La pie bavarde fuit dans les villes
Quand elle est pourchassée avec acharnement, la pie disparaît des campagnes sans jaser. Pour se protéger de l’homme, cette opportuniste trouve paradoxalement refuge en ville.
Quand elle est pourchassée avec acharnement, la pie disparaît des campagnes sans jaser. Pour se protéger de l’homme, cette opportuniste trouve paradoxalement refuge en ville.
Mi-décembre, l’hiver se prépare. Une bise glaciale laboure la campagne monochrome et s’engouffre à travers les haies dépouillées. Portés par de courtes ailes papillonnantes, sept oiseaux survolent les champs en file indienne. Les coups de vent bousculent la procession qui vacille comme un bateau à la merci d’une mer démontée, puis se rabat dans un taillis. Queue de perruche démesurément longue, frac noir et blanc, l’élégance est de mise dans cette coquette équipée. Le bruit aussi : par leurs jacassements incessants, les pies bavardes se font remarquer.
Exode rural
Qu’on l’aime ou pas, l’agasse est toujours là, fidèlement posée sur une cheminée ou la cime d’un arbre. Son caractère bagarreur, son attitude démonstrative et son air rusé font de la pie l’un des animaux sauvages les plus familiers… et impopulaires. Oiseau commun et banal par excellence, elle habite les plaines agricoles, les pâturages, les bocages, les cimetières et les jardins. Mais elle évite la haute montagne et les forêts denses. On entend souvent dire qu’« il y a trop de pies ». Impression ou réalité ? En Suisse, ce corvidé se porte à merveille tant à la campagne que près des villes et des villages. Depuis 1990, ses effectifs ont plus que doublé. En France, son évolution démographique suit une tendance inverse. « Depuis 1989, les effectifs ont chuté de 62 % à l’échelle nationale », s’alarme François Chiron, chercheur à l’Université Paris Saclay. C’est l’un des résultats les plus inattendus du Suivi temporel des oiseaux communs (STOC).
Le déclin de la pie s’explique par plusieurs facteurs. L’intensification de l’agriculture, l’arrachage des haies champêtres et le cocktail de pesticides aspergés sur les champs ont leur part de responsabilité. « Le piégeage et le tir lui donnent le coup de grâce », dénonce François Chiron. « En 2000 par exemple, au moins 223 000 pies ont été tirées en France, auxquelles on peut rajouter quelque 179 000 individus piégés. » Ce sont surtout des adultes au comportement territorial qui se laissent capturer. Cela provoque un rajeunissement progressif de la population. Inexpérimentées, les pies survivantes se reproduisent avec moins de succès. Dans certaines régions où le piégeage est important, l’espèce est menacée.
Fidélité fumeuse
La pie bavarde est monogame : mâle et femelle restent ensemble toute l’année et pendant plusieurs saisons de reproduction. Mais des accouplements extraconjugaux ont parfois lieu. Certains couples divorcent aussi, par exemple après une nidification ratée ou s’ils trouvent un partenaire avec un meilleur territoire.
Toilette à domicile
Effrontée, l’agasse picore parfois les parasites directement sur le dos des moutons ou des vaches. Le bétail semble la tolérer, comme s’il était conscient des bienfaits de ce soin à domicile.
L’effondrement généralisé de Pica pica, spécialement marqué en milieu agricole, est légèrement contrebalancé par sa colonisation des milieux urbains. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, la pie qui disparaît des campagnes françaises s’adapte à la ville. Là où il y a plus d’hommes, il y a davantage à manger. « Grâce à son opportunisme alimentaire, elle a pu s’établir dans les grandes agglomérations comme Paris, dès la fin des années 1970 », note François Chiron. Le corvidé bicolore y a appris à fouiller les poubelles et à se servir dans les gamelles des chiens ou des chats. Dans les parcs et les allées arborées où elle n’est pas chassée, la pie se porte à merveille.
Barbaries contemporaines
Pour survivre, la bavarde a bien raison de se méfier. Au XIXe siècle, l’homme classa les animaux sauvages en utiles à ses activités économiques ou en nuisibles. Depuis cette époque, elle figure sur la liste macabre des ennemis à abattre, au même titre que 17 autres espèces. Même si ce concept anthropocentrique est dépassé, il reste en vigueur dans la loi française qui s’y réfère toujours pour autoriser le massacre de l’oiseau.
Que lui reproche-t-on aujourd’hui ? Officiellement de provoquer des dommages importants dans les cultures maraîchères, les vergers et de chasser le petit gibier. « Aucune étude scientifique n’a permis d’estimer l’impact réel de ce corvidé sur les plantations », déplore François Chiron. Et même si la pie capture occasionnellement un perdreau ou un caneton, le chasseur la perçoit comme une concurrente redoutable. « Un tel procès n’est pas justifié. »
Hélas, les dommages supposés continuent de légitimer la régulation scandaleuse de la pie dans presque tout le pays, malgré l’avis des scientifiques. Un signe que les préjugés d’antan sont encore profondément ancrés dans les esprits et dans la loi. A nous de changer les choses !
Piège à pie
Totalement légal, le piégeage est pratiqué par des piégeurs agréés dans une grande partie des départements français. Il consiste à attirer les agasses dans une cage compartimentée à l’aide d’une pie captive baptisée appelant.
Le peintre naturaliste Denis Clavreul dévoile les coulisses de ses planches sur la pie.
Les explications de François Chiron, écologue spécialiste de la pie, sur la vie citadine de la pie.
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Cet article est extrait de la Revue Salamandre
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