© Andrea Ambrogio

Qu’est-ce que cache la barbe de l’églantier ?

Qui a façonné les bédégars, ces curieuses structures agrippées aux rosiers sauvages ? Visite guidée au fil de la haie.

Qui a façonné les bédégars, ces curieuses structures agrippées aux rosiers sauvages ? Visite guidée au fil de la haie.

La nature est en feu. L’automne déploie ses couleurs chaudes, dans une palette qui s’étend du jaune réconfortant au rouge écarlate, en passant par les tons terreux du marron. Le tableau est véritablement grandiose. Dans la haie émergent de petites boules hirsutes, pelotes chevelues accrochées délicatement aux rameaux des églantiers. Bien que présentes depuis le printemps, ces excroissances sont longtemps restées invisibles pour la grande majorité des promeneurs en marche vers la forêt. D’abord vertes, elles se fondaient dans le feuillage, échappant ainsi aux regards. Puis, à la fin de la saison chaude, les barbes de Saint-Pierre – l’un de leurs nombreux surnoms – ont subi une métamorphose spectaculaire, virant au rouge ardent.

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Encouragée par la baisse des températures et le raccourcissement des jours, cette transformation est due à la dégradation de la chlorophylle, couplée à une production accrue de caroténoïdes et d’anthocyanes. Ce phénomène chimique naturel met en lumière, au sens propre comme au sens figuré, ces créations fascinantes de la nature. Mais que sont réellement ces bizarreries, que le jargon botanique se plaît à nommer bédégars ? Que cachent ces perruques excentriques, qui font penser aux petits coussins sur lesquels nos grands-mères épinglaient leurs aiguilles à coudre ?

Lors de mes randonnées accompagnées, j’éprouve un plaisir particulier à lever le voile sur ces mystérieuses excroissances. Raconter les bédégars au fil de la haie, face au rosier sauvage, c’est inviter à la découverte d’un monde insoupçonné et fascinant, où chaque détail révèle une complexité biologique extraordinaire. Explorer leur formation et leur fonction dans l’écosystème offre une perspective enrichissante sur la dynamique de la nature et ses mécanismes d’adaptation. Sans parler de l’émerveillement que la beauté de ces figures suscite !

Ces structures, que l’on retrouve aussi au jardin sur des rosiers horticoles, ne sont pas de simples anomalies végétales. Ces pompons sont en fait la manifestation d’une galle, c’est-à-dire une réaction des plantes à l’invasion de certains insectes. En lisant les résumés des nombreuses publications que leur a dédiées le monde scientifique, on apprend que tout commence avec le cynips du rosier, une minuscule guêpe qui vient pondre ses œufs au printemps dans les tissus végétaux du rosier sauvage. Diplolepis rosae, pour les intimes, provoque une prolifération désordonnée des cellules de l’arbuste épineux.
Le bédégar est alors un moyen pour l’églantier de confiner son agresseur !

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Les larves de l’insecte parasite se développent à l’intérieur de cette galle, dans de petites loges sécurisées. Au sein de ces entrailles protectrices, la plante fournit de manière impromptue le gîte et le couvert à son hôte, jusqu’à l’hiver. Les larves de l’hyménoptère squatteur se nourrissent des tissus végétaux qui tapissent les chambres. Ces tissus, riches en sève glucosée et hautement nutritive, se renouvellent au fur et à mesure de la consommation.

Rassurez-vous, ni la présence de la galle ni le prélèvement d’une partie de la sève ne perturbent l’évolution de l’églantier.
Fin octobre, les larves, bien grassouillettes, commencent à hiverner au chaud dans leur logette. Après une ultime métamorphose, elles éclosent au printemps, saison où le cycle recommence. Les imagos – adultes – vivent deux à trois semaines, le temps de pondre les œufs dans les bourgeons et de provoquer à nouveau la pagaille dans les cellules du rosier sauvage. On connaît la suite.

