à la toundra arctique, elles dominent la flore à 90 %. Dans le monde, on estime leur nombre à 370 000 espèces. Un succès fou !
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Cet article est extrait de la Revue Salamandre
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