L’Armillaire, le champignon qui se clone
Les abominables trolls des légendes se dédoublent pour mieux envahir de nouveaux territoires. Un champignon utilise la même méthode de manière à vivre quasi indéfiniment.
Les abominables trolls des légendes se dédoublent pour mieux envahir de nouveaux territoires. Un champignon utilise la même méthode de manière à vivre quasi indéfiniment.
Un troll seul ne vit pas longtemps, mais sa capacité à former des clans en se dupliquant à volonté lui confère une certaine immortalité. Et plus une horde grandit, plus elle conquiert de nouvelles contrées, ne laissant derrière elle que mort et désolation. Ce mode opératoire rappelle celui d'Armillaria ostoyae, redoutable parasite du pin. Répandu en Europe centrale, ce champignon fait de gros dégâts dans les forêts où il dévore les arbres qui se trouvent sur son chemin. Le spécimen le plus ancien et le plus impressionnant du continent se cache dans les montagnes du parc national suisse, au cœur des Grisons. Le monstre affiche plus de mille ans au compteur et se déploie sur 800 m de long pour 500 de large. Malgré sa taille, vous ne le verrez pas. Car il déploie son réseau filamenteux sous terre. Comme les trolls, l'armillaire fuit la lumière.
C'est en enquêtant sur l'importante mortalité des résineux dans le parc que des chercheurs ont démasqué l'envahisseur en 2005. Les résultats des tests ADN réalisés sur des échantillons de champignons souterrains prélevés aux quatre coins de la zone touchée sont unanimes : la forêt tombe sous les assauts d'un seul et même individu, perpétuant son génome à l'identique sur 40 ha. On appelle ce phénomène une colonie clonale, parce que si certains clones meurent au fil du temps, la colonie, elle, perdure. En vue de se propager, l'armillaire construit des voies de communication efficaces. Ces autoroutes nommées rhizomorphes servent à échanger des signaux et à transporter de l'eau et de la nourriture sur les longues distances qui séparent ses différents fronts. Ils ressemblent à des cordons brun-noir de 1 à 5 mm d'épaisseur, pourvus de ramifications multiples. Enfouis dans le sol, ils s'allongent de 1 à 2 m par an. Chaque tronçon sectionné produit une vingtaine de nouveaux embranchements. Si d'ordinaire les rhizomorphes de l'armillaire se développent dans le sol avant d'attaquer les arbres, ils ne survivent pas aux rudes conditions qui prévalent à plus de 2 000 m. Ils se logent alors dans les racines du végétal, le tuent à petit feu en pompant ses ressources et passent au suivant, toujours via les racines.
Malgré ses méfaits, il serait injuste de condamner trop rapidement ce parasite, étant donné qu'il s'en prend en priorité aux arbres anciens, malades ou stressés, notamment par la sécheresse. En offrant de la lumière et de l'espace aux jeunes pousses, l'armillaire joue un rôle important dans la régénération naturelle des forêts de pins.
Nul besoin d’aller jusqu'en Engadine pour trouver une colonie clonale, il suffit de scruter le sous-bois à l'automne, près de chez vous. Vous verrez peut-être un fameux rond de sorcières, autrement dit des fructifications de champignons disposées en cercle. Une spore unique a germé autrefois puis étendu son mycélium dans toutes les directions. La farandole de chapeaux s'élargit d'année en année, à mesure que ce conquérant gagne de nouvelles terres.
Pando, la forêt clonale
L'organisme vivant le plus ancien et le plus massif au monde est connu sous le nom de Pando, ce qui signifie «je m'étends» en latin. Il s'agit d'une colonie clonale constituée de plus de 40 000 peupliers faux-tremble, située dans le parc national de Bryce Canyon à l'ouest des Etats-Unis. L’ensemble s'étendrait sur 44 ha, pèserait plus de 6 000 t et serait âgé de 80 000 ans. Bien plus vieux que les plus vénérables séquoias.
Le grand frère américain
A la fin des années 1980, on découvre dans le Michigan un Armillaria gallica dont on estime l'âge à environ 1 500 ans et la masse à 100 t. Près de trente ans plus tard, de nouvelles données montrent que le mastodonte pèserait en réalité 400 t pour un âge de 2 500 ans. Et ce n'est pas tout, car les chercheurs ont voulu savoir à quelle vitesse le génome de ce champignon géant évoluait. Le séquençage de l'ADN de nombreux échantillons indique que l'armillaire est resté remarquablement résistant aux modifications génétiques au cours des siècles. Peut-être grâce à une vie souterraine qui le préserve des mutations provoquées par les ultraviolets.
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Cet article est extrait de la Revue Salamandre
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