A la recherche de l’hermine à Genève
Suivez les tribulations d’une étudiante genevoise sur la piste d’une frêle ambassadrice des haies et des bosquets, l'hermine.
Suivez les tribulations d’une étudiante genevoise sur la piste d’une frêle ambassadrice des haies et des bosquets, l'hermine.
La première pluie du mois de juin s’arrête à l’instant où je retrouve Sophie Komaromi au bord d’un chemin agricole, à quelques kilomètres du centre-ville de Genève. Etudiante de master en sciences de l’environnement, cette jeune chercheuse s’intéresse à la connectivité des milieux naturels dans le canton. « Concrètement, ça signifie déterminer si le paysage de la région est favorable aux déplacements des animaux ou pas. » Un enjeu de taille dans une région où plus de 40 % du territoire est accaparé par les habitats et infrastructures humaines ! Pour mesurer cette fameuse connectivité, elle a choisi l’hermine comme indicatrice. C’est que le petit mustélidé est des plus exigeants lorsqu’il s’agit d’arpenter la campagne. Ses routes à lui, ce sont les haies, cordons boisés ou lisières forestières en bon état. Impossible de s’installer dans un territoire qui en serait dépourvu. Or, ces véritables voies vertes sont aussi très recherchées par d’innombrables oiseaux, insectes ou petits mammifères. « Si l’hermine est présente dans une zone, on peut en déduire que les corridors écologiques sont assez représentés et de bonne qualité pour permettre le déplacement de nombreuses autres espèces », conclut la scientifique. Reste une question : comment repérer la présence de ce carnivore de poche ?
Pièges pacifiques
Après quelques minutes de marche entre vignobles et blés, Sophie s’accroupit devant une haie touffue. Cachée entre les branches d’un cornouiller se trouve une longue boîte en bois, ouverte aux deux extrémités : un piège à empreintes. C’est avec ce genre de dispositif que l’étudiante compte déterminer les lieux de passage de l’hermine. Elle en retire une planche et l’examine avec attention. «* Le principe est tout bête : un tampon imbibé d’encre au milieu et une feuille enduite de produit révélateur de chaque côté. En traversant le tunnel, les animaux marchent sur l’un, puis sur l’autre et laissent des traces indélébiles permettant de les *identifier. » Sur le papier beige, une myriade de traces bleues prouve que la boîte a été visitée. Elles sont minuscules ! On y distingue à peine une pelote centrale et quatre ou cinq petits doigts : probablement des campagnols ou des mulots. Pas d’hermine cette fois-ci. L’étudiante remplace les feuilles maculées par des neuves, vérifie qu’il reste assez d’encre dans le tampon, puis remet soigneusement le piège à sa place. Et c’est parti pour le prochain !
Question de timing
Pour poser un piège à empreintes, le lieu compte, mais le moment aussi. En juin, les femelles se déplacent énormément dans un tout petit secteur, où elles chassent avec frénésie pour nourrir leurs petits. Mieux vaut donc des pièges assez rapprochés pour s’assurer qu’au moins l’un d’entre eux se trouve dans une aire fréquentée. Au contraire, à cette époque la plupart des mâles se lancent dans des voyages exploratoires bien au-delà de leur territoire habituel afin de rencontrer le plus de partenaires possible avec qui s’accoupler. Pour eux, des boîtes plus espacées permettent de couvrir une zone plus large.
Pas vue pas prise
En tout, ce sont 40 boîtes à traces que Sophie a dispersées dans une zone d’environ 23 km2. « Je me suis basée sur une carte de l’occupation des sols pour repérer les lieux théoriquement favorables à l’hermine. On les appelle les zones cœur. Elles correspondent aux surfaces de prairies de 2 ha ou plus, bordées d’au moins une haie, de buissons ou d’une lisière. » Comme pour illustrer ses propos, la chercheuse s’arrête devant un alignement d’arbustes. Nouveau piège, nouvelle inspection. Hélas, toujours aucune trace du mammifère convoité. Nous poursuivons les relevés, mais la tendance se confirme. « Pour l’instant, j’ai trouvé des empreintes de rongeurs, de fouine, de hérisson... mais pas de celle que je cherche », regrette l’étudiante. Pourtant, des observations ponctuelles signalées par des naturalistes locaux prouvent que des hermines sont bel et bien présentes dans la région. Décidément, c’est un vrai fantôme !
Encore quelques contrôles supplémentaires et il est déjà l’heure de nous séparer. Nous reparlerons de l’avancée de son travail dans quelques mois, en espérant que la chance lui aura souri d’ici là. Octobre pointe le bout de son nez quand je reprends contact avec Sophie. Alors, a-t-elle réussi à récolter les empreintes attendues ? « Toujours pas », soupire-t-elle. Aïe… peut-être que l’animal se méfie des tunnels à traces ? Ou alors la chercheuse est-elle tombée sur une année sans hermine ou presque ? Les effectifs du discret mustélidé fluctuent en effet d’année en année, en fonction de l’abondance de leurs proies, ce qui complique le travail des scientifiques qui veulent l’étudier.
Face aux aléas de la recherche, l’étudiante a décidé de changer de méthode. Aux grands maux, les grands remèdes ! Elle s’appuie désormais sur la modélisation cartographique à grande échelle pour prédire les déplacements du petit mammifère.
Parfum clivant
L’odeur humaine dissuaderait-elle les hermines de s’approcher des pièges ? Dans le cadre d’une étude menée en 2020, on a présenté à une série de mustélidés des tubes préalablement astiqués avec un tee-shirt imprégné. Certains s’y sont frottés assidûment, alors que d’autres s’en sont tenus éloignés. Explication probable : les premiers étaient des individus dominants, habitués à couvrir toute odeur forte par la leur. Les seconds étaient des subalternes pour qui ce parfum a été perçu comme une menace.
Jeu de cartes
« Je suis en train de créer une méthode pour déterminer les endroits où les déplacements de l’hermine sont bloqués ou compliqués par les aménagements humains, précise Sophie. C’est un gros boulot en plusieurs étapes. » La jeune chercheuse a commencé par cartographier les zones cœurs favorables et les couloirs encore théoriquement franchissables par l’hermine. « Si deux zones cœur sont éloignées de moins de 2 km et qu’aucun lac, grand cours d’eau ou autoroute ne les sépare, elle est censée pouvoir voyager de l’une à l’autre. » Sauf que le Rhône et le Léman ne sont pas les seuls obstacles pouvant entraver le mustélidé voyageur. Pour lui, un parking de supermarché est tout aussi infranchissable ! C’est justement là-dessus que travaille l’étudiante en ce moment. « Je cartographie les corridors potentiels en fonction du milieu. Cela permettra de visualiser les zones faciles ou difficiles à franchir pour l’hermine. » Une fois les points de blocage connus, des mesures concrètes suivront.
Des hauts et des bas
Compter sur les rongeurs pour se nourrir n’est pas sans risque. Certaines années – par exemple quand les faines ou les glands sont abondants – leurs effectifs explosent. Grâce à cette profusion de proies, les femelles hermines n’ont pas de mal à élever une famille nombreuse. Hélas, les cohortes de mulots ou de campagnols disparaissent presque aussi vite qu’elles étaient apparues, après avoir épuisé toute la nourriture disponible. La plupart des chasseresses ne survivent pas à cette pénurie. En quelques mois, leur nombre peut être divisé par plus de quatre.
De la théorie à la pratique
Cette méthode indirecte a permis à Sophie d’élargir sa zone de recherche à l’ensemble du canton, ce qui aurait demandé une quantité de pièges pharaonique. Mais cette approche n’est pas sans défaut, et la jeune femme est la première à le souligner. « Aussi précises soient-elles, les modélisations informatiques restent assez théoriques. L’idéal serait qu’un programme de piégeage soit mené après coup pour vérifier si les modèles sont fidèles à la réalité. »
En attendant, Sophie a l’intention de s’engager concrètement pour faciliter les déplacements de l’hermine. Pour cela, elle prépare une liste de mesures à mettre en place. « Planter une haie, installer des tas de bois mort ou laisser un champ en jachère, ça peut suffire si c’est fait au bon endroit, assure-t-elle. Je vais transmettre des propositions concrètes aux responsables des réseaux agri-environnementaux locaux. » Un partenariat au poil, puisque ces programmes ont justement pour but la prise en compte de la biodiversité dans l’aménagement des espaces agricoles. « Il reste encore du travail avant d’en arriver là, constate l’étudiante. Mais, à terme, j’espère un impact réellement positif, et pas seulement pour l’hermine. » Hérisson, lézard agile, crapaud commun, pie-grièche écorcheur… des dizaines d’autres espèces sauvages bénéficieront de ces aménagements bien choisis.
Haie d’honneur
Entre 2001 et 2004, un suivi des hermines a été mené au Val-de-Ruz, dans les montagnes neuchâteloises. Objectif : déterminer l’importance des différents milieux pour cet animal. Dans ce paysage dominé par les champs et les prairies, près d’un quart des observations a été réalisé à moins de 20 m d’une haie. De plus, le suivi par collier émetteur de 13 individus a montré un fort attrait pour des tas de pierres, bosquets de buissons et points d’eau installés spécialement pour la petite faune. Des aménagements à multiplier !
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Cet article est extrait de la Revue Salamandre
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