Ils font la guerre à une colombe !
Qu’elle est gracieuse et fragile la tourterelle des bois ! Comment peut-on encore vouloir l'abattre ?
Qu’elle est gracieuse et fragile la tourterelle des bois ! Comment peut-on encore vouloir l'abattre ?
Août écrase la campagne à coups de 30 °C. Côté musique, le chant suraigu des grandes sauterelles vertes fend le silence avec rythme. Côté couleurs, les fleurs rosées des liserons enchevêtrés rivalisent avec le jaune sécheresse omniprésent. Tout est grillé, l’herbe comme la forêt. L’automne arrive à grands pas et, avec lui, peut-être enfin la pluie. En attendant, les heures de soleil se réduisent et concèdent chaque jour un peu plus de répit. Sur les lignes électriques qui sillonnent le vallon champêtre, de nombreux oiseaux sont rassemblés. Je note 200 étourneaux, 8 bruants jaunes, 3 faucons crécerelles… et une poignée de tourterelles. Avec stupeur, je réalise soudain qu’il s’agit seulement de ma troisième observation de tourterelle des bois cette année. La première était une migratrice précoce affrontant la bise le 18 avril, la deuxième, un chanteur timide dans une forêt riveraine le 23 mai. Le doux et lancinant roucoulement de cet oiseau a de tout temps bercé le début de l’été, pourquoi fait-il désormais chaque année davantage place au silence ?
Des bois… mais pas que
Contrairement à sa cousine turque qui vit près des humains, la tourterelle des bois est une campagnarde typique. Des taillis aux bois riverains en passant par les haies et la garrigue, cet oiseau discret recherche un paysage diversifié où arbres et milieux ouverts dessinent une riche mosaïque. Ce proche parent des pigeons affectionne le soleil et la douceur des plaines. Il évite la montagne, sauf ponctuellement à la faveur d’un microclimat. Neuf couples sur dix vivent ainsi en dessous de 700 m d’altitude.
Ces quelques tourterelles que j’admire à travers ma longue-vue vont bientôt prendre la route du Sahel, une région arborée jouxtant le sud du Sahara vital pour tant d’oiseaux européens : milan noir, hirondelle, rougequeue à front blanc… Mais, avant d’atteindre le Sénégal ou la Gambie, les courageuses ont des centaines de milliers de fusils à éviter ! En fait, cela fait des décennies que la communauté scientifique et les ONG s’alarment du sort de la tourterelle des bois. Les choses ont-elles évolué ? Je décide d’en savoir plus.
Joint par téléphone, Hervé Lormée confirme : « La tourterelle des bois est l’un des oiseaux qui a le plus décliné en Europe. On estime que sa population a chuté de 80 % en près de quarante ans. » Le biologiste coordonne l’équipe colombidés de l’Office français de la biodiversité. Son propos me glace et mes lectures n’arrangent rien. L’espèce est au bord de l’extinction outre-Manche où les chiffres donnent le tournis : - 93 % depuis 1970 !
Si tous les voyants sont au rouge, tirer sur la tourterelle des bois n’est-il pas une évidente aberration ? Je me remémore les difficultés avec lesquelles l’Etat français a mis fin à la tolérance du braconnage printanier dans le Sud-Ouest, il y a quinze ans. Faire bouger les lignes est long et laborieux pour les défenseurs de la nature.
Hervé Lormée précise la situation : « Une dizaine de pays européens peuvent encore chasser l’espèce. L’Espagne ne s’en prive pas avec un tableau annuel de 800 000 tourterelles. En Italie, c’est environ 300 000. En revanche, la Suisse ne chasse pas cette espèce. » Et la France ? Les bilans évoquent 90 000 oiseaux par an jusqu’en 2014, mais une gestion dite adaptative a été mise en place en 2019. En clair, si les effectifs de l’espèce baissent, on en tire moins, si ceux-ci croissent suffisamment, des tableaux plus importants peuvent être autorisés. Un principe inspiré de la chasse aux oiseaux d’eau en Amérique du Nord.
