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Le loup parmi nous
Et si un loup arrivait à Paris ?
Non, ceci n'est pas une histoire de Petit Chaperon rouge, mais une anticipation inspirée de faits réels. Quand et comment un premier loup a pu débarquer à Paris…
Non, ceci n'est pas une histoire de Petit Chaperon rouge, mais une anticipation inspirée de faits réels. Quand et comment un premier loup a pu débarquer à Paris…
6 décembre 2026, 19h52, XVe arrondissement, Paris, pour un face-à-face historique. Alors qu’il installait son couchage de fortune à la lisière du parc, Mazîn, un homme émacié d’une quarantaine d’années, sursauta au passage explosif d’un chat blanc et noir. « Saletés de matous » , maugréa-t-il. Mais il distingua aussitôt une ombre immobile plantée au milieu des détritus à contre-jour d’un lampadaire. Une silhouette haute, sans tête ni queue, perchée sur de longues pattes et dont il ne sut dire si elle lui faisait face ou si au contraire elle lui tournait le dos. Après quelques secondes, ses pupilles intriguées corrigèrent le contraste de la scène. L’homme distingua une tête. Une tête canine surmontée d’oreilles triangulaires assez courtes, une tête soulignée d’une écharpe pâle et d’un museau noir, une tête que des favoris arrondissaient d’une façon imperceptiblement rassurante. Au centre de cette face fantomatique, deux yeux perçants s'allumèrent progressivement. Et Mazîn se sentit dévisagé de manière troublante.
Le tête-à-tête s’acheva lorsque, d’un bond de côté, l’animal s’évapora dans l’obscurité. Mazîn resta immobile plus d’une minute, frissonnant malgré l’atmosphère douce et moite devenue étonnamment habituelle en début d'hiver. Des chiens, il en avait croisé des dizaines, peut-être même des centaines durant sa longue migration qui l’avait mené des rives de l’Euphrate à celles de la Seine. Il en rencontrait encore presque chaque nuit dans le cœur de ce labyrinthe urbain. Mais ce chien-là était différent. C’était un chien à la fois sauvage et familier dont le regard l’avait profondément touché. Il avait cru lire dans ses yeux jaunes cernés de noir un destin sinon semblable, tout au moins étrangement proche du sien. Une errance sans fin dans une société hostile dans laquelle il valait mieux vivre caché et la tête basse.
Ce 6 décembre 2026 à 19h52, un homme venait pour la première fois d'apercevoir un loup dans Paris. Plus exactement Orient, un mâle oméga.
Six ans plus tôt, le 2 octobre 2020 dans le Canton des Grisons tout à l’est de la Suisse. Le vent du départ souffle pour une jeune louve. Calanda, une femelle delta était de plus en plus stressée lorsqu’elle devait approcher ses parents. Sa mère dominante était devenue hargneuse au moment de partager les proies tuées par le clan. Elle l’était encore plus lorsque le mâle alpha s’intéressait de trop près à sa fille. Le couple régnait avec autorité sur le massif du Calanda, un territoire giboyeux occupé par les loups depuis au moins 2012.
Chaque jour un peu plus, les humains investissaient la montagne armés de leurs chiens hurlants et de leurs fusils pétaradants. Et puis les premières neiges avaient poudré les sommets avant-hier soir… Autant de signes qui laissaient présager des semaines éprouvantes pour la survie du groupe. Il devenait toujours plus urgent d'apprendre à chasser aux quatre louveteaux de l’année.
A 18h12 précises, un crépuscule violacé parut hypnotiser la louve assise légèrement à l’écart du groupe. Impossible de deviner ce qui la motiva, mais au premier hululement d’une chouette hulotte, Calanda s’élança dans un trot décidé. Elle ne se retourna même pas quand retentirent quelques minutes plus tard les hurlements de sa famille. [Elle venait de quitter la meute et son lieu de rendez-vous ](/article/de-lalpha-a-lomega/ )qui l’avait vu grandir, pour un avenir inconnu.
La jeune louve déambula la nuit entière au gré du relief, plutôt vers l’ouest. A l’aube, elle avait parcouru près de quatre-vingts kilomètres. Epuisée, elle s’allongea dans un abri-sous-roche. L’animal déboussolé s’endormit en ressentant au loin l’éveil du village uranais d’Andermatt. En fin d’après-midi, Calanda reprit prudemment son chemin avec un seul objectif : se nourrir.
Ca sentait le chamois partout. Mais le prédateur esseulé ne savait pas vraiment comment aborder sa chasse. Après un kilomètre de zigzags à couvert, la louve détecta un groupe d’une vingtaine de chamois dans un alpage en lisière de forêt. Malheureusement, juste en contrebas, il y avait une bâtisse, un chien aux aboiements incessants et plusieurs petits groupes de randonneurs à droite et à gauche. Alors, cette première journée d’aventure s’acheva le ventre vide.
13 novembre 2020. Le premier marathon chaotique de la louve grisonne marque une pause dans le nord-est de la France. Calanda avait frôlé la mort à cinq reprises ces dernières semaines. D’abord au début de son escapade, lorsqu’elle évita de justesse de mourir de faim en capturant un chamois blessé au col de la Furka. Puis en franchissant l’autoroute au niveau de la commune valaisanne de Vionnaz. Ensuite en Savoie, quand elle entendit siffler une balle de carabine au ras de sa nuque et manqua pour quelques centimètres d’intégrer les statistiques de tirs de l’Etat français. Un peu plus tard, elle échappa aux mâchoires d’un chien hargneux aux abords d’une bergerie jurassienne près d’Arinthod. Et enfin, c’est encore une autoroute qui faillit mettre définitivement fin à son aventure à Clerval, dans le Doubs. Quel parcours du combattant !
La louve erratique arpentait ce matin une hêtraie-sapinière des Hautes Vosges. Déjà 691 kilomètres parcourus depuis qu’elle avait quitté son clan dans les Alpes suisses il y a moins de six petites semaines. L’essentiel de son grand voyage s’était fait à couvert, en forêt, mais parfois de bosquet en haie ou de bord de rivière en jachère. Calanda avait croisé nombre d’odeurs d’origine humaine. Quant aux effluves de chiens, elles étaient par moments omniprésentes.
Vers 11 heures, la louve s’arrêta net sur un arôme presque familier au pied d’un bloc de granit. Enfin, un autre loup ! Un jeune mâle avait marqué la vieille souche de foyard ce matin même. C’est donc cela qui l’attirait depuis des semaines ? Une rencontre au bout du long chemin ?
La nuit suivante, elle débusqua le loup solitaire sur une piste forestière. Des heures durant, ils se tournèrent autour, enchaînant jappements, mordillements, reniflements intrusifs et autres courses-poursuites. Lui comme elle avaient traversé des fleuves, des montagnes et des frontières invisibles. Il venait de Tauer, près de la limite germano-polonaise, à 80 km au sud-est de Berlin. Ses gènes orientaux portaient une tout autre histoire que la sienne d’origine italienne. Deux loups de lignées différentes venaient donc de croiser leurs chemins conquérants au milieu des tourbières vosgiennes.
Calanda et son compagnon d’outre-Rhin se cherchèrent durant tout le mois de décembre, s’abandonnant parfois quelques jours pour se retrouver de plus belle. Mais peu avant le solstice d’hiver, le mâle germanique s’aventura cinquante kilomètres au nord. Il traversa imprudemment un massif forestier densément marqué d’odeurs territoriales, indiquant la présence d’autres loups établis de longue date.
Une rencontre puis un affrontement violent avec le dominant, un mâle alpha nommé Ventron lui furent fatals. De profondes blessures au cou et à l’arrière-train l’affaiblirent dangereusement tout en l’infectant à petit feu. Jamais Calanda ne revit le jeune loup venu de l’Est.
Janvier 2021. Nouvelle étape vers l’ouest pour la jeune louve qui cherche de la compagnie. Calanda parcourut 235 kilomètres en une semaine avant d’atteindre une grande chênaie dans l’Aube, tout près de la Haute-Marne : la Forêt d’Orient. Au printemps, c’est là que l'exploratrice croisa pour la seconde fois la piste d’un mâle erratique. L’été qui suivit fut celui de toutes les expériences : chasse à deux dans un territoire riche en cerfs, chevreuils et sangliers, jeux amoureux, apprentissage de la survie au voisinage des humains… Les liens entre les deux loups étaient devenus très solides. L’hiver venu, leur conviction territoriale les motiva à expulser violemment un loup de passage. Ils étaient devenus un couple.
Les premières tentatives d’accouplements eurent lieu une nuit de grand vent à l’aube de la nouvelle année. Le mâle devint encore plus entreprenant début février… Ensuite, Calanda resta plusieurs semaines dans sa tanière ou à proximité immédiate de celle-ci. Elle avait creusé sa cache dans d’anciens terriers de blaireaux.
La louve sentait la vie éclore dans son bas-ventre. Un jour chaud d’avril, elle mit bas trois louveteaux aveugles. Pour la première fois, elle prenait la tête et la responsabilité partagée d’une meute. Elle serait désormais femelle alpha Calanda, matriarche dominante.
Trois ans plus tard, en septembre 2025, l’un des trois premiers jeunes de Calanda quitta enfin la meute, la forêt et les grands étangs. Ce mâle avait tenté un départ l’été précédent mais il avait renoncé au bout d’une dizaine de jours pour revenir rôder autour de sa meute. Cette fois-ci, comme sa mère en son temps dans les Grisons, ce loup fila vers l’ouest sans se retourner.
Sans le savoir, Orient était à son tour en train de reconquérir les terres de ses ancêtres. Son errance le mena à travers la plaine entre chaumes, rivières, villages et bois. Un soir d’hiver, poussé par la faim, il pointa son museau dans une inquiétante jungle grise. C’était comme si la nature faiblissait un peu plus à chaque pas. Elle finit même par disparaître presque totalement. Pourtant, dans ce labyrinthe peuplé de millions d’êtres humains et d’autant de rats, de chiens et de chats, l’animal sauvage passa inaperçu. Un loup venait d’entrer dans Paris.
Le retour du loup en France en quelques dates.
Ecouter une ambiance loup avec Boris Jollivet.
Retrouver tout le dossier Le loup parmi nous de la Salamandre n° 237.
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Cet article est extrait de la Revue Salamandre
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