Admirez les forêts qui se colorent
C'est le moment d'admirer les forêts qui rougissent. Le hêtre s'enflamme pour le plaisir des yeux aux côtés des sombres sapins.
C'est le moment d'admirer les forêts qui rougissent. Le hêtre s'enflamme pour le plaisir des yeux aux côtés des sombres sapins.
Au pied de son arbre, Jacques Rime a peint mois après mois les métamorphoses des feuilles, au début encore vertes et dorées, puis de plus en plus brunes, grignotées et ratatinées… Pendant ce temps, il a aussi tendu l’oreille. Et voici l’histoire que son arbre lui a racontée :
Octobre. Il fait beau, il fait chaud. Tout au bout de la branche d’un hêtre, un fruit se détache et tombe. Il traverse la grande canopée, se cogne à des branches, ricoche contre le tronc de l'arbre et termine sa chute par quelques bonds sur le sol de la forêt.
Bien protégée dans une carapace dure et hérissée de piquants, la faîne attend. La sécheresse et l’humidité travaillent peu à peu l’enveloppe qui ouvre ses quatre pétales. Un jour, la graine du foyard glisse de son cocon velouté parmi les feuilles mortes. Un écureuil, un mulot, une souris pourraient passer et la grignoter. Un pinson, un verdier, un geai, une corneille pourraient l’avaler, quelque insecte la dévorer. Le vent la chahute un peu, l’eau de pluie l’emporte ici ou là, encore un bout de chemin entre les pelotes d’un renard et la graine de hêtre tombe finalement dans un petit trou.
Le trou se ferme, la semence est dans la nuit, dans la paix, dans le silence de la terre. Alors, il se passe là-dessous quelque chose de merveilleux, de miraculeux: la graine gonfle, une force mystérieuse déchire son enveloppe. La plantule accroche ses premières racines à la terre, sort de son cocon, pousse, pousse lentement vers le haut, cherche la lumière, soulève quelques feuilles mortes, trouve l’air, la chaleur du soleil et ouvre enfin ses premiers bourgeons. Un petit foyard est né.
Minuscule, il est offert aux dévoreurs de plantes, cerfs, chevreuils, lièvres ou bisons pourquoi pas. Tous rôdent par là, cherchant de quoi ronger, de quoi ruminer. Il faut beaucoup, beaucoup de chance pour échapper à leurs dents. Beaucoup de temps, beaucoup de patience, pousser, croître, grandir… ajouter chaque année un cerne à son tronc, échelonner de nouvelles branches, prendre le soleil. Il faut étendre ses racines sous le sol, chercher l’eau et les minéraux, laisser circuler sa sève de la terre au ciel, du ciel à la terre.
L’arbre grandit, il monte haut, toujours plus haut, couvre de mousse son tronc, ses racines et ses branches, garnit son écorce de lichens, la constelle de taches blanches, d’éclaboussures grises, de mouchetures bleues. Le voilà haut dans le ciel, majestueux, royal, déployant sa vaste couronne tout près des nuages, tout près des étoiles. Tout autour de lui s’étend la forêt par collines, par vagues infinies. Des sycomores velus, des immenses chênes, des tilleuls, des frênes, des charmes, des trembles, des bouleaux, des sapins, tout le peuple des grands arbres.
Magnifique, solennel, le grand arbre vit là avec ses frères. Il connaît le bourdonnement des abeilles, le vol lourd du bourdon, la danse des moucherons dans le soleil du soir. Il connaît les jeux de l’écureuil sur son tronc, les terribles poursuites de la martre, le repos de la chouette contre son écorce. Il sait le nid de la grive dans la fourche d’une branche, le poste d’affût du sévère autour des palombes.
Il sait ces printemps joyeux, ces chants d’oiseaux qui résonnent partout, saluant le lever du soleil, les nuées soufrées de pollen qui passent sur la forêt. Il sait ces étés brûlants, quand l’air tremble, quand se répandent des odeurs de miel et de fleurs, quand le chevreuil vient ruminer et s’endormir au frais, entre ses grosses racines. Et les automnes qui allument des feux de toutes les couleurs sur la forêt, les appels en trompette des grues qui descendent vers le sud, le brame des cerfs devenus fous, les premiers gels, les premiers flocons. Et ces nuits d’hiver glacées, les appels amoureux du renard, le chant du loup, un frôlement de lynx contre son pied. Il apprend les orages, la pluie bienfaisante, la foudre qui tombe tout près, la grêle qui hache, la tempête qui abat ses frères.
Et passent des lunes et des lunes, des saisons et des saisons. Viennent des naissances, des vies, des morts par milliers… par milliards tout autour de lui, moustiques, ours, escargots, crapauds, hommes et tous les autres… Combien de fois a-t-il vu le soleil se lever, se coucher ? Combien de fois la Grande Ourse, le Lion, le Taureau ont-ils tourné au-dessus de sa tête ? Combien de fois Vénus a-t-elle scintillé à travers ses branches ? Combien de fois Jupiter a-t-il promené ses lunes à travers ses ramures ?
Revient un été trop sec, trop cuisant. Reviennent les grands orages, la foudre, la grêle qui ébranlent le géant. Ses premières branches sèches tombent. Des charançons viennent creuser leurs galeries capricieuses sous son écorce. Le sirex pond ses œufs dans son aubier. Des fourmis forent leurs tunnels jusque dans son cœur. Des milliers de mâchoires et de mandibules scient, rongent, percent, découpent… Les pics creusent son tronc à grands coups de bec pour sucer larves et fourmis. A son pied gisent des écorces tombées, de grands copeaux roux et dorés. A travers toutes ces plaies, les pluies d’automne le gorgent d’eau. Les gels le fendent, le fissurent. Finalement, un soir d’hiver, une terrible tempête casse le colosse qui tombe dans la neige avec un grand bruit mou.
Debout, il ne reste plus qu’un totem d’Indiens avec quelques moignons de branches dressé vers le ciel. Les saisons et les bêtes le modèlent, le sculptent à leur guise : visages, gros yeux, chapeau de mousse, boutons de champignons… Un blaireau vient fouiller à son pied pour chercher quelques larves et lombrics.
Petit à petit, tout s’effrite, tout dégringole. Un dernier bout d’écorce tombe, une dernière branche se casse et le tronc vermoulu de l'arbre s’effondre.
Le grand hêtre est mort d’une belle mort naturelle. Dans sa tombe, sous la mousse, dans la nuit, la paix et le silence de la terre, voici un nouveau miracle. Venue d’on ne sait où, une précieuse petite graine s’apprête à percer sa coquille…
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Cet article est extrait de la Revue Salamandre
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