Jeu de piste avec la fouine
Des empreintes dans la neige trahissent une visite nocturne de la fouine. Décryptons l’histoire que nous racontent les traces d’une insaisissable rôdeuse.
Des empreintes dans la neige trahissent une visite nocturne de la fouine. Décryptons l’histoire que nous racontent les traces d’une insaisissable rôdeuse.
Le jour se lève sur un décor tout neuf. Cette nuit, la neige a enveloppé forêts et prairies d’une épaisse couverture immaculée. Les premiers rayons du soleil enflamment les flancs de la colline de reflets orange et pourpre. La campagne alentour a revêtu un douillet manteau de silence. Les dernières feuilles de bouleau forment de lumineuses lettres d’or, calligraphiées à la surface de cette immense page blanche.
Dans la poudreuse toute fraîche, une conteuse a esquissé une histoire avec une série d’empreintes qui longe la maison et traverse la terrasse. C’est tout ce qui reste des aventures nocturnes de la fouine, furtive voisine. Ses traces s’éloignent entre les tiges sèches de quelques graminées fatiguées. Quel beau jeu de piste en perspective !
Traces de doigts
Chaque mammifère laisse des empreintes uniques, mais certaines sont très difficiles à différencier. Celles des mustélidés – la famille de la fouine, de l’hermine ou du blaireau – présentent cinq doigts prolongés chacun d’une griffe. Mais l’apparence de la trace peut varier fortement selon la consistance de la neige, la vitesse de déplacement de l’animal et le temps écoulé depuis son passage. Mieux vaut examiner la piste entière plutôt qu’un pas isolé, et toujours rester prudent sur son identification.
La voie s’éloigne un peu puis se brouille soudain en butant sur une congère. La bestiole s’y est enfoncée jusqu’au ventre. Apparemment, ça ne lui a pas beaucoup plu car elle s’est empressée de faire demi-tour. Ses traces sont groupées par deux, côte à côte. Quand elle se déplace en bondissant, la fouine pose ses pattes arrière exactement dans l’empreinte des pattes avant. Une bonne façon de profiter de la neige tassée par un premier appui pour prendre un nouvel élan.
Le chemin rejoint à nouveau la maison pour en longer la façade. Comme la plupart des mustélidés, l’auteure de ces traces aime suivre les éléments du paysage lors de ses déplacements. Et puis, en hiver, elle a tout à gagner à ne pas trop s’éloigner des habitations. Elle y trouve un abri contre le froid et les prédateurs ainsi qu’une alimentation abondante. D’ailleurs, le chapelet d’empreintes fait un détour sous le vieux pommier de la cour. Mais l’automne est terminé, fini les banquets de pommes fondantes et les ventrées de prunes juteuses. Après avoir consommé majoritairement des fruits durant la belle saison, la petite chasseresse va devoir se tourner vers un régime plus carnassier. Ça tombe bien, c’est justement l’époque où souris et rats se réfugient dans les murs et sous le toit. Gare à eux, elle ne leur fera aucun cadeau ! Discrète, habile, intelligente, elle traque si bien les rongeurs que les Romains l’apprivoisaient parfois pour en débarrasser leurs demeures, avant que les chats venus d’Orient ne la supplantent.
Soulagement : les traces ne s’approchent pas du poulailler. D’accord pour partager quelques œufs avec cette petite ombre, mais l’affaire peut mal tourner. Tant que les volailles restent endormies, la gourmande emporte son butin sans laisser le moindre indice de son passage. Mais il suffit qu’une couveuse s’affole pour activer chez le prédateur un instinct irrépressible : croquer tout ce qui bouge. Aucune soif de sang ni barbarie gratuite ici, simplement un réflexe de chasse et de défense qui peut hélas causer des ravages dans un enclos sans issue pour ses victimes.
Une fouine dans le moteur
Il arrive que les parties en plastique des moteurs de voitures se retrouvent lacérées ou mâchouillées par la petite prédatrice. Le phénomène est connu depuis la fin des années 1970 mais la raison de cet acharnement reste mystérieuse. Comportement de jeu ou d’exploration ? Attraction par certains composés des gaines synthétiques ? Une autre hypothèse penche pour une pratique territoriale. En se déplaçant, les véhicules peuvent transporter l’odeur d’un animal dans le domaine d’un de ses semblables. Considérés comme la preuve d’une intrusion, ces marquages pourraient provoquer des réactions agressives… et donc quelques dégâts.
Au coin du bâtiment, une vieille borne en pierre s’est retrouvée coiffée d’une crotte effilée. Amusante convergence des usages : ce repère cadastral sert également au marquage du territoire de la fouine. Des traces dans la neige et quelques excréments, voilà les seuls témoignages de sa présence depuis l’été passé. A cette époque, en revanche, nul ne pouvait ignorer son existence, ou plutôt leur existence. Adultes saisis par la folie du rut et petits de l’année pleins de fougue, le grenier a connu quelques courses-poursuites endiablées. Et puis, les jeunes se sont dispersés, les parents ont mis fin à leurs ébats et le calme est revenu.
Fil d’Ariane d’une nuit de vadrouille, la piste sautillante se dirige tout droit vers la réserve de bois de chauffage empilé contre le mur. La rôdeuse a examiné l’amoncellement sous toutes ses coutures et s’est apparemment faufilée dans ses profondeurs à plusieurs reprises. S’agit-il d’un de ses gîtes secondaires, dans lequel elle se serait accordé une petite sieste nocturne ? Dur à dire, les empreintes forment un alphabet que nul ne saurait déchiffrer avec certitude.
Une année bien remplie
En juillet-août, le rut bat son plein : cris et courses-poursuites servent de prélude à l’accouplement. Par un phénomène appelé implantation différée, les embryons ne commencent leur croissance qu’en janvier ou février, cinq à sept mois après la fécondation. En mars-avril, c’est le temps des naissances, avec en moyenne trois petits par portée. La femelle s’en occupe seule jusqu’à leur émancipation, à la fin de l’été. Les jeunes deviennent alors nomades, à la recherche d’un territoire libre où s’installer.
Une chose est sûre : la bête n’est plus là. De l’autre côté du tas de bois, le pointillé de traces longe de nouveau le crépi vieillissant. La large avancée de toit de l’ancienne ferme a empêché la neige de s’accumuler au pied du mur. Les marques se font plus légères sur la fine couche de poudre blanche, dans quelques heures, elles seront gommées par le soleil et le vent.
Tiens, voilà que le sentier disparaît au pied de l’imposante porte de bois de la grange. Un coin de madrier vermoulu a suffi à l’agile acrobate pour se faufiler dans la pénombre au parfum de foin séché. Sur la poussière qui couvre le plancher de chêne, un chemin bien net poursuit l’histoire des empreintes enneigées. Après quelques mètres, il s’enfonce entre deux bottes de paille, dans un petit tunnel façonné à force de passages répétés. Impossible de suivre le fantôme au cœur de son antre. Et tant mieux, car il serait malvenu de briser la tranquillité d’une voisine.
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Cet article est extrait de la Revue Salamandre
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