Octobre, le défilé des oiseaux
Pas besoin de rejoindre un détroit ou un col mythique. En automne, le spectacle de la migration se joue tout près de chez vous.
Pas besoin de rejoindre un détroit ou un col mythique. En automne, le spectacle de la migration se joue tout près de chez vous.
Très tôt, le matin du 7 octobre. Les conditions sont réunies pour tenter une des plus belles expériences nature de la saison. Après trois jours de pluie, une légère bise dégage enfin le ciel et souffle sur les brumes qui se prélassent dans la plaine. A l’oreille déjà, je détecte quelques tsip et des cris roulés. Je me prépare au grand show gratuit et plein de surprises de la migration des oiseaux. Mais où aller ? Là où la vue porte, au sommet d’une colline ou dans l’axe d’une vallée. Pas d’inquiétude, les acteurs et figurants de ce ballet aérien donnent leur représentation un peu partout. Pour cette fois, rendez-vous sur le belvédère le plus proche. Jumelles, casse-croûte, carnet de terrain, guide d’identification… tout est prêt. Attention, l’immobilité et le vent auront raison de mon indispensable patience si j’oublie gants, bonnet et thermos de boisson chaude.
Il faut que je sois en place avant le premier rayon du soleil. Allez, c’est parti…
Aux premières loges de la migration
Des sommets vosgiens aux cols pyrénéens, en passant par le Défilé de l’Ecluse, près de Genève, les sites de suivi des oiseaux migrateurs sont nombreux. Mais entre deux spots reconnus, les voyageurs ne passent pas sous des tunnels. Une partie d’entre eux transite forcément par chez vous.
Le carnet est ouvert, posé sur la table d’orientation. En haut de la page blanche, la date. Juste en dessous, un créneau horaire : 7h-8h. Mais d’emblée, j’ai le sentiment d’être en retard. Du ciel le plus lointain jusqu’au fond des buissons, les cris retentissent. Certains oiseaux semblent tomber du ciel comme victimes d’une mort subite. Ce sont les voyageurs nocturnes, souvent insectivores, qui descendent pour une pause. Pouillots, fauvettes, rougequeues… tous cherchent le gîte et le couvert dans les pruneliers, ronciers et autres érables foisonnant de moucherons.
A l’est, les rougeurs de l’horizon se changent en une lumière intense qui annonce le point du jour. Des troupes de passereaux plus ou moins serrées et plus ou moins ondulantes surgissent de nulle part. Les ailes scintillantes accompagnées de cris doux annoncent les pinsons des arbres. Les obus au vol plus volontaire et aux cris explosifs sont des grosbecs. Au loin, le premier essaim de ramiers file comme une ombre.
J’adore l’exercice de la prise de notes. Au début, c’est facile d’écrire le nom des espèces en toutes lettres et de compter précisément les oiseaux. Puis, face à l’abondance, viennent les abréviations et les estimations. Evaluer les pigeons par groupes de dix dans une petite bande de 100, oser les paquets de 100 dans une masse de 1 000 oiseaux. Peu importe la science exacte. Pour cette fois, c’est le plaisir qui compte.
Une demi-heure après le lever du soleil, il y a en permanence au moins un groupe de pigeons à dénombrer : au loin, tout près, au-dessus de ma tête, en contrebas du belvédère… C’est incroyable. A 9h, je passe les 20 000 palombes. A 10h, 30 000. J’ai abandonné l’impossible dénombrement des pinsons. Chercher les dernières hirondelles et les premiers tarins suffit à m’extasier.
Les courants d’air s’adoucissent, et avec eux naissent les ascendances. L’heure des rapaces approche, même si j’ai déjà aperçu un épervier ou deux. Dansant dans des orbes spiralés, voici enfin les milans royaux. Provenance probable : Allemagne. Destination possible : Castilla y León, Espagne. Quel spectacle ! Sur une large route qui relie la Pologne aux Pyrénées, les pigeons et les milans royaux animent à eux seuls les séances de migration d’octobre. Vais-je passer la barre des 500 rapaces ?
Les paris sont lancés. En attendant, une sorte d’Où est Charlie ? ornithologique me divertit : détecter le rare pigeon colombin parmi la multitude des ramiers. Petit, plus trapu et dépourvu d’épaulettes blanches, il n’est finalement pas si difficile à débusquer. En voici un dans une bande de 120 de ses cousins puis au moins quatre dans l’énorme essaim qui me surplombe.
Cherchez l’intrus
Le ramier est de loin le plus abondant des pigeons dans le ciel d’octobre. S’il est possible de repérer un pigeon voyageur ou des domestiques de ville égarés, ce ne sont pas des vrais migrateurs. En revanche, le pigeon colombin se glisse souvent dans la foule des palombes, à l’unité ou par groupes d’à peine une poignée. Ce discret cousin niche en cavité en forêt, dans les parcs, en falaise et même en bâtiment.
Les pages du carnet se remplissent et tournent les unes après les autres. Déjà 41 espèces ! Pipit farlouse, grand cormoran, busard Saint-Martin, geai des chênes, grive draine, alouette des champs… Même les mésanges bleues migrent. Par petites troupes d’une dizaine de voyageuses, elles déambulent de buissons en arbres et d’arbres en buissons. Leur direction ne laisse pas de doute, sud-sud-ouest, comme tout le monde ce matin.
A midi, les compteurs ont explosé, les yeux sont fatigués. Mais la manie d’inventorier devient addiction et, entre deux bouchées de casse-croûte, je note les vulcains qui passent eux aussi. Tout comme certaines libellules.
Les troupes de pigeons se raréfient. Il en passe encore quelques-unes, géantes, comme agglomérées au fil des heures. Il y aura sûrement un second rush en fin d’après-midi, c’est classique. Pourrai-je patienter jusque-là sans sombrer dans la sieste ?
Bilan approximatif : plus de 100 000 oiseaux et 50 espèces. La prochaine fois, c’est sûr, je viendrai accompagné pour partager l’espace d’observation, la prise de notes et surtout l’émotion.
Chacun son tour
A l’instar de feu Milou les milans noirs nous quittent pour l’Afrique entre juillet et septembre. Leurs nuées quelquefois nombreuses égayent le ciel d’août en même temps que les cigognes. De fin septembre jusqu’aux premières vagues de froid, ce sont les milans royaux qui mettent les voiles vers la péninsule Ibérique ou le piémont pyrénéen. Parfois, des étiquettes colorées fixées sur leurs ailes renseignent sur le lieu de naissance ou d’hivernage où ils ont été marqués : Allemagne, France, Suisse, Espagne…
Nos conseils pour observer la migration des oiseaux
- Identifier
En vol et à distance, la plupart des oiseaux deviennent de sombres inconnus que les planches de guides d’identification classiques ne suffisent pas à reconnaître. Silhouette, trajectoire de vol, forme et densité des groupes, cri et transparence des ailes sont des critères que seule la pratique régulière vous permettra de mémoriser.
- Compter
Quantifier un groupe d’oiseaux migrateurs en mouvement relève de l’exploit. Faites le deuil du chiffre exact. Pour vous exercer, commencez par de modestes groupes de corneilles ou de mouettes que vous aurez également photographiés afin de contrôler le résultat sur écran. Augmentez progressivement la difficulté jusqu’au niveau des étourneaux et des pigeons.
Apprenez-en plus sur la migration des oiseaux dans notre ouvrage de référence Le comportement des oiseaux d'Europe.
Un ouvrage unique et le plus complet à ce jour, pour tous les amoureux des oiseaux. 576 pages pour découvrir les techniques de vol, les stratégies de chasse, les parades nuptiales et autres comportements de 427 espèces. Magnifiquement illustré avec plus de 1800 dessins.
Cet article est extrait de la Revue Salamandre
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