Au vu des chiffres effarants, incontestables et incontestés concernant cette tourterelle, quelque chose m’échappe. Le biologiste me rassure dans un premier temps : « Les experts du comité de gestion adaptative ont estimé que l’état de santé de la tourterelle des bois au niveau européen justifiait un quota de tir à zéro en France. » Ah ! cela semble tellement évident. « Mais il a été convenu, poursuit-il, qu’au vu des efforts consentis par les chasseurs pour la conservation du bocage, la plantation de haies et l’entretien de chaumes, un compromis devait être recherché pour satisfaire toutes les parties. » Verdict : le quota français a été fixé à 18 000 individus pour la saison de chasse 2019-2020. Douche froide. C’est cinq fois moins qu’avant, diront les optimistes. C’est toujours trop et désespérant, penseront tous ceux qui connaissent le sens du mot urgence.
Escales vitales
Grâce à des bagues numérotées et à des balises miniatures, des chercheurs ont pu suivre les périples du seul colombidé migrateur transsaharien. Mali, Niger, Mauritanie, Guinée ou Burkina Faso abritent les principales zones d’hivernage des tourterelles des bois de nos régions. Les oiseaux ne sont pas fixes en hiver et peuvent visiter différentes régions sahéliennes, parfois distantes de plusieurs centaines de kilomètres. Le voyage aller-retour depuis l’Europe dessine une grande boucle. Après la traversée éprouvante du Sahara au printemps, les oiseaux épuisés reconstituent leurs réserves en faisant halte quelques semaines, généralement dans le nord du Maroc et de l’Algérie.
Je n’ose même pas demander pourquoi 18 000. Quelle formule mathématique ou diplomatique a permis d’aboutir à ce chiffre ? Et puis, comment évaluer combien d’entre elles sont réellement abattues ? Grâce à une autodéclaration via une appli mobile, si j’en crois les sources officielles.
Cousine innocente
L’expansion extraordinaire de la tourterelle turque en Europe au cours du XXe siècle aurait-elle nui à la tourterelle des bois ? Sédentaire, capable de se reproduire plusieurs fois par an, de taille supérieure et plus agressive pour défendre son territoire, la cousine de l’Est aurait de sérieux atouts pour concurrencer sa proche parente. Dans de rares régions où les deux espèces cohabitent, la commensale augmente en même temps que la forestière régresse. Localement, il peut y avoir compétition autour d’une source de nourriture agricole. Mais à ce jour, aucune étude n’a démontré un lien étroit entre ces deux destins radicalement opposés.
Oublierait-on totalement le principe de précaution dans cette affaire ? Alors que les scientifiques peinent à hiérarchiser les causes de cette catastrophe, quelques entêtés tirent sur l’ambulance. Surtout, les maux identifiés sont loin d’être résorbés : les millions de kilomètres de haies disparus en Europe n’ont pas ressuscité, la rudesse de l’agriculture intensive pour l’avifaune ne faiblit pas, l’impact de la chasse qui se pratique en Afrique reste méconnu, les conditions d’hivernage au Sahel, parfois sévères, deviennent très hasardeuses dans le contexte du changement climatique…
Bref, persister à faire la guerre à cette colombe en danger n’a aucun sens. Chasseurs de tous horizons, ayez le courage de baisser le fusil !
Du plomb dans l’aile
Les reprises de bagues analysées par la Station ornithologique suisse montrent que les chasseurs espagnols et français tuent surtout des oiseaux de France et du Royaume-Uni. En Italie, les fusils font tomber des oiseaux essentiellement italiens. En Grèce, l’origine des tourterelles abattues est plus centrale – République tchèque, Allemagne par exemple. Au total, les chasseurs de dix pays de l’UE tueraient entre 1,5 et 2,3 millions d’individus chaque année, soit l’équivalent d’une tourterelle européenne sur six ou 3 000 fois les effectifs nichant en Suisse !
Apprenez-en plus sur la tourterelle des bois dans notre livre de référence Le comportement des oiseaux d'Europe.
Un ouvrage unique et le plus complet à ce jour, pour tous les amoureux des oiseaux. 576 pages pour découvrir les techniques de vol, les stratégies de chasse, les parades nuptiales et autres comportements de 427 espèces. Magnifiquement illustré avec plus de 1800 dessins.
Cet article est extrait de la Revue Salamandre
Catégorie
Ces produits pourraient vous intéresser
Poursuivez votre découverte
La Salamandre, c’est des revues pour toute la famille
Plongez au coeur d'une nature insolite près de chez vous
Donnez envie aux enfants d'explorer et de protéger la nature
Faites découvrir aux petits la nature de manière ludique
merci de ne pas les utiliser sans l'accord de l'auteur