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À la saison froide, lorsque les arbustes de la haie ont perdu leurs feuilles, ces tumeurs sont encore plus visibles. J’aime à observer leur silhouette en forme de boule défraîchie se détachant sur les rameaux nus. De tailles variables, les plus grosses enveloppes peuvent atteindre jusqu’à 10 cm de diamètre et sont assez dures au toucher. Cette sorte d’écorce, qui fonce à la saison froide et perd son attrait fantasque, fait office de bouclier de protection pour les larves du cynips du rosier. Mais dans leur pouponnière blindée, les bébés insectes ne sont pas à l’abri de tous les assauts. Les larves de Diplolepis rosae sont en effet elles-mêmes parasitées par de nombreuses autres espèces de guêpes. De telles attaques, parfois massives, peuvent provoquer un carnage éliminant jusqu’à trois quarts des larves du cynips ! Il n’est donc pas surprenant, lorsqu’on dissèque une galle, de trouver à l’intérieur un insecte différent du cynips – comme Torymus bedeguaris, la bien nommée guêpe coucou – dont la larve a consommé celle du cynips. Ambiance poupée russe donc…

À chaque exploration des bédégars, je propose à mes complices de balade une expérience quelque peu déroutante. Cela commence par une incise longitudinale réalisée au couteau sur une galle choisie au hasard. De nombreuses loges de cynips se dévoilent généralement, occupées par des larves qui gigotent. Puis, j’invite les plus curieux et les plus courageux à la dégustation : sous la dent, la créature comestible libère alors un léger goût de noisette. Une saveur qui n’échappe sans doute pas aux fourmis et aux oiseaux qui se régalent volontiers des locataires du rosier sauvage.

5 faits fascinants à connaître

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Métaphore

Barbe de Saint-Pierre, éponge d’églantier, galle chevelue ou tumeur de l’églantier : les surnoms donnés à l’excroissance provoquée par le cynips du rosier sont nombreux. Le terme bédégar est quant à lui issu de l’arabo­-persan bàdàward et signifie « souffle de rose ». Comme le bédégar ne s’envole pas avec le vent, cette appellation poétique évoquerait la nature insaisissable des galles qui apparaissent comme soufflées par le rosier…

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Entre filles

Chez les cynips du rosier, les mâles ne sont pas légion. Plus de 95 % des membres de la communauté des Diplolepis rosae sont femelles. Pire : les garçons leur sont presque inutiles. En effet, les femelles n’ont pas besoin de s’accoupler pour se reproduire ! Elles ont la capacité d’engendrer des descendances exclusivement féminines et génétiquement identiques, sans fécondation.

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La grosse tête

De l’ordre des hyménoptères, comme les abeilles, les guêpes ou les fourmis, le cynips du rosier est un minuscule insecte qui ne mesure pas plus de 5 mm de long à l’âge adulte. De couleur brune, son abdomen se termine par une tarière noirâtre, à l’aide de laquelle la femelle dépose ses œufs dans le rosier. Cette miniguêpe est dotée de pattes jaune rougeâtre et d’une tête volumineuse, proportionnellement au corps, flanquée de deux longues antennes.

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Une encre naturelle

Les bédégars ont longtemps été utilisés pour la fabrication d’encre naturelle noire. On commençait par récolter les galles, les sécher et les broyer en poudre fine. Celle-ci était ensuite mélangée avec de l’eau et d’autres agents, comme du fer et de l’acide tannique. Particulièrement résistante à la décoloration, l’encre de bédégar était très prisée pour les documents officiels et les écrits importants.

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Usages populaires

Porté en amulette autour du cou pour prévenir les maux de dents et la coqueluche, le bédégar était jadis glissé dans les couches des enfants qui souffraient de coliques. Utilisé en médecine populaire contre certains troubles de l’appareil digestif, on lui prêtait aussi des vertus sédatives. Le bédégar renfermant beaucoup de tanins, il était également utilisé en lotion pour cicatriser les plaies et soulager les inflammations, en bain de bouche contre les aphtes ou les saignements de gencives.

Couverture de La Salamandre n°284

Cet article est extrait de la Revue Salamandre

n° 284  octobre - novembre 2024, article initialement paru sous le titre "La barbe de l’églantier"
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