Le tichodrome fascine les ornithologues
Qu'est-ce qui rend le tichodrome tout simplement fascinant pour un scientifique ? Entretien avec l'ornithologue suisse Lionel Maumary.
Qu'est-ce qui rend le tichodrome tout simplement fascinant pour un scientifique ? Entretien avec l'ornithologue suisse Lionel Maumary.
Lionel Maumary, vous êtes considéré comme l'un des ornithologues européens les plus pointus. Comment tout cela a-t-il commencé ?
Au berceau ! (Rires) Je suis né à Bussigny, dans l'appartement de mes parents. Ce jour-là, le canari qui volait librement dans le salon s'est posé tout près de moi. Mon destin était tout tracé ! A 6 ans, j'ai apprivoisé un rougegorge et j'ai emprunté la caméra super 8 de mon papa pour faire mes premières images.
Et le tichodrome ?
Je me souviens d'un livre pour enfants qui m'avait marqué. C'était l'histoire d'un pigeon qui découvre le monde. Un jour, il se perd dans la montagne. Le seul être vivant qu'il rencontre dans la tempête, c'est un oiseau au long bec incurvé et aux ailes rouges. Bien vu ! Le tichodrome est un montagnard endurci qui peut nicher dans les Alpes jusqu'à une altitude de précisément 3450 mètres.
Qu'est-ce qui vous fascine chez cet oiseau ?
Dans la famille des mésanges, il y a de nombreuses espèces. Chez les pouillots ou les fauvettes aussi. Mais le tichodrome est un modèle complètement unique. Pour lui, on a dû créer une famille qui compte un seul genre qui a lui-même une seule espèce : Tichodroma muraria. Le tichodrome est un oiseau complètement original et extraordinairement bien adapté à des conditions de vie extrêmes. Il se nourrit et élève ses jeunes dans un milieu vertical et minéral. Entre autres contraintes, il subit des écarts de température extrêmement violents.
Votre première observation ?
C'était en octobre 1983 au Fort l'Ecluse, un défilé à l'ouest de Genève où le Rhône se faufile entre le Jura et les Alpes. J'y étais pour observer la migration d'automne des rapaces. Et c'est là que j'ai noté pour la première fois le mot tichodrome dans mon carnet d'observation. J'avais 15 ans.
Vous l'avez observé ailleurs qu'en Suisse ou en France?
Je l'ai vu dans le Tian Shan au Kazakhstan ou encore en Turquie dans les Monts Taurus. Bien sûr, il y a parfois de petites variations individuelles, mais en fait, des falaises d'Espagne jusqu'en Extrême-Orient, c'est partout comme si on retrouvait une vieille connaissance.
Le tichodrome est presque l'objet d'un culte chez les ornithologues britanniques. Comment expliquez-vous cet engouement qui pousse beaucoup d'entre eux à parcourir les Alpes à sa recherche ?
Je crois que les Anglais ont un goût certain pour l'excentrique. Or le tichodrome est un oiseau excentrique en tout ! Par sa forme, par ses ailes démesurées, par l'invraisemblable combinaison de ses teintes de camouflage et de ses ailes complètement éclatantes. Dans la faune européenne, à part peut-être le roselin cramoisi, je ne vois pas d'autre exemple d'un rouge aussi puissant. Sa vie solitaire fascine. Son monde vertical nous échappe.
La seule fois où je l'ai vu se nourrir ailleurs que sur une falaise ou sur un éboulis, c'était en forêt, dans une gorge située au-dessus de Montreux. Il prospectait l'écorce d'un arbre comme l'aurait fait un grimpereau. Mais c'est absolument exceptionnel.
Vous avez d'ailleurs failli le choisir comme sujet d'étude lors de vos années de biologie à l'Université de Lausanne .
Parfaitement ! J'avais observé à plusieurs reprises un tichodrome disparaître dans une faille de rocher et ne pas en ressortir pendant une à deux heures. Et j'avais lu dans Les passereaux de Paul Géroudet qu'il vit tellement à l'économie qu'il doit tomber fréquemment en léthargie. (Lionel Maumary ouvre le livre qu'il tenait à la main et lit) « Dolikofer a constaté que le tichodrome dort beaucoup d'un sommeil profond presque léthargique. Ceci expliquerait d'une part les absences soudaines de l'espèce pendant la journée et d'autre part son adaptation aux climats rudes des hautes altitudes. Durant les périodes de temps froid et pluvieux, pendant les tempêtes redoutables de haute montagne, l'oiseau serait capable d'attendre à l'abri dans une torpeur relative et une température réduite. » Ce « serait » au conditionnel a piqué ma curiosité. J'aurais aimé consacrer mon travail de licence à cette question, mais cela nécessitait de pouvoir faire des expériences sur au moins un individu. Vous connaissez un zoo où on peut trouver des tichodromes? Moi pas ! Alors, je me suis rabattu sur le régime alimentaire des cigognes blanches.
Votre souvenir le plus extraordinaire ?
Le tichodrome n'est pas un oiseau migrateur à proprement parler. Il se livre plutôt à des déplacements altitudinaux. Mais parfois, quand je fais des comptages d'oiseaux migrateurs dans le Jura, il m'arrive d'en voir passer un. Un jour, à l'armée, j'étais couché par terre sur le dos en train de nettoyer un Pinzgauer sur la place d'armes de Burgdorf quand j'en ai aperçu un en plein ciel !
Je l'ai aussi vu chasser sur des barrages, à l'Hongrin ou à la Grande Dixence. Mais mon observation la plus extraordinaire est peut-être tout simplement la seule fois où je l'ai tenu en main. Le 17 septembre 2008 à 11h, un tichodrome nous a fait le cadeau de se prendre dans nos filets au col de Jaman. Un cas unique en plus de 20 ans de suivi. Ah, que c'était beau ! Mon collègue Luc Henry l'a évidemment bagué avant de le relâcher. Pour l'instant, il n'y a pas encore eu de reprise de la bague
Sempach Helvetia N409414.
Lionel Maumary
L'ornithologue
- 1968 : naissance à Bussigny-près- Lausanne.
- 1991 : fonde la station de baguage des oiseaux migrateurs du col de Jaman, au-dessus de Montreux.
- 1996 : termine ses études de biologie avec un travail de diplôme sur les cigognes.
- 2001 : est à l'origine de la construction de l'Île aux oiseaux à Préverenges.
- 2007 : Publie Les Oiseaux de Suisse une véritable bible ornithologique.
- 2012 : Découvre la première nidification en Suisse du circaète Jean-le-blanc
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Cet article est extrait de la Revue Salamandre
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