4 oiseaux des rivières
La bergeronnette picore et volette, le cincle fonce et plonge, le martin arrive en flèche... Et trois dessinateurs naturalistes les immortalisent.
La bergeronnette picore et volette, le cincle fonce et plonge, le martin arrive en flèche... Et trois dessinateurs naturalistes les immortalisent.
Jeudi 30 avril - Un cri strident, sec comme deux galets qui s’entrechoquent, émerge à trois reprises du chant de la rivière. Au même instant, un bolide brun fonce au-dessus de l’eau en remontant vers l’amont. A peine avons-nous distingué son éclatant plastron blanc que l’oiseau a disparu.
Rêves de peintre
Assis dans les pierres au milieu de ses tubes de peinture, Jérôme Gremaud n’a même pas levé le nez. Toute son attention est concentrée sur les mousses et les racines qui prennent couleur couche après couche sur sa feuille de papier. Pierre Baumgart n’a pas bronché non plus. Il guette le retour d’une grosse truite dans un gouffre vert. En aval, posté au bord de l’eau, Laurent Willenegger est sans doute en train d’étudier quelques remous.
A s’immerger ainsi l’esprit dans la rivière, leurs envies de peintres se précisent. Ah, croquer en quelques traits rehaussés d’une touche de couleur la floraison du merisier ou l’aile d’un éphémère. Ou alors graver les reflets de la lune sur l’eau pour apprivoiser sur papier de Chine les dégradés de la nuit. Et pourquoi ne pas partir à la recherche de la demeure secrète de la bergeronnette des ruisseaux avant de disparaître sous une toile de camouflage?
Un vrai cinglé
En attendant, revoici l’oiseau marron et blanc, perché sur un gros galet. Ce compagnon des rivières rapides et caillouteuses porte bien ses deux noms : cincle plongeur parce qu’il est l’unique passereau à plonger, nager et même marcher sous l’eau. Merle d’eau parce qu’il a la taille d’un merle, mais un merle à queue raccourcie, rondelet et agité de tics.
Soudain le cincle se laisse tomber et disparaît dans l’écume. Puis il ressurgit en pleine eau, un peu plus loin, plonge à nouveau à plusieurs reprises, autant à l’aise au sec sur ses perchoirs que dans les remous. Que cherche-t-il ? Toutes les larves, crevettes, vers et escargots qui peuplent la rivière. L’oiseau amphibie multiplie les prises avant de regagner la rive à tire-d’aile.
Trois poussins au plumage grivelé, chacun blotti dans une niche rocheuse, attendent son retour au bord de l’eau. Cela ne fait qu’un ou deux jours qu’ils ont sauté de leur nid de mousse. Les jeunes cincles ne savent pas encore correctement voler, mais ils nagent déjà et grimpent sur les berges, quémandant bec ouvert une phrygane ou un éphémère.
Inséparables
Et la bergeronnette des ruisseaux ? Plusieurs fois elle est passée devant nous, ventre jaune, dos bleuté, parfois une proie au bec. Son nid ne doit pas être loin. On raconte que cette coupelle d’herbes et de mousses peut parfois se trouver à quelques mètres du nid du cincle, ou même tout contre lui tant ces deux oiseaux se fréquentent étroitement sans aucun conflit de voisinage.
Cette cohabitation harmonieuse tient au fait qu’ils n’exploitent pas les mêmes ressources. Le cincle se nourrit surtout au fond de la rivière où il capture essentiellement des larves. La bergeronnette chasse presque exclusivement hors de l’eau sans doute les mêmes insectes mais à l’état adulte. Belle complémentarité.
Si le premier évoque un galet rondelet, une sorte de lutin de l’onde, alors la seconde a tout d’une fée de plumes. Fuselée, délicate, la bergeronnette trottine avec légèreté d’un caillou à l’autre, picorant de-ci, de-là, s’envolant brièvement pour saisir un moucheron, balançant sans arrêt de bas en haut et de haut en bas son interminable queue noire et blanche. Le cincle, lui aussi, a la bougeotte, toujours à battre de la queue sur ses perchoirs de pierre. On suppose que les mouvements ritualisés de ces deux oiseaux renforcent le marquage de leur territoire. Leur chant aigu est fait pour se détacher du bruit de l’eau, mais il ne suffit pas toujours à se faire remarquer dans un environnement aussi bruyant.
Le dilemme de la bergeronnette
Quand elle chante, la bergeronnette se place bien en vue, mais lorsqu’elle ramène à manger à son nid, la belle au ventre citron se fait discrète. Elle rase les frondaisons et les talus de mousse... La voilà ! Elle sautille mine de rien sur les galets, le bec plein de vivres, se rapproche de la grosse pierre plate. Terrible dilemme de l’oiseau qui doit tout à la fois nourrir ses jeunes et ne pas trahir leur emplacement. Elle repart, revient, et finalement s’engouffre en un éclair dans un trou deux mètres au-dessus du nid des cincles. Trois secondes après, elle repart dare-dare. Nous avons trouvé la demeure secrète de la bergeronnette des ruisseaux. Il est temps d’installer un affût.
Les prouesses d’un cascadeur
Comment le cincle fait-il pour marcher sur le fond des torrents en défiant la loi d’Archimède qui devrait le renvoyer à la surface ? L’oiseau plonge sous l’eau en se propulsant avec ses ailes et en utilisant sa queue comme gouvernail. Puis il se place face au courant, baisse la tête et relève l’arrière du corps, si bien que la force de la rivière le plaque contre le fond. Ensuite, il prospecte et retourne les galets en s’accrochant avec ses griffes puissantes. Au bout de quelques secondes, le plongeur se laisse remonter sans effort comme un bouchon à la surface, rassasié et sec grâce à une fine pellicule d’air que son plumage fin et serré retient autour de lui. L’aisance avec laquelle ce passereau explore son royaume tumultueux est extraordinaire. Le cincle est même capable d’installer son nid derrière le rideau d’une cascade qu’il traverse dans les deux sens à chaque fois qu’il vient nourrir ses jeunes.
La famille Hochequeue
Bergeronnette veut dire petite bergère. Et en effet les bergeronnettes grises et printanières côtoient volontiers le bétail. Mais tel n’est pas le cas de la bergeronnette des ruisseaux, la plus aquatique de ces trois jolis passereaux au plumage contrasté. Des trois, c’est elle dont la queue noire et blanche est la plus longue, c’est elle aussi qui on-dule le plus joliment en vol. La bergeronnette des ruisseaux reste toujours à proximité de l’eau. A la belle saison, elle niche volontiers au bord d’une rivière rapide et rocheuse, si possible ombragée. En hiver, elle se contente des mares, des fleuves, des lacs, des étangs et de simples caniveaux. Les unes restent en Europe, d’autres migrent en Afrique du Nord.
Le joli hochequeue est de retour au bord de son royaume de mousses et de galets fin février ou début mars. Les oiseaux arborent alors un plumage nuptial particulièrement coloré, rehaussé d’un court plastron noir pour le mâle. Ce passereau niche tôt, pas autant cependant que le cincle. Il lui faut en effet attendre l’émergence printanière des insectes pour nourrir ses jeunes.
La flèche turquoise
Il nous est arrivé de voir le martin-pêcheur orange et turquoise survoler la rivière comme une flèche. De même que le cincle et la bergeronnette, cet oiseau recherche des cours d’eau riches en insectes, et donc en poissons. Ajoutez une berge de terre et il creusera son nid dans ce talus bienvenu. Pourtant, aucun martin ne s’est installé sur le kilomètre de rivière que nous avions choisi. La faute à l’hiver précédent, exceptionnellement rude. L’oiseau ne craint pas le froid, mais quand le gel s’en mêle et fige ses terrains de pêche, c’est la mort. Les quelques survivants réfugiés en aval mettront des années à reconstituer une population. Voilà pourquoi, cette année-là, les petits terriers sont restés vides.
Héron et Cie
Notre bout de rivière attire d’autres oiseaux. Des colverts viennent brouter les algues, des harles font de la pêche. Un héron se tient parfois à l’affût au coin de la gravière. Le troglodyte, oiseau souris qui se faufile dans les fourrés, niche ici ou là le long des rives. Et puis, nous avons savouré la présence des innombrables chanteurs associés au cordon boisé qui accompagne le cours d’eau. Avec invariablement un rougegorge pour ouvrir le bal avant l’aube et clore le concert au crépuscule.
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Cet article est extrait de la Revue Salamandre
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