La corneille citadine sur la voie de la réhabilitation
Accusée de déchirer les poubelles ou de ravager les pelouses, la corneille parisienne pourrait être réhabilitée par les scientifiques. Reportage.
Accusée de déchirer les poubelles ou de ravager les pelouses, la corneille parisienne pourrait être réhabilitée par les scientifiques. Reportage.
« Roaaah raaah rraah ». Des cris d’alerte insistants nous accueillent dès notre arrivée. « Elle m’a reconnu, elle prévient les autres », s’amuse Frédéric Jiguet. Ici, au Jardin des Plantes, l’ornithologue est une sorte de célébrité locale dont les nombreuses corneilles se méfient. Elles le font savoir en donnant de la voix. C’est vrai que dans cet espace vert de 24 ha au cœur de Paris, rive gauche de la Seine, Frédéric Jiguet a capturé des centaines de ces oiseaux familiers pour les baguer.
Fausse bonne idée
« Tout a commencé en 2015. La mairie de Paris cherchait une proposition alternative à l’abattage massif des corneilles pour répondre aux nombreuses plaintes qu’elle recevait », précise le directeur du Centre de recherches sur la biologie des populations d’oiseaux. Les responsables de jardins publics et autres services d’espaces verts voulaient se débarrasser du coupable qui perce et vide les poubelles. « J’ai commencé à baguer ces corvidés et à en équiper certains de balises GPS. » Au fur et à mesure de ces opérations, Frédéric Jiguet va de surprise en surprise, ouvrant ainsi de nouvelles pistes d’investigation. Très vite, les informations transmises par les balises révèlent l’impensable : les corneilles sont de grandes voyageuses. Beaucoup ne font que passer au Jardin des Plantes. Elles naviguent dans Paris, en périphérie et même dans les régions voisines. Surtout les immatures et célibataires non nicheurs. Le top 10 des plus grandes voyageuses place en tête la corneille baguée blanc 013 à Angers, à 263 km de son lieu de marquage parisien. Suit vert 000 à Bourges avec 196 km et blanc 160 à Troyes avec 158 km.
Ainsi, pour Frédéric Jiguet, si on dénombre 100 corneilles dans un parc un jour, et que le lendemain il y en a autant, ce ne sont pas toutes les mêmes. Certaines sont parties, d’autres sont arrivées. « J’en ai déduit que tuer ces oiseaux sur un lieu précis pour s’en débarrasser est totalement vain. Ils sont immédiatement remplacés par d’autres. C’est sans fin dans le cas d’une espèce aussi abondante », précise le chercheur en regardant une corneille s’approcher en sautillant. « C’est vert 352, elle a été baptisée Malcom par les habitués du parc », dit-il en feuilletant son carnet foisonnant de chiffres et d’annotations.
“Frédéric Jiguet a bagué près de 800 corneilles noires dans Paris depuis 2015.
„
La pause déjeuner des étudiants et des touristes est une aubaine pour le corvidé qui va de banc en banc.
En pénétrant dans le jardin écologique, une enceinte fermée au public, Frédéric Jiguet scrute l’intérieur de sa cage-piège : « Pas d’oiseau aujourd’hui, et la nourriture appât est intacte. » Puis, il échange quelques mots avec le jardinier au sujet des expérimentations en cours.
L’ornithologue du Muséum national d’histoire naturelle a bagué près de 800 corneilles à Paris. « Les données sont en cours d’analyse dans le cadre d’une thèse que j’encadre et qui s’intitule Cohabiter avec les corneilles : nuisances et adaptations », se réjouit le biologiste toujours en quête d’alternatives à la destruction systématique des espèces qui dérangent.
Si les oiseaux en sont capables…
Derrière la cage-piège du jardin écologique trône une drôle de poubelle aux allures de station météo. « C’est le dispositif expérimental du programme Birds for Change qui vise à éduquer les oiseaux au ramassage des déchets », annonce Frédéric Jiguet. Une start-up à l’origine de ce projet parie sur la capacité des corneilles à récolter des mégots pour ensuite les déposer dans la poubelle en échange d’une récompense alimentaire.
Pas question de jouer avec les animaux ni de leur faire nettoyer les rues à notre place. « Le message est le suivant : si ces oiseaux sont capables de mettre le mégot dans la poubelle, les humains devraient l’être aussi. Et bonus, cela réhabilite l’image d’un corvidé intelligent qui devient notre partenaire », tient à souligner Frédéric Jiguet.
Vous craignez un risque d’obésité ou d’intoxication chez les corneilles ainsi nourries ? Le scientifique a anticipé ! Grâce aux bagues que portent certaines corneilles et à une caméra braquée sur la poubelle expérimentale, l’identité exacte des oiseaux impliqués sera connue. Lors de captures ultérieures, des analyses sanguines et des pesées révéleront l’état sanitaire des balayeurs à plumes.
« Hé, c’est mon copain le corbeau, il ne faut pas l’embêter ! », s’exclame un jeune homme en pointant du doigt Malcom, la corneille baguée n° 352. L’étudiant poursuit son chemin avec ses amis, sourire aux lèvres. Et si la cohabitation entre citadins et corneilles était sur la bonne voie ?
L’opération Birds for Change sur France 5.
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Cet article est extrait de la Revue Salamandre
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