© Biosphoto / Laurent Geslin

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Grillon, nos révélations !

Les grillons, une famille formidable

Zoom sur les ahurissantes prouesses de quelques représentants de la galaxie des grillons.

Zoom sur les ahurissantes prouesses de quelques représentants de la galaxie des grillons.

Le cosmopolite

Métro-macdo-dodo

Paris, station Saint-Augustin. Vingt mètres sous terre, au bord du quai, une bestiole à longues antennes apparaît sur un ticket de métro jeté par terre. Un grillon !

L'épopée de ses ancêtres commence dans les contrées arides du Proche-Orient et d'Afrique du Nord. Là-bas, les grillons vivaient de trois fois rien : du chaud, un peu d'eau et des débris organiques quelconques. Ce strict minimum, l'insecte appelé grillon domestique l'a retrouvé au voisinage de l'homme. Depuis des millénaires, il nous accompagne dans toute l'Asie, l'Afrique, l'Europe et l'Amérique du Nord, squattant nos caves et parfois nos poubelles. Il n'y a pas si longtemps, presque toutes les boulangeries accueillaient ce porte-bonheur attiré par la chaleur du fournil. Mais l'hygiène moderne est passée par là et a raréfié un musicien au chant plus lent et doux que son cousin champêtre.

Le grillon domestique recherche avant tout de la chaleur. Il en trouve sur les terrils du nord de la France, dans nos détritus en fermentation... et même en plein cœur de Paris sur les lignes de métro 3, 8 et 9. Entre les rails, le climat est quasiment tropical. La température du ballast atteint 34 °C en soirée, pour tomber à 27 °C entre 4 et 5 h du matin. Et puis, il y a toujours un bout de papier ou des miettes de sandwich à se mettre sous la dent.

Nul ne sait comment ils sont arrivés là. En revanche, la très authentique Ligue pour la protection des grillons du métro de Paris milite pour limiter la durée des grèves. Les interruptions de trafic font en effet chuter la température des galeries et mettent en danger cette composante inattendue du patrimoine parisien.

La souterraine

Mère tunnelière

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La courtilière chante dans une chambre spéciale de son terrier. Elle l'utilise comme caisse de résonance pour amplifier son roulement grave caractéristique. / © Biosphoto / Fabio Pupin / FLPA

On dirait un monstre de science-fiction qui surgit de terre dans une cuirasse articulée. Heureusement pour nous, la courtilière ne fait que 5 centimètres de long. En fait, c'est plutôt de la taupe qu'il faut rapprocher cette incroyable foreuse vivante. Sa petite tête est enfoncée dans le corps, ses pattes avant modifiées en pelles redoutables et ses yeux quasiment aveugles. La courtilière ou taupe-grillon passe toute sa vie dans le sol à chasser des larves de hannetons, de taupins et autres ravageurs des cultures. Hélas, les dégâts que ses galeries provoquent lui ont valu le statut de « nuisible » et l'éradication à large échelle. Aujourd'hui, c'est presque devenu une rareté.

A mille lieues de la modeste demeure du grillon champêtre, la courtilière construit un palais souterrain. Une grande chambre entourée par un tunnel circulaire, duquel part en spirale un incroyable réseau de galeries. Si le terrain est trop humide, elle rajoute un puits en profondeur pour drainer l'eau en excès. Dans la pièce principale, la femelle prend soin de ses œufs qu'elle lèche constamment pour les protéger des moisissures. Après l'éclosion, elle surveille encore, toilette et nourrit à la becquée ses jeunes pendant un mois !

Le noctambule

Virtuose ventriloque

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Les élytres du délicat grillon d'Italie sont aussi fins qu'une peau d'oignon. Ils résonnent en produisant un chant tout en douceur. / © Martial Colas / Naturimages

Quand le concert du grillon champêtre se termine, voici venu le temps du grillon d'Italie. Autant son cousin apparaît costaud et sombre, autant lui est fragile, tout en finesse, presque transparent. Totalement nocturne, cet insecte délicat passe sa vie caché dans les buissons. Seul son griii griiii lent et doux signale sa présence les chaudes nuits d'été. D'ailleurs, le musicien module son rythme suivant la température.

C'est beau de chanter pour trouver l'âme sœur, mais c'est aussi dangereux, car les prédateurs ont des oreilles. Au moindre bruit suspect, le grillon d'Italie se fait ventriloque. On l'entendait ici, et voilà qu'il donne l'impression d'être là-bas. En tournant sur lui-même et en variant la position de ses élytres, il crée l'illusion qu'il se déplace ici ou là dans les feuillages. L'insecte magicien en devient presque impossible à localiser.

Le pique-assiette

A l'hôtel pour pas un rond

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Le mystérieux fourmigril est couvert de poils soyeux. Son corps rondelet a pris la couleur et la taille de ses hôtes fourmis. / © Piotr Naskrecki/ Minden Pictures / Biosphoto

Plutôt que de creuser un terrier ou de vivre une vie vagabonde, le fourmigril, ou grillon myrmécophile, squatte les fourmilières. Le plus petit grillon du monde a réussi à casser le code secret des ouvrières. Il dégage les bonnes odeurs, palpe les antennes de la bonne manière. Reconnu comme un des leurs, il déambule en toute impunité dans la colonie et lèche même les sécrétions de ses hôtes, souvent Lasius niger, la fourmi noire des jardins. Il se nourrit des restes des fourmis et s'attaque parfois à leur couvain.

La vie de parasite allège de quelques organes devenus inutiles : plus d'ailes ni d'élytres, par conséquent plus de chant ni de tympan et des yeux quasiment aveugles. Dans le nord de l'Europe, le fourmigril fait même l'économie des mâles. Les femelles se reproduisent toutes seules par parthénogenèse en produisant quelques très gros œufs. Totalement à l'abri des prédateurs, elles ont fait le choix d'investir un maximum d'énergie dans une descendance peu nombreuse.

Le généreux

Madame est servie !

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Le discret grillon des bois se nourrit surtout de feuilles de chêne. Dans le nord de l'Europe, il a besoin de deux étés pour atteindre l'âge adulte. / © Biosphoto / Pascal Goetgheluck

Le grillon des bois est une insaisissable petite bête qui se faufile et saute dans les feuilles mortes dont il se nourrit. En été et jusqu'en octobre, parfois même en plein hiver, son chant tout doux résonne en lisière de forêt. C'est cet appel en sourdine qui amène infailliblement la femelle en présence d'un mâle. Un ahurissant manège commence alors. Lui se trémousse longuement, joue des antennes et chante devant elle jusqu'à ce qu'elle consente à grimper sur son cavalier.

Le mâle produit alors un premier spermatophore qu'il fiche avec un petit filament dans les voies génitales de sa partenaire. C'est un leurre que la femelle grignote dare-dare. Suit parfois un deuxième, voire un troisième cadeau du même genre. Enfin, il produit un sac un peu plus volumineux qui contient sa semence et qui est accroché derechef à sa partenaire. Puis il se poste devant elle en sécrétant sur son propre dos une substance attractive. Elle vient consciencieusement lécher ses élytres tout en les grignotant au passage. Cette diversion laisse au spermatophore le temps de se vider dans son corps.

Sans aller jusqu'au sacrifice ultime souvent pratiqué par la mante religieuse ou certaines araignées, la générosité du mâle a le mérite de fournir à Madame des protéines de première qualité avant la ponte.

Le percussionniste

Aphone mais attentionné

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Le grillon des bastides aime la chaleur. Comme pour le grillon d'Italie, il est probable que le réchauffement climatique favorise son expansion vers le Nord. / © Biosphoto / P. && M. Guinchard

Le grillon des bastides aime à la fois la chaleur et l'humidité. C'est un méridional qui se cache sous les pierres, dans les grottes et les habitations humaines du sud de l'Europe. En Suisse, on ne le connaissait qu'au Tessin jusqu'à ce qu'il apparaisse mystérieusement dans trois caves de la ville de Sion en septembre 2006. Comme le grillon champêtre, il n'a pas d'ailes fonctionnelles, mais pas non plus d'élytres sur son dos tout lisse.

Incapable par conséquent de striduler, le grillon des bastides mâle a sa technique à lui pour attirer les femelles. Il frappe en rythme son abdomen contre le sol. Quand la femelle est prête à se faire féconder, il emballe son spermatophore dans un amas de mucus. Ce cadeau nuptial est immédiatement dévoré par sa partenaire. On suppose qu'il lui fournit des ressources utiles à la production de ses œufs et en même temps qu'il la détourne d'une consommation trop rapide du sac contenant les spermatozoïdes.

Le manipulé

Suicidé par un ver

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Au moment où son hôte tombe à l'eau, le ver Paragordius commence à sortir du ventre du grillon suicidaire. L'un comme l'autre n'ont plus très longtemps à vivre. / © Biosphoto / Pascal Goetgheluck

Certaines nuits d'été, il se passe des choses effarantes. Prenez ce grillon des bois qui vit en lisière d'une chênaie. Un soir, pris d'un brutal instinct exploratoire, l'insecte part à l'aventure et marche pendant des heures jusqu'à se retrouver au bord d'un ruisseau, d'une mare ou d'une piscine. Et là, au lieu d'éviter sagement l'obstacle, il se jette à l'eau.

Tandis que le grillon se noie, un filament sombre émerge en ondulant à l'arrière de son corps. C'est un ver fin comme un cheveu et vingt à trente fois plus long que lui. Le nématomorphe Paragordius tricuspidatus vient de téléguider le suicide de son hôte. Une fois achevé son développement dans le corps de l'insecte, ce parasite doit en effet se reproduire dans l'eau. Une équipe de Frédéric Thomas, du CNRS de Montpellier, a prouvé que le ver sécrète des neurotransmetteurs proches de ceux du grillon. Ceux-ci modifient son comportement pour l'amener à bon port.

Les vers adultes ne vivent que quelques heures. Ils s'accouplent, puis se vident des œufs qui remplissaient une grande partie de leur corps. Leurs rejetons, d'abord minuscules, parasitent des larves aquatiques de moustiques ou de libellules avant de finir leur cycle en grignotant à petit feu une sauterelle ou un grillon.

Les chercheurs viennent de montrer que les spasmes d'agonie du grillon et les mouvements du parasite pour s'en dégager attirent souvent des prédateurs. Non seulement le ver s'extirpe du corps de l'insecte, mais en plus il parvient souvent à se faufiler hors de la grenouille ou du poisson qui l'a avalé par la bouche, les narines ou même les branchies.

Le paralysé

Dévoré vivant par une guêpe

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Très répandu autour de la Méditerranée, le redoutable sphex gryllivore se raréfie vers le Nord. En Suisse, il n'a été observé qu'au Tessin, en Val ais et près de Genève. / © Horst Beutler

Grillons, tous aux abris ! Une belle guêpe solitaire noire et rouge vole en rase-mottes à votre recherche. Quand il trouve une larve de grillon ou parfois de sauterelle, le sphex gryllivore se précipite sur elle. Tout en la tenant solidement, il lui administre avec son dard trois piqûres paralysantes au cou, au thorax et à l'abdomen.

Le malheureux insecte est encore bien vivant mais ne peut plus fuir son ennemi, qui l'emporte en vol ou le traîne par terre jusqu'à son nid souterrain. Une fois qu'il a réuni suffisamment de viande fraîche, en général trois ou quatre grillons, le sphex gryllivore pond un œuf sur l'un d'eux, bouche le trou et recommence ailleurs.

Cet œuf est une bombe à retardement. La larve qui en éclot au bout de trois ou quatre jours s'enfonce immédiatement dans le grillon le plus proche. En une semaine, elle le dévore de l'intérieur en le maintenant vivant jusqu'à la fin, puis s'attaque aux autres. Quand enfin le carnage est terminé, la future guêpe s'emballe dans un cocon de soie dont elle ne sortira que dix mois plus tard, armée elle aussi d'un redoutable aiguillon empoisonné.

Le torturé

Empalé par un oiseau

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Les pies-grièches empaleuses d'insectes sont friandes de grillons hautement nutritifs. Ici la pie-grièche à poitrine rose devenue hélas extrêmement rare. / © Biosphoto / Berndt Fischer

Parmi les nombreux oiseaux insectivores susceptibles de croquer des grillons, les pies-grièches font preuve d'un raffinement particulier. Elles embrochent souvent leurs proies sur des épines de prunelliers ou des fils de fer barbelés. Ces provisions de nourriture leur permettent de supporter sans souci quelques jours de froid ou de pluie.

Même en hiver, quand il ne fait pas trop froid, la pie-grièche grise profite parfois de l'activité des larves de grillons. Il arrive qu'elle en capture des trentaines en quelques heures sur un petit coin d'herbe.

Tropical express

Baroudeurs

En 1969, une nuée de Gryllus bimaculatus s'envole de la côte sénégalaise. Certains individus sont retrouvés vivants en pleine mer sur le pont de cargos. De tels essaimages expliquent la présence de cet insecte aux Canaries, à Madère ou dans les Açores.

Médaillés

Une courtilière pygmée d'Afrique du Sud détient le record du monde du saut en longueur: elle peut faire des bonds d'un mètre quarante de long, soit 250 fois sa propre taille. A l'échelle humaine, cela représente un saut de près de 500 mètres.

Olympiques

La même courtilière, quand elle tombe accidentellement à la surface de l'eau, prend appui sur les poils hydrofuges qui tapissent ses pattes arrière et parvient à se catapulter à 10 cm de haut. Parfois, ça la sauve!

Tapageurs

En Afrique, Brachytrupes membranaceus chante extrêmement fort dans un terrier qui peut atteindre 2 mètres de profondeur. S'il y en a un dans un village, les gens n'ont qu'une obsession: le tuer pour pouvoir enfin dormir.

Vampiriques

En Amérique, la femelle d' Allonemobius socius ronge une épine du tibia du mâle pendant l'accouplement. Ce faisant, elle en profite pour se nourrir en pompant environ 10% de l'hémolymphe de son partenaire.

Polychromes

Certains grillons tropicaux ont des couleurs dingues. Le tanzanien Rhicnogryllus a la tête turquoise, les antennes ocre, les yeux rouge vif et le reste du corps bleu et jaune.

Ultrasonores

De nombreux grillons forestiers asiatiques émettent leurs chants dans des fréquences extrêmement élevées, qui dépassent largement le seuil de perception de l'oreille humaine. Ces signaux seraient la conséquence de la prédation par des vertébrés.

Thermométriques

Le rythme musical du grillon américain Oecanthus fultoni est réglé très précisément. Comptez le nombre de notes durant 15 secondes, ajoutez 39 et vous obtiendrez précisément la température ambiante en °F.

Aphones

Teleogryllus oceanicus est largement répandu en Océanie... mais à Hawaii, seuls 10% des mâles prennent le risque de striduler. Sur cette île, une redoutable mouche parasite les repère en effet à l'oreille. De l'œuf qu'elle pond sur leur dos naît une larve qui dévore vivants les imprudents solistes.

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Couverture de La Salamandre n°216

Cet article est extrait de la Revue Salamandre

n° 216  Juin - Juillet 2013, article initialement paru sous le titre "Une famille formidable"
Catégorie

Biodiversité